Il
n’y a qu’à observer le PAT (Paysage Audiovisuel Tunisien) pour se rendre compte
que des politiques occupent bien le terrain. Pourquoi? Une riche littérature
professionnelle nous dit, concernant du moins en Occident, que cela se fait pour
trois raisons.
Attounsya a repris son émission phrase «Labasse» le 16 novembre 2013. Cet
événement marquerait le retour sur la scène audiovisuelle de la chaîne créée en
mars 2011. C’est que Sami Fehri, annoncent de nombreuses sources, a repris du
poil de la bête après près de quatre mois d’interruption de sa chaîne. Avec
l’accord qu’il a conclu avec l’homme d’affaires et le président de l’UPL (Union
patriotique libre), Slim Riahi.
Preuve du reste de l’entente entre les deux hommes: Attounsya a repris sa
diffusion sur son canal originel, objet d’un différend, en avril 2013, entre les
deux hommes; différend porté devant les tribunaux.
Avec Attounsya, nul doute que le patron de l’UPL dispose d’un porte-voix pour
son mouvement et pour ses programmes. Attendons pour voir s’il empruntera la
voie empruntée avant lui par d’autres patrons du paysage audiovisuel tunisien.
Il suffit de zapper sur ce dernier pour s’en convaincre.
Le même jour, le patron de la chaîne Al Janoubya, Mohamed Al Ayachi Al Ajroudi,
s’adressait aux téléspectateurs au travers d’un discours qu’il avait fait à
Kairouan. Car ce dernier est aussi président d’un parti politique, “Al Tounissi
pour la liberté et la dignité“. Ce même Ayachi utilise donc sa chaîne pour se
faire interviewer plus d’une fois pour se faire connaître et connaître ses
ambitions pour la Tunisie.
Autre patron d’une chaîne de télévision qui s’est fait interviewé: Larbi Nasra,
le créateur de la chaîne d’Hannibal TV. Il s’est fait notamment interroger par
Samir El Ouafi, en février 2013, au cours de son émission phare: “Assaraha Raha“.
Lui aussi a créé un parti politique, “le mouvement républicain“.
Le leader Habib Bourguiba a été militant politique et journaliste
Le patron d’Al Hiwar Attounsi Tv, Taher Belhassine, ne manque lui aussi aucune
occasion pour utiliser sa chaîne pour en découdre avec Ennahdha et les partis de
la Troïka dont il est l’un des plus virulents opposants. Taher Belhassine a
lui-même appartenu au parti Nidaa Touness. Avant de le quitter.
Autre homme politique à avoir mobilisé sa chaîne pour défendre ses idées: Hachmi
Hamdi. Le patron d’Al Moustakela Tv, qui diffuse ses programmes à partir de
Londres, est le président du courant Al Mahaba, qui dispose de députés à
l’Assemblée nationale constituante.
Si l’on ajoute à ce tableau les quelques chaînes, que tout le monde reconnaîtra,
bien situées du côté d’Ennahdha. Le ton de ces chaînes est du reste facilement
reconnaissable comme allié incontestable des timoniers de l’après-23 octobre
2013. L’une d’entre elles s’est carrément transformée en porte-voix des Frères
musulmans égyptiens en diffusant jusqu’en direct les manifestations de la Place
de Rabba Al Adaouiya, au Caire. Jusqu’à en adopter le logo fait d’une main noire
avec quatre doigts levés, sur un fond jaune.
A ajouter sur cette même liste, peut-être, Nabil Karoui, le patron de Nessma Tv.
Sa présence à Alger aux côtés et de Cheick Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha,
et de Béji Caïd Essebsi, président de Nidaa Tounes, en septembre 2013, lors de
la première rencontre de ces derniers avec le président Bouteflika, avait fait
couler beaucoup d’encre.
Faut-il s’en étonner? Peut-être pas. Dans la mesure où beaucoup de patrons de
médias ont souvent fait le choix de faire de la politique. Une riche littérature
professionnelle nous enseigne qu’ils le font pour trois raisons. Du moins en
Occident.
D’abord, politique et médias ont toujours fait un bon chemin ensemble. Notamment
dans les sociétés arabes et latines, qui constituent notre référentiel culturel
et sociétal.
On oublie peut- être que le leader Habib Bourguiba a été militant politique et
journaliste. Autant qu’Emile Zola, en France, qui restera dans l’histoire avec
son réquisitoire «J’accuse» lors de l’affaire de l’officier français Alfred
Dreyfus, en 1898.
Hassanine Heykel, patron égyptien du grand quotidien Al Ahram, a été un
défenseur zélé du leader Jamel Abdennacer.
Un statut particulier
Ensuite, les médias constituent incontestablement un moyen d’influencer
l’opinion. Et de se protéger des adversaires. Il est évident qu’on craint
toujours de s’attaquer à un patron de presse. On connaît la force de
mobilisation des médias. On se souvient que le président français François
Mitterrand, largement touché par le suicide de son ami et Premier ministre,
Pierre Bérégovoy, en 1993, consécutif à une campagne de presse concernant
l’octroi d’un prêt pour l’achat par ce dernier d’un appartement, ira jusqu’à
interpeller les journalistes avec des mots blessants.
Très utile en cette période de transition démocratique de posséder donc un média
audiovisuel; période au cours de laquelle tous les coups sont permis.
Enfin, la possession d’un média, a fortiori audiovisuel, offre toujours une aura
pour un politique. Soit un statut particulier. Beaucoup de politiques dans le
monde le font. A commencer par Serge Dassault, sénateur français et patron du
quotidien français Le Figaro. Ou encore Jean Michel Baylet, président du Parti
Radical de Gauche (PRG) et patron du quotidien régional La Dépêche.
Toujours, à ce chapitre, ne faut-il pas rappeler que l’ancien président du
Conseil italien, Silvio Berlusconi, possède Mediaset, un groupe de presse qui
est présent dans le monde de la télévision, de la production audiovisuelle, dans
la presse écrite et dans l’internet?
De ce côté des choses, la Tunisie ne fait pas, pour ainsi dire, exception. Sauf
qu’en observant le vécu médiatique tunisien, on se rend très vite compte que des
règles de jeu n’existent pas. Comme les grade-fous sont inexistants. Et il est à
se demander si la HAICA (Haute Autorité Indépendante de la Communication
Audiovisuelle) va mettre de l’ordre dans ce PAT (Paysage Audiovisuel Tunisien)
où tous les interdits sont possibles.