45,25% des produits exportés vers la Libye en 2012 se composent de produits agricoles et agroalimentaires, soit de loin moins qu’en 2011 où ils s’élevaient à 71,45% et plus qu’en 2010 où ils n’avaient pas dépassé les 25,01%. Le volume des exportations avec la Libye dépasse annuellement le milliard de dinars tunisiens.
Le marché du BTP pour les entreprises tunisiennes, avant le conflit, s’élevait à lui seul à 2 milliards de dollars par an, le flux touristique atteignait le 1,5 million de visiteurs libyens par an, et le flux migratoire est estimé officiellement à 95.000 résidents tunisiens en Libye (avant le conflit).
Les investissements libyens publics et privés en Tunisie sont essentiellement orientés dans le secteur des services (banques, tourisme). ?
D’autres chiffres significatifs concernent les industries mécaniques et électriques, passées de 46,40% en 2010 à 35,06% en 2012 -mais considérées comme modestes par les observateurs du marché libyen. Les exportations «formelles» ou officielles de la Tunisie en direction de la Libye ont subi des fluctuations en raison de la situation sécuritaire et institutionnelle dans ce pays voisin mais également à cause de l’entrée en force dans la course des plus grands supporters si ce n’est des faiseurs des printemps arabes, à savoir: la France et la Turquie, conquérants de ce marché traditionnellement considéré comme le prolongement géoéconomique de la Tunisie.
Sur un tout autre volet, le réseau informel a été renforcé mais nous n’arrivons pas à ce jour à le comptabiliser en volume et en importance, car les contrebandiers et les experts de l’économie informelle agiraient parfois au su et au vu de certaines «autorités officielles» qui jouent au «je n’entends rien, je ne vois rien, je ne dis rien».
D’ailleurs, la cherté de certains produits agricoles s’expliquerait par l’existence de ces réseaux. Une marchande de légumes en parle en ces termes devant l’étonnement d’une dame face aux prix exorbitants des fruits: «Que voulez-vous que je vous dise, ce n’est pas notre faute, du temps de Ben Ali, avant de fourguer les fruits et légumes à la Libye, on satisfaisait au marché local, nos voisins devaient attendre le mois de mars pour recevoir nos exportations; aujourd’hui, il y en aurait qui préfèrent exporter vers ce pays plutôt que de fournir le marché local. Les Tunisiens passent après les autres, c’est l’un des acquis de l’après-14 janvier. Nous pouvons accuser l’ancien gouvernement de tous les maux, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître qu’à l’époque, il y avait un Etat, les Tunisiens se sentaient chez eux et il n’y avait pas de Abdelhakim Belhaj qui négociait avec les dirigeants pour avoir le meilleur de ce qui se produit chez nous, pour fournir les terroristes en armes et pire que tout pour jouir de toutes les protections».
Pire que la contrebande, c’est l’incapacité des autorités officielles à préserver les parts du marché tunisien et l’attentisme du secteur privé qui n’œuvrent pas en faveur du développement du marché libyen. Le secteur privé, sécurisé par son positionnement antérieur et en même temps frileux par rapport à la situation sécuritaire de nos voisins, ne fournit pas plus d’efforts qu’il n’en faut pour s’octroyer de nouvelles parts de marchés. Pire, la Turquie, principale rivale de la Tunisie sur le marché libyen, est considérée par nos ministres comme un partenaire stratégique. C’est à se demander s’ils sont les ministres de la Tunisie ou ceux de leurs amis un peu partout où il y a des «frères» en Turquie, au Qatar, en Libye ou ailleurs…
-0,4 du PIB tunisien à cause de la Libye…
Dans la réalité, la situation n’est pas des plus enviables, une régression de 0,4% du PIB tunisien est liée à la crise libyenne, estiment les experts de la BAD dans leurs études. Ce marché vital pour la Tunisie est en bute à une concurrence éhontée de la part d’Erdogan et ses compatriotes: «L’agressivité marquante des Turcs, disposant d’une offre défiant toute concurrence où l’on parle même d’un dumping d’Etat, caractérise le flux commercial sur le marché libyen, sans oublier la convoitise de plusieurs pays occidentaux. On constate actuellement une ruée des agents locaux vers les franchises étrangères (produits, services, distribution), et l’on s’attend à l’implantation probable de GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) qui contribueront à l’explosion du paysage commercial dans les années à venir», estiment d’autres part les experts qui ont planché sur une étude réalisée par la Representation Commerciale Tunisienne à Bengazi qui a, elle même, procédé à un diagnostic du marché libyen et proposé une stratégie de reconquête aux opérateurs privés et publics tunisiens d’un site qui toujours été considéré comme très proche de la Tunisie.
Alors que les exportateurs tunisiens traitaient et traitent encore avec les distributeurs libyens, les Turcs osent s’aventurer sur les circuits de distribution, considérés à ce jour comme chasse gardée des opérateurs libyens.
Les échanges commerciaux entre la Tunisie et la Libye, régis par un accord de libre-échange datant de 2001 considéré comme l’un des plus réussis dans la région de l’Afrique du Nord, a renforcé les flux commerciaux entre les deux pays, mais la Tunisie pourrait-elle tenir face aux nouvelles donnes d’aujourd’hui? «La Libye est aujourd’hui en train de s’ouvrir de plus en plus sur le commerce mondial (adhésion à l’OMC et accord avec UE déjà entamés), et appelle de plus en plus à accroître les investissements étrangers».
Le secteur privé se développe…
Mais il n’y a pas que l’Etat libyen qui cherche à se repositionner à l’international, les acteurs privés bénéficiant d’une liberté toute nouvelle, veulent voler de leurs propres ailes et négocier avec de nouveaux partenaires. Pour preuve, la délégation des hommes d’affaires libyens qui s’est déplacée, il y a une semaine, en France pour entamer une série de négociations avec le MEDEF –le patronat français- en vue de partenariats plus fructueux.
Selon l’étude réalisée par la BAD, «les points forts inhérents au secteur privé libyen résident en sa qualité inouïe d’entreprendre et une capacité consistante en termes d’accumulation du capital, traduites par l’activité commerciale et foncière et l’énorme dépôt à vue durant l’année 2012, ceci malgré une inexistence de l’Etat et un système bancaire archaïque».
Opportunités des opérateurs tunisiens sur le marché libyen
«Le secteur agro-industriel tunisien avait bien résisté à l’entrée de la concurrence et affiche une croissance d’une année à l’autre; cette position confortable est le fruit de la maîtrise des techniques d’approvisionnement et de production (cas des huiles et graisses végétales, pâtes). Près de 20% des exportations tunisiennes parviennent à la région Est de la Libye, composées essentiellement de produits alimentaires, matériaux de construction, redistribuées par les importateurs grossistes de Tripoli.
La Turquie fait mieux: «70% des produits de consommation débarqués au port de Benghazi proviennent de la Turquie. En 2012, les exportations turques vers la Libye avaient atteint les 3,5 milliards de $, l’objectif pour 2013 étant d’en atteindre 5».
La Tunisie reste forte sur le marché libyen grâce à une maîtrise du marché par les opérateurs nationaux, la facilité de communication avec les acteurs économiques libyens avec lesquels ils ont tissé des relations depuis des décennies et la proximité géographique. Mais pas seulement, selon l’étude de la BAD, les Tunisiens ont une «connaissance parfaite des rouages de l’administration libyenne, une présence sous forme de bureaux de représentation et sociétés mixtes tuniso-libyennes et un accès aux marchés publics directement ou en sous-traitant; ils sont aussi employeurs de main-d’œuvre et cadres techniques». Pour la Tunisie, le cheval de bataille pour l’année prochaine sera celui de l’exportation de services qui est très important à l’international.
En Libye, il existe une forte présence des grandes entreprises tunisiennes dans l’immobilier et les infrastructures. Elles peuvent aujourd’hui renforcer encore plus leur présence sur les court, moyen et long termes. «Les futurs grands projets d’infrastructure seront du ressort du nouveau gouvernement et doivent couvrir impérativement toutes les citées libyennes (pour éviter les problèmes d’ordre tribal), ce qui nécessite durant les années 2013 et 2014 à déterminer les besoins en infrastructure et d’aménagement des territoires et en logement de ces régions».
Le secteur privé est toutefois handicapé en termes de financement, garanties et accès aux grands projets. Les Banques tunisiennes ont beaucoup de responsabilités dans cette incapacité des entreprises opérant dans des secteurs comme le BTP à mieux se positionner.
Ce qui est également à déplorer, c’est l’individualisme des entreprises tunisiennes qui veulent travailler cavalier seul et ne pas se constituer en consortiums. L’UTICA et la CONECT ont une grande responsabilité dans la mise en place d’une stratégie de conquête visant à renforcer le positionnement de la Tunisie en Libye et aider les entreprises dans l’acquisition de nouveaux marchés, d’autant plus que sur place le CEPEX dispose de deux bureaux (l’un à Tripoli et l’autre à Benghazi), ouverts en juin 2011 en pleine révolution libyenne. Encore faut-il que le politique ne vienne pas encore supplanter l’économique sur son propre terrain et empêcher que l’on s’y investisse en temps et en énergie.
Grands temps pour que l’UTICA revienne à ses anciennes amours, se recentre et se re-concentre sur des préoccupations purement économiques.
Wided Bouchamaoui, patriote et dont la bonne volonté n’est nullement discutable, ne pourrait plus se permettre de jouer aux «Don Quichotte» avec des moulins à paroles virtuoses des joutes politiques inefficaces et inefficientes.