En Espagne, la crainte de perdre son emploi fait fondre les salaires

481af1b12c78fc113ccc7c275b72c8e8bd7d1396.jpg
à Madrid, le 5 novembre 2013

[23/11/2013 12:46:31] Madrid (AFP) Face à un chômage touchant un actif sur quatre en Espagne, ceux qui travaillent ne sont pas épargnés et doivent accepter des salaires toujours plus bas, un processus synonyme de gain de compétitivité mais douloureux socialement.

La récente grève du personnel de nettoyage de Madrid, qui a transformé la capitale en poubelle géante, en est le parfait exemple : les employés s’opposaient au plan social supprimant 1.100 postes sur 7.000 et baissant les salaires jusqu’à 40%.

Ils ont obtenu qu’aucun licenciement ne soit prononcé, mais gagneront moins, avec 45 jours chômés par an.

Chez le fabricant catalan de donuts Panrico, les 1.914 salariés ont signé un préaccord sur le départ de jusqu’à 745 personnes et une diminution salariale de 18%.

Derrière ces deux cas, le poids d’un chômage qui touche 6 millions de personnes.

“Avec 26% de travailleurs sans emploi, cette masse de personnes sans travail fait fonction d’armée de réserve, faisant pression à la baisse sur les salaires”, explique Fernando Luengo, professeur d’économie à l’université Complutense de Madrid et membre du collectif de réflexion EconoNuestra.

Grâce à cette “épée de Damoclès”, “les entreprises peuvent menacer : ou tu acceptes ces conditions moins bonnes ou tu es viré”, d’autant que licencier coûte moins cher grâce à une récente réforme du travail.

Résultat: “il y a quelques années, en Espagne, on parlait des mileuristas”, ces salariés peinant à s’en sortir avec 1.000 euros par mois, “mais maintenant avoir 1.000 euros de salaire, pour beaucoup de gens, c’est presque un luxe”.

“60% des travailleurs espagnols n’arrivent pas à 1.000 euros par mois”, renchérit Paloma Lopez, secrétaire à l’emploi du syndicat CCOO, et “les difficultés sont importantes car il faut continuer à rembourser le prêt immobilier” malgré tout.

Pour vérifier cette tendance, les statistiques ne manquent pas, même si les chiffres varient suivant les critères (salaire net ou brut, par ménage ou par personne…) : selon l’Institut national de la statistique (Ine), les revenus moyens par foyer ont chuté de 9,5% entre 2008 et 2012, et désormais 21,6% de la population risque de tomber dans la pauvreté.

Selon la branche études de La Caixa, les salaires ont fondu de 7,1% depuis 2010.

La Fondation d’études d’économie appliquée (Fedea) calcule elle une baisse de 12% entre 2010 et 2012.

Dévaluation interne: tel est le terme aseptisé qu’utilise le gouvernement conservateur pour qualifier ce processus, qu’il justifie par le besoin de gagner en compétitivité.

Auparavant, “à chaque fois qu’il y avait un déséquilibre, il était toujours réglé en dévaluant la peseta”, raconte Ignacio de la Torre, du cabinet de conseils Arcano.

Maintenant, “comme on ne peut plus dévaluer la devise, la seule manière de rééquilibrer l’économie est de dévaluer les salaires”.

Force est de constater que la recette, d’un point de vue économique, semble marcher: “l’Espagne est devenu un pays ultra-compétitif en salaires”, estime le consultant, avec des travailleurs gagnant “un tiers de moins que la moyenne en zone euro”.

En septembre, les exportations ont bondi de 8,3%, quatre fois plus que la moyenne en zone euro (2,1%).

Dans l’automobile, les usines tournent à plein régime et développent de nouveaux modèles, souvent grâce aux accords de modération salariale noués avec les syndicats.

Avec cet “avantage de coût salarial”, “il est raisonnable de penser que l?Espagne va devenir le centre essentiel de production de produits industriels milieu de gamme de l?Europe”, estime l’analyste Patrick Artus, de Natixis, ce qui ferait du pays “la +Chine+ de l’Europe”.

Le Fonds monétaire international, ravi, appelle à aller plus loin, suggérant qu’une baisse de 10% des salaires en deux ans ferait grimper le PIB de 5%.

Mais socialement, “c’est une mauvaise nouvelle”, note Carlos Obeso, directeur de l’institut d’études sur le travail de l’Esade. Pour le constater, “pas besoin d’être un économiste, il suffit d’aller dans la rue”.

“On le voit partout: dans les rues, les petits commerces qui n’ont pas déjà fermé ont des difficultés”, dit Paloma Lopez, car avec ces salaires plus bas, “les salariés espagnols ont arrêté de consommer”.