Quand il a fallu appliquer la loi sur l’amnistie après le 14 janvier, il n’y a pas eu de distinction entre terroristes, prisonniers de droits communs ou encore ceux politiques si tant qu’il y en avait en aussi grand nombre…
Car nous avons découvert par la suite des personnalités haut placées, outre les détenus lambda, qui auraient dissimulé leurs délits criminels sous couvert de militantisme politique. Il y a eu ensuite les recrutements en masse de ceux qui avaient été amnistiés dans la fonction publique. Et on a noyé les nominations des partisans dans celles de repris de justice: “Nous avons été choqués de voir certains anciens employés renvoyés pour vol, viol ou violence se représenter de plein droit à nos services avec des ordres de réintégration”, déplore une fonctionnaire au M.E.S (ministère de l’Enseignement supérieur).
A d’autres temps, d’autres mœurs. L’ANC examine vendredi, en séance plénière, le projet de loi sur la justice transitionnelle. Un examen qui se déroule parallèlement à des évènements qui ne manqueraient pas de remettre la Tunisie sous les projecteurs internationaux et ses gouvernants au pilori pour les mauvaises raisons. Notre pays, «pionnier des printemps (hivers) arabes», a déçu et continue sur sa lancée au national comme à l’international. Et ça n’est pas une simple coïncidence que de voir la consommation d’alcool et d’antidépresseurs croître à une vitesse supérieure à celle des autres produits pharmaceutiques ou de consommation courante. La dépression gagne toutes les catégories socioprofessionnelles du pays.
Le décès de Nelson Mandela, initiateur d’un processus de justice transitionnelle, ne manquerait pas de remettre à l’ordre du jour les notions de pardon, de tolérance et de justice à des prétendus «musulmans». Mandela avait assez d’amour dans son cœur pour sa patrie et son peuple pour initier un processus de réconciliation nationale suscitant l’admiration du monde entier par sa capacité de pardon et de tolérance. Concepts qu’ignorent les prétendus “musulmans”.
Car, dans une Tunisie qu’on veut islamiser, est apparue une forme d’“Apartheid“ et d’exclusion qui s’est exprimée dans sa pire dimension. Celle visant ceux qu’on appelle les “Azlem” formés dans leur grande majorité par les compétences et les hauts commis de l’Etat obéissantes et disciplinées, comme l’a toujours été la haute administration tunisienne.
Les compétences seraient exclues du processus de justice transitionnelle
Le projet de loi sur la justice transitionnelle se caractériserait, selon un expert, «par une grande sélectivité qui apparaît au moins à deux niveaux. D’abord, au niveau de la discrimination opérée entre les hommes d’affaires lesquels peuvent en bénéficier, et les responsables de l’Administration et des entreprises qui subiront les aléas de la justice classique. Ces derniers pourraient être passibles de poursuites pénales. Or, comme tout le monde le sait, dans la plupart des affaires en justice, il y a deux parties concernées: les hommes d’affaire et les décideurs ».
C’est d’ailleurs le cas de tous les dossiers touchant aux prêts et crédits. Cette ségrégation voudrait dire que les opérateurs privés, principaux bénéficiaires, pourraient justifier leurs actes et procéder à une transaction, alors que les responsables de l’Administration et des entreprises et des banques publiques prennent tout sur eux. Alors que sans vouloir généraliser -il y en a qui ont fait preuve de zèle déplacé et inadmissible- , nombreux parmi eux n’ont rien gagné en contrepartie sauf peut-être plus de stress inutile et une gestion des plus compliquées de leurs services parce que voulant sauver ce qui pouvait l’être, «malgré les pressions et parfois des menaces».
Ces gens-là pourraient bien être traduits en justice et sont passibles de prison. Drôle de sens de la justice, celui dont se prévaut une majorité de constituants lesquels n’arrivent pas à achever la rédaction de la Constitution parce que plus préoccupés par les règlements de comptes et plus animés du désir de se débarrasser de compétences qui leur rappellent leurs incompétences et leurs limites intellectuelles!
Le deuxième niveau de sélectivité, qui sera débattu vendredi 13 décembre, est encore plus grave et en dit long sur l’objectif de cette loi. Le parti Wafa, connu pour sa virulence et sa vindicte, aurait proposé d’introduire toute une section dans le projet de loi sur la justice transitionnelle avec des articles ayant trait à l’immunisation de la révolution.
Les responsables ayant travaillé durant les mandats des deux présidents Bourguiba et Ben Ali seraient privés de tous leurs droits y compris ceux d’amnistie et de justice transitionnelle, alors que les «anges irréprochables» en poste depuis le 14 janvier 2011 auront la possibilité d’en bénéficier; une justice à deux vitesses qui fait honte à la Tunisie et aux Tunisiens et qui sera certainement source d’interprétation au désavantage de notre pays à l’échelle internationale.
Le plus triste est que les Tunisiens, qui pensaient avoir élu des personnes qui œuvreraient à la rédaction d’une Constitution meilleure que celle de 1959 orientée vers l’avenir, se retrouvent avec une majorité dévorée de rancœurs et tournée vers le passé, une majorité qui oublie trop souvent qu’elle n’est rien devant la grandeur de la Tunisie et l’avenir hypothéqué des nouvelles générations.
Cela n’a pas empêché Mostapha Ben Jaâfar, président de la Constituante, de déclarer le 10 décembre 2013 qu’il s’engageait à travailler sur la mise en place d’un cadre législatif efficace «contre les violations des droits de l’Homme et en harmonie avec les principes universels et d’en consolider les garanties dans la Loi fondamentale qui instituera la deuxième République».
Mais alors tous ces hommes et femmes qui ont occupé les hauts postes de l’Etat depuis 1956, ne sont-ils pas des Hommes?