à New York (Photo : Andrew Burton) |
[20/11/2013 08:49:55] Paris (AFP) Les stars en abusent, les anonymes aussi: le “selfie”, cet autoportrait au smartphone qui fleurit sur les réseaux sociaux, est devenu une norme photographique, voire une nouvelle esthétique qui va bien au-delà d’un simple narcissisme, selon des experts.
Rihanna en maillot de bain, Michelle Obama avec son chien, Nadine Morano faisant son jogging: ces photos n’ont pas été volées par des paparazzi mais ont été faites spontanément par ces personnalités elles-mêmes qui les ont postées sur le réseaux sociaux.
Pris à bout de bras avec un téléphone mobile, les “selfies” – pour “selfportrait”, autoportrait en anglais – se comptent par dizaines de millions sur Facebook, Instagram ou Twitter. Un phénomène qui a pris tellement d’ampleur que les très sérieux dictionnaires britanniques Oxford ont élu “selfie” mot de l’année 2013.
“Il y a à peu près un an, les stars, pour être populaires, se sont mises elles aussi à faire des +selfies+ pour se mettre au niveau du public et imiter un comportement vernaculaire”, explique à l’AFP André Gunthert, enseignant chercheur en culture visuelle.
Le “selfie” est ainsi devenu une sorte de lisseur social “car tout le monde veut participer de la même norme, une norme qui vient d’en bas et pas d’en haut”, relève le maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess).
“Il faut plutôt regarder tout cela comme un genre photographique, c’est un type d’images qui est devenu un stéréotype, un standard”, renchérit Stefana Broadbent, qui enseigne l’anthropologie numérique à l’University College de Londres.
La pratique du “selfie” est totalement entrée dans les moeurs: quand on demande aux Français dans quel but ils pratiquent la photo numérique, 48% répondent: “pour se prendre en photo et se mettre en scène” (une propension qui atteint même 61% chez les 15-29 ans), alors qu’ils n’étaient que 25% il y a un an, selon un sondage Ipsos/Association pour la promotion de l’image diffusé en octobre.
“Gros nez”
Le smartphone est le plus adapté au “selfie” mais les fabricants d’appareils photo ne sont pas en reste: en plus du deuxième écran en façade pour faciliter les autoportraits, les appareils photo connectables à internet (donc aux réseaux sociaux) se sont généralisés depuis un an, tout comme les caméras miniatures +go-pro+ pour se filmer en toute situation”, souligne Marc Héraud, délégué général du Syndicat des entreprises de l’image et de la photo (Sipec).
“Tous ces +selfies+ se ressemblent tellement! En cinq ans, on a vu le passage d’une image de soi qui était beaucoup plus plate, plus lisse et construite, prise à distance par un tiers, à ces +selfies+ pris de près, qui peuvent déformer le visage et faire un gros nez”, analyse Stefana Broadbent.
Car la question “n’est pas d’être beau, mais de participer à une activité mise à la mode par les réseaux sociaux, on est dans la création d’une nouvelle norme visuelle. On n’a pas besoin d’être beau, ce n’est pas une oeuvre, l’image doit produire de l’interaction et de la conversation”, ajoute André Gunthert qui parle d'”esthétique conversationnelle”.
à New York (Photo : Andrew Burton) |
Et le narcissisme dans tout ça? “Narcisse ne cherchait pas d’interaction, il n’aurait jamais mis son portrait sur Facebook! s’exclame M. Gunthert. Le +selfie+, c’est le contraire du narcissisme, c’est un portrait social pour aller vers l’autre”.
Certes, on se montre à travers ces autoportraits, “mais c’est plus pour participer à la construction d’un monde parallèle et idéalisé, où tout est rose et où on s’amuse”, estime Stefana Broadbent.
Et selon elle, s’il y a un côté narcissique dans les +selfies+, c’est qu’ils donnent la possibilité de “voir ce que les gens voient de nous: un collègue chercheur a ainsi montré que sur Skype par exemple, on regarde beaucoup plus l’image de soi que celle de son interlocuteur, car on se voit enfin comme les autres nous voient”.