L’Observatoire arabe des religions et des libertés et la Konrad-Adenauer-Stiftung ont organisé, samedi 23 novembre, une journée d’étude sur le thème «Le terrorisme est-il une fatalité en Tunisie?».
La salle, qui était archi comble, rassure autant qu’elle alarme. Elle rassure, car la question posée sans artifices draine du monde et mobilise les médias. Cela traduit la peur des gens mais rassure aussi car les experts se sont penchés sur le dossier.
Une réponse à cette question est-elle seulement possible?
Le terme “terrorisme“ en lui-même est déjà difficile à cerner. Quel contenu attribuer au mot? Quelles réalités la notion de terrorisme recouvre-t-elle? Comment définir le phénomène du terrorisme?
Pour la Tunisie, le terrorisme est devenu une réalité de façon claire et alarmante au lendemain du premier assassinat politique, selon le «reporter» au Journal «Al Hayet», spécialiste des conflits armés, Hazem Ammen. Même si celui-ci a connu des épisodes comme Soliman ou les attentats de Djerba et Monastir.
Il affirme que le pays n’en est qu’au début d’un cycle et le «flashback» sur l’histoire le prouve: «3 cycles de terrorisme ont eu lieu durant les 20 dernières années. Ils sont révélateurs d’une tendance prouvée. Le retour des djihadistes vers leurs pays a toujours provoqué des violences extrêmes. Souvenez-vous des revenants des guerres d’Afghanistan et d’Irak! Pensez à la Tunisie à la veille du retour des djihadistes tunisiens de Syrie! Désormais dans la ville de Reka, on ne parle plus que du centre des Tunisiens et de leurs quartiers. Quelle stratégie adoptez-vous pour les recevoir? Pourquoi votre pays est-il devenu un pays exportateur de djihadistes? Qui est responsable du laisser faire ou de l’encouragement à aller au Djihad? Des questions politiques sur lesquelles vous devez travailler et en toute urgence».
Il ne fait aucun doute que les djihadistes tunisien partis en Syrie vont revenir avec une nouvelle psychologie, une éducation religieuse rigoriste et un regard envers la société très particulier. Ce sont souvent des jeunes désœuvrés et désabusés de la société qui les entoure, qui trouvent refuge dans la pratique d’un islam radical et probablement dans l’endoctrinement guerrier et religieux auprès de moudjahidins expérimentés et aguerris.
Certains se cacheraient-ils la face en avançant des arguments du genre «les Tunisiens ne sont pas violents», «la greffe islamiste en Tunisie n’a pas prise», «la Tunisie est un pays homogène, sans guerres de races ou de religions, où on ne peut affirmer qu’il y a un vrai projet d’instauration de califat ou d’un Etat théocratique»?
Le journaliste revient une fois encore à la charge et affirme que «l’’histoire du terrorisme a prouvé qu’il peut y avoir une extrême violence sans forcément de projet ou des ambitions aussi claires… La Tunisie est-elle à l’abri du terrorisme. Non, loin de là!»
La réponse est aussi et surtout à chercher du côté des gouvernants qui sont totalement méprisants de l’ampleur des fractures sociales et économiques (et religieuses) et inconscients de la catastrophe qui s’annonce.
Comment nier, reconnaître, accepter, canaliser l’activisme radical islamiste en quête de nouveaux adeptes, disponibles en quantité tout en conciliant ces mêmes quêtes de valeurs et d’espoirs? Comment peut-on condamner d’une main ce que l’on encourage de l’autre? Comment reconnaître la condamnation diplomatique ou protocolaire de celle réelle d’un parti dont certains députés encouragent le départ les jeunes tunisiens à combattre en Syrie?
Bien plus loin encore, que fait-on des cellules plus ou moins dormantes, noyées dans la société, souvent indépendantes les unes des autres? Que fait-on et comment gère-t-on le retour de djihadistes rentrés comme Abou Iyadh et de ceux qui ont été amnistiés? Qui contrôle les relations et étudie le rapport de forces entre une jeunesse désœuvrée et frustrées et des «illuminés» qui ont une vraie capacité de passage à l’acte réelle?
Du côté d’Ahmed Tlili, la réponse est aussi claire. Même si l’historien préfère parler de groupes révolutionnaires armés que de terroristes, le terme aurait apparu après les assassinats des jeux de Belin en 1972. Il parle avec pragmatisme en démentant plusieurs fausses idées: « Arrêtons de parler de populations ignorantes et désœuvrées… Nous sommes devant des organisations terriblement efficaces avec des moyens logistiques et financiers fortement importants, liées à la motivation sacrée du martyr. Ces groupes sont issus de divisions dans les mouvements politiques et où le changement par les réformes a échoué. Reste alors une solution: les armes!»
Ce sont en fait des mouvements nés de l’impuissance à produire un programme, trouver des solutions et faire adhérer des populations à un projet. «Ces mouvements armés sont l’élite de l’élite! Arrêtons avec ce regard qui date d’il y a 20 ou 30 ans!», hurle le professeur. «Nous ne sommes plus devant une guerre religieuse ou idéologique. Nous sommes devant un enjeu économique».
La Tunisie échappera-t-elle au terrorisme? Pour professeur Tlili, elle n’y échappera pas, du moins pendant un laps de temps difficile à définir.
Le terrorisme se nourrit de l’économie parallèle, des commerces illicites, et dans un pays où la loi n’est pas respectée. Dans un pays où l’Etat est détruit.
a-t-il alors des solutions? Oui il y en a plein. Elles passent par une approche sécuritaire régionale globale qui s’étend sur tout le Maghreb et comprend le Mali, par des lois draconiennes qui s’appliquent à tous… La défaillance des institutions, la concurrence entre les différents groupes armés, les frontières poreuses et sujettes aux trafics en tous genres font le lit du terrorisme.