Tunisie – Administration : Le purgatoire des compétences

Harcèlement, torture psychologique, limogeage, «réfrigération», autant de pratiques dont souffrent aujourd’hui les cadres et hauts cadres des administrations tunisiennes. Il y a quelques mois, nous dénoncions sur WMC le limogeage injustifié de Jelel Ezzine, ancien directeur général de la coopération internationale au ministère de l’Enseignement supérieur. Il a eu le courage de parler et de dénoncer, nombreux sont ceux et celles qui n’osent pas, qui ont peur, qui veulent se faire les plus discrets et discrètes possibles pour qu’on les lâche…

wmc-caricature-competences-2013.jpgLe recours au tribunal administratif par les commis de l’Etat a quadruplé en l’espace de 36 mois. Les recours concernent les promotions, les plans de carrière, les concours, les emplois fonctionnels ainsi que certains dépassements considérés comme illégaux et ne respectant pas les procédures administratives habituelles.

Aucune catégorie de cadres et hauts cadres des administrations et établissements publics n’a été épargnée par le népotisme et les passe-droits d’un gouvernement se prétendant inspiré par les principes de la «révolution».

Les exemples sont légions. Ainsi, le directeur de l’ENSI (Ecole nationale des sciences de l’informatique) a été promu directeur général de l’Agence de promotion de la recherche scientifique. Juste avant cette promotion, il avait donné l’autorisation d’une deuxième dérogation pour une inscription en troisième année au fils d’Ali Larayedh. Les règlements qui régissent les études d’ingénieurs interdisent les dérogations en troisième année (que dire d’une deuxième dérogation). Le conseil de l’université de La Manouba a annulé cette décision. Il n’empêche, le monsieur très proche d’Ennahdha a été récompensé pour son allégeance. Il a été nommé directeur général pour la promotion de la recherche scientifique.

Mieux encore, Moncef Ben Salem et Mohamed Ben Salem, respectivement ministres de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et de l’Agriculture auraient, dans le cadre des pratiques douteuses se rapportant à la mesure touchant à l’amnistie générale, désigné un directeur de la Recherche proche du parti Ennahdha. La personne en question ne serait pas dotée des qualités scientifiques lui permettant d’occuper pareil poste. La fonction ne devant, selon la loi, être destinée qu’aux personnes qui ont réussi au concours de qualification ou qui sont titulaires d’un doctorat.

A la fin de l’année dernière, Moncef Ben Salem aurait également nommé un professeur dans l’une des commissions de recrutement pour prétendument éviter le vide fonctionnel, ce qui est considéré par le syndicat de l’enseignement supérieur comme une nomination abusive non regardante des principes électoraux, du consensus ou de l’approche participative entre pouvoirs publics et enseignants tant ambitionnée par les universitaires. Que dire lorsqu’il s’agit de nommer un membre du mouvement Ennahdha à Zarzouna?

Il n’y a pas longtemps un décret-loi, signé par le Premier ministre, désignait à la tête de la Délégation spéciale de la commune de Goubellat les membres d’une même famille? Même tribu? En tout cas, ils ont tous pour nom de famille «Riahi». Quelle explication apporter à cela?

A un moment où la Tunisie, toutes composantes confondues, doit mobiliser ses forces et ses ressources, pour redresser son économie, consolider ses acquis et rassurer ses cadres, ceux qui président à sa destinée s’acharnent sur les hauts commis de l’Etat. Ils ont commencé par les intimider et les mettre au pas en les traitant tous de «Azlem»; ensuite, ils ont démarré une opération étudiée de purgatoire ayant pour but de remplacer les compétences par ceux qui ont prêté allégeance à la Troïka et principalement à Ennahdha.

La Tunisie tombe en miettes à cause de nombre d’incompétents et de personnes vindicatives et haineuses qui occupent les centres de décision et envahissent les sphères d’influence. Les véritables compétences sont poussées vers la porte de sortie. Nombreux parmi les nouveaux arrivés profitent des deniers publics ne ratant aucune mission et privant les cadres quand ils sont même invités de s’y rendre.

Au centre national des études et des sciences et technologies nucléaires, le DG, qui serait nahdhaoui et qui ne se priverait pas de partir dans des missions qui peuvent durer jusqu’à 15 jours, s’autorise à priver les chercheurs du Centre de publier leurs recherches dans des revues spécialisées et dont l’achat d’espaces de diffusion est budgétisé par l’Etat!

Cela se passe dans tous les ministères. Reconnaissons que le parti au pouvoir est rusé, il occupe politiciens et médias par des déclarations et contre-déclarations, pratique des politiques politiciennes et populistes, use de manœuvres vicieuses, et jongle dans des joutes politiques sans fin Et pendant ce temps, il œuvre pernicieusement à détruire administration et État à leurs fondements même. Les partis prétendument démocratiques se plaisent dans les combats de coqs, c’est là où ils se trouvent les plus performants, car incapables de vision et de projet.

Nombreux sont ceux et celles, parmi nos cadres, qui ont quitté leurs postes sans demander leur reste, tout juste pour échapper à une ambiance venimeuse et envenimée, nourrie par la vindicte de personnes coupées de la réalité du pays pour avoir trop longtemps été emprisonnées ou avoir vécu à l’étranger.

Des personnes ou des personnalités, lesquelles, n’hésitent pas à abuser du pouvoir qui leur a été prétendument accordé par les urnes pour pratiquer à la perfection le principe sacrosaint des conquêtes islamiques: celui d’al Ghanima (prise de guerre). La Tunisie est aujourd’hui considérée comme une prise de guerre dont on use à sa guise, selon ses vœux et les ramifications de la secte…

La Tunisie a besoin d’acteurs citoyens, visionnaires, bons stratèges, respectés et responsables. Il n’y en a pas beaucoup sur le terrain, il revient aux acteurs de la société civile de prendre la relève, de faire preuve de vigilance, d’un sens aigu de patriotisme et de s’investir pleinement dans la préservation des acquis de l’Etat.

Les médias ont une grande responsabilité dans la dénonciation de toute pratique contraire à l’étique et incompatible avec les intérêts de la Tunisie.