A Bali, l’OMC a surtout sauvé les apparences

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écembre 2013 à Bali (Photo : Sonny Tumbelaka)

[09/12/2013 16:20:00] Paris (AFP) “On a sauvé le soldat OMC”, pourrait-on dire après la signature d’un accord qualifié d'”historique”, et pourtant, les économistes réservaient lundi un accueil des plus tièdes à l’accord sur le commerce international arraché à Bali, dont la portée concrète est selon eux limitée.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a finalement conclu samedi, après bien des retournements, le premier accord depuis sa création en 1995, la sauvant ainsi de l’obsolescence.

“On a sauvé le soldat OMC”: l’expression est de Sébastien Jean, directeur du centre de recherches économiques CEPII. Il souligne la “dramatisation politique” autour de ces négociations, qui a culminé avec les larmes du directeur général de l’organisation, le Brésilien Roberto Azevedo, lors de la clôture officielle des négociations, tendues jusqu’au bout.

“Cette organisation est un acquis précieux car elle permet de mettre tout le monde autour de la table et notamment les pays les moins avancés, qui n’ont guère voix au chapitre dans les négociations bilatérales ou plurilatérales”, lesquelles se multiplient depuis quelques années, souligne l’économiste.

En Indonésie, l’OMC a sauvé la face pour rester un “recours potentiel et crédible” au cas où, déçus de la voie bilatérale ou inquiets de la multiplication d’accords et donc de normes, les Etats voudraient y revenir, indique M. Jean.

“Le système multilatéral est encore en vie”, a estimé la ministre française du Commerce extérieur Nicole Bricq dans un entretien avec le quotidien Les Echos. En d’autres termes, l’ambition d’établir des règles valant pour le monde entier, et non pas seulement pour un petit groupe de partenaires, n’est pas enterrée.

“Le consensus ne s’est établi que sur un plus petit dénominateur commun”, admet-elle toutefois.

“On botte en touche”

Jean-Marc Siroën, professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine, parle lui d’un “accord a minima auquel on donne plus d’importance qu’il n’en a”.

Ensemble de mesures surnommé “Doha light”, en référence au cycle de négociations de l’OMC lancé en 2001 dans la capitale du Qatar, l’accord concerne trois volets: l’agriculture (réduction des subventions à l’export), l’aide au développement (exemption accrue des droits de douane aux produits provenant des pays les moins avancés) et la “facilitation des échanges”, en clair l’allègement des formalités douanières.

Mme Bricq salue ce dernier point, en parlant même d’un “choc de simplification” pour les PME françaises.

Les économistes sont eux très sceptiques sur les retombées concrètes de Bali. MM. Siroën et Jean sont d’accord pour juger très exagéré un chiffre souvent entendu, selon lequel il aurait un effet économique positif de 1.000 milliards de dollars.

“Il y aura peut-être quelques progrès pour dédouaner plus rapidement le fret aérien”, lâche Sébastien Jean, qui relève que même pour un résultat peu ambitieux, les négociations ont été très dures.

“L’intransigeance de l’Inde”, qui a menacé longtemps de faire capoter les discussions pour protéger son secteur agricole, “est symptomatique du fait qu’il n’y a pas de volonté forte d’aller vers un accord de grande envergure”, souligne-t-il. Dès lors “même des problèmes anecdotiques, comme par exemple les courtiers en douane de Panama ou le transit des camions turcs en Europe, peuvent amener un blocage”.

“On sort de la négociation les sujets qui fâchent. Mais les sujets qui fâchent les uns sont aussi les sujets qui motivent les autres”, relève M. Jean pour qui dans les prochaines années, et malgré Bali, l’OMC va rester au second plan au profit de la négociation de grands accords entre les Etats-Unis et les Européens, ou entre les Etats-Unis et leurs partenaires autour du Pacifique.

Pour Jean-Marc Siroën, “un échec (à Bali) aurait eu des conséquences plus graves, mais il aurait peut-être enfin conduit à se poser les bonnes questions. Là, on botte en touche.”

Nicole Bricq appelle de son côté dans Les Echos à réformer l’OMC: abandonner la règle du consensus qui donne quasiment un droit de veto à chacun des 159 pays-membres, et “se rapprocher d’autres organisations internationales” chargée de questions d’alimentation, de droit du travail, d’environnement.