Qu’est-ce qui se passe quand deux groupes ne partagent pas le même avis? Il faut qu’ils apprennent, si non à se convaincre, au moins à s’écouter. Sur la rive sud de la Méditerranée, un des grands défis c’est d’apprendre à vivre dans la différence. Le projet «Young Arab Voices», initié et piloté par la Fondation Anna Lindh et le British Council, vise à enraciner la culture du débat parmi les jeunes et à développer leur sens de la critique. Après avoir participé à une formation ‘au débat’, un journaliste du Centre d’information sur le voisinage européen nous livre ses impressions.
Faut-il être intolérant envers un être intolérant? Faut-il tuer un être qui tue? Dans un contexte social où la violence gagne chaque jour du terrain, il est normal que l’on s’interroge sur ses origines. Selon la loi dite du talion «œil pour œil», on devrait combattre le mal par le mal et l’injustice par l’injustice. «Je crois que Gandhi avait parfaitement raison en disant: “L’œil pour œil rendra le monde entier aveugle“», affirme Souad Yakoubi, étudiante à l’Institut des langues Ibn Charaf. «La vengeance a pour première fonction l’élimination du délinquant – contrebat Jed Ben Aoun, étudiant à l’IHEC – c’est une mesure de protection sociale pour préserver l’ordre public et empêcher la récidive».
Ce passionnant débat est organisé au British Council à Tunis dans le cadre du projet « Young Arab Voices » initié et piloté conjointement par la Fondation Anna Lindh pour le Dialogue entre les Cultures et le British Council. Cette rencontre est inédite, car on peut sentir à quel point le sujet tient à cœur aux six jeunes étudiants tunisiens venus participer et s’interroger sur cette loi. Durant cette matinée flotte dans l’atmosphère un exaltant parfum d’échange. Et pourtant ces deux groupes ne partagent pas le même avis.
Le plaidoyer? Ca s’apprend
C’est justement l’intérêt du projet Young Arab Voices, qui vise à enraciner cette culture de débat et à offrir aux jeunes des meilleurs techniques, entre autres, oratoires, afin qu’ils aient un meilleur plaidoyer pour défendre leurs avis concernant les questions qui sont au centre de leurs intérêts. «Ce programme, comme le précise Hamza Kaabar, responsable du projet, tend notamment à développer le sens de la critique chez nos jeunes, à renforcer leurs connaissances en politique, à développer leurs capacités d’analyse, promouvoir la culture du débat démocratique et créer un lien entre les jeunes et les organes de décision politique».
«La rue est encore chaude, constate Souhir Chaari, activiste tunisienne, un des grands défis de la Tunisie, c’est d’apprendre à vivre dans la différence. Nous n’avons pas l’habitude d’échanger des opinions, d’opposer des styles de vie».
La volonté du British Council et de la Fondation Anna Lindh est de multiplier ce genre de débats, afin que le brassage des opinions soit toujours plus enrichissant. «On doit donner la parole aux jeunes pour leur permettre d’avancer dans cette aventure démocratique». Wissem Boudrigua, étudiant à l’Institut supérieur des sciences humaines de Tunis, estime que ce plaidoyer consiste à adopter une position afin d’amener un changement positif. «On doit écouter les propositions, préparer les contre-arguments, et lorsqu’on opposera les idées, il faut savoir répondre et faire preuve de respect et de maturité, car une personne qui possède une idée différente de toi n’est pas contre toi. Un bon débat, conclut-il, est une argumentation structurée par laquelle deux discours opposés essaient de convaincre l’auditoire».
C’est exactement ce qui se passe dans le débat sur l’«œil pour œil». La première équipe qui s’exprime en faveur de la loi du talion a donc le fardeau de la preuve et doit préparer une argumentation rigoureuse. La seconde s’oppose à l’idée proposée, mais doit défendre sa position.
Dense, riche, instructif, passionné, le débat est parfois tendu. Souhir Chaari défend bien sa cause. «On doit appliquer dans certaines occasions cette loi du talion, l’une des lois les plus anciennes de l’histoire de l’humanité. C’est de la légitime défense». Basma Ghali, étudiante à l’Institut des langues Ibn Charaf de Tunis, ne l’admet pas: «Ce concept fait référence à une philosophie de la justice dépassée et barbare, relevant de la vengeance privée et non de la justice où chaque acte en entraînait un autre».
Ce dialogue initié par Young Arab Voices éveille l’esprit à de nouvelles perceptions de la réalité, ajoute Souad Yakoubi. «La jeunesse tunisienne, dit-elle, a joué un rôle important pour provoquer le changement démocratique, et il est essentiel qu’elle continue à pouvoir participer et à faire entendre sa voix. Je suis ravie que la Fondation Anna Lindh et le British Council soutiennent cette initiative remarquable».
La jeunesse au cœur du changement
Il est vrai que cette jeunesse a constitué le principal acteur du changement au cours des événements qu’ont traversé les pays arabes depuis 2011, et elle restera indispensable dans les nouveaux systèmes politiques demandés par les sociétés, mais aussi dans la conception de nouveaux modèles de développement centrés sur la création d’emplois, le développement local et la durabilité.
«Ces jeunes, conclut Hamza Kaabar, responsable du projet, sont appelés à devenir des acteurs de leur propre destin dans la sphère politique et économique tunisienne, et là un agenda commun de développement Nord-Sud est nécessaire pour consolider ce partenariat et redéfinir la coopération Euro-méditerranéenne».
Selon M. Kaabar, les programmes de la Fondation Anna Lindh comme Young Arab Voices pourront contribuer à réaliser tous ces objectifs, en considération du fait qu’ils visent à donner plus de poids aux voix de la jeunesse tunisienne et à fournir à cette dernière une tribune pour être entendue. «C’est uniquement à travers le dialogue, le rapprochement des peuples, la confrontation et la compréhension réciproque qu’il est possible de combattre les préjugés et les esprits fermés à la diversité, conclut-il, et c’est seulement en faisant tomber les barrières de l’ignorance qu’il est possible de s’ouvrir à la curiosité envers autrui, au besoin de connaissance et à l’enrichissement mutuel nourri par l’échange Nord-Sud».
Reportage de Kamel Bouaouina