Coup
sur coup et à deux mois d’intervalle, le président algérien, Abdelaziz
Bouteflika, de retour dans son pays après une longue convalescence des suites
d’une grave maladie, a reçu séparément et à deux jours d’intervalle à chaque
fois, toujours dans le même ordre, le président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi,
et le chef de Nidaa Tounès, Béji Caïd Essebsi.
Le message est clair: malgré les dénégations, le chef de l’Etat algérien
s’invite dans la politique intérieure tunisienne dans le sillage de la crise
grave que vit la Tunisie, à la suite de la recrudescence du terrorisme dont les
victimes ont été des dirigeants politiques, des militaires et des agents de la
sécurité intérieure.
Pour les uns, c’est une ingérence intolérable dans les affaires intérieures
tunisiennes, pour les autres, plus magnanimes, ce ne sont que des «conseils d’un
frère qui ne vous veut que du bien», un frère concerné puisque le terrorisme qui
s’étend en Tunisie ne respecte pas les frontières longues d’un millier de
kilomètres et peut, à tout moment, faire tache d’huile dans le pays voisin.
L’intérêt pour la situation dans un pays voisin n’est pas blâmable en soi. Mais
ce qui est déplorable c’est la manière.
La première fois, il semble que les dirigeants des deux plus grands partis
politiques tunisiens aient été quasiment «convoqués» par le président algérien.
Pour la seconde fois, les circonstances l’y ont aidé puisque le président d’Ennahdha,
invité à Alger pour le congrès du parti algérien homonyme, a demandé à voir M.
Bouteflika qui, pour ne pas écouter un seul son de cloche, a souhaité entendre
l’argumentaire de l’autre parti, Nidaa Tounès.
Inacceptable une médiation étrangère…
En tout état de cause, évoquer les problèmes internes à l’extérieur des
frontières et demander la médiation d’un étranger, fût-il un frère, n’est pas
acceptable. C’est faire entrer «le lion dans sa chambre à coucher», selon
l’image parlante du chef d’un parti d’opposition demeuré à l’étranger. Pour l’en
déloger, «le lion» n’aura d’autre choix que de vous dévorer tout cru.
De plus, la démarche algérienne se fait dans le mépris le plus total des
institutions légitimes de la République tunisienne. Même si les titulaires des
premiers rôles dans ces institutions, que ce soit le gouvernement, la présidence
ou l’Assemblée constituante, ont discrédité les fonctions suprêmes qu’ils
remplissent, il n’en reste pas moins qu’ils sont jusqu’à nouvel ordre les
titulaires de ces fonctions et ils doivent être traités comme tels par les
nationaux et surtout par les étrangers.
Leur manquer de considération, c’est fouler au pied les symboles de la
souveraineté nationale. Cela est franchement inadmissible. On sait que l’Algérie
est tatillonne sur toutes les questions engageant sa souveraineté et son
indépendance et elle ne tolère à juste titre aucune atteinte à ses symboles.
En toute logique, elle ne devrait pas se permettre de porter atteinte de quelque
façon que ce soit à la souveraineté d’un pays de plus voisin et frère. Il aurait
été plus convenable que le président algérien dépêche un envoyé spécial de haut
rang, son Premier ministre, par exemple, porteur d’un message au chef de l’Etat
tunisien.
Profitant de son séjour, il pourrait rencontrer dans la discrétion les chefs des
partis tunisiens sans discrimination pour leur transmettre les «conseils du
frère président algérien qui ne vous veut que du bien». En retour, il pourrait
inviter le président tunisien chez lui en lui demandant de se faire accompagner
par l’ensemble des chefs des partis tunisiens. L’occasion pour lui de faire la
même démarche sans que cela ne transparaisse de façon aussi flagrante dans les
médias.
L’exemple du Liban…
D’autres pays, pris dans la tourmente, se sont laissés aller à de telles
solutions et on voit où cela les a menés. L’exemple le plus frappant est celui
du Liban.
Après la guerre civile fratricide, chacun des belligérants a trouvé des soutiens
à l’extérieur. Ces soutiens sont devenus des acteurs principaux sur la scène
intérieure libanaise de sorte que les dirigeants nationaux ne sont que des
marionnettes entre les mains de ceux qu’ils ont appelés à la rescousse.
Cet exemple doit nous servir de leçon d’autant que, comme le Liban, nous sommes
un petit pays qui fait appel à plus grand que lui -pour nous l’Algérie, pour les
Libanais la Syrie, l’Iran et l’Arabie Saoudite. Nous devons éviter de devenir le
Liban du Maghreb.
Les ingrédients sont là: il ne fait pas de doute que l’Algérie prend le parti
des «démocrates» contre les islamistes. Que se passerait-il si demain la Libye
tombait entre les mains des «Frères musulmans» et devenait forcément le soutien
de nos islamistes? Un scénario à la libanaise ne serait plus une «invention de
l’esprit», cela pourrait devenir, qu’à Dieu ne plaise, une triste réalité.
Il y a aussi l’Allemagne, les USA, la France…
Outre l’intrusion de l’Algérie dans les affaires intérieures tunisiennes,
d’autres puissances extérieures ne prennent plus de gants pour interférer dans
les problèmes de notre pays.
Nous avons vu le ministre allemand des Affaires étrangères courir à destination
de Tunis au lendemain de l’assassinat de Mohamed Brahmi et faire le tour des
chefs de partis qu’il a jugés les plus représentatifs.
L’ambassadeur américain comme son collège français ne font plus mystère de leur
ingérence dans les affaires tunisiennes en rencontrant les chefs de partis pour
évoquer avec eux la crise tunisienne et les voies et moyens d’en sortir.
Cette banalisation de l’immixtion des forces étrangères dans la situation
tunisienne, puisque les médias rendent compte de ces rencontres le plus
naturellement du monde comme si cela allait de soi, n’est ni tolérable ni
admissible.
On dit que chaque pays a la classe politique qu’il mérite. Notre classe
politique, depuis la révolution, au pouvoir comme dans l’opposition, a montré
son incompétence, ce qui a mené le pays à la situation de blocage où il se
trouve sans, jusqu’ici, l’espoir d’une lumière au bout du tunnel.
A cette incompétence flagrante, elle ajoute son inconscience, en acceptant
d’hypothéquer l’indépendance et la souveraineté du pays, pourtant chèrement
acquises pour assouvir leur soif de pouvoir en mettant l’intérêt de leur parti
au dessus de l’intérêt supérieur de la Nation.
*Ancien journaliste, ex-diplomate