Le projet du budget de l’Etat pour l’exercice 2014 risque, une fois adopté dans sa version actuelle, de mener à une “catastrophe économique”. C’est en tout cas ce qu’estime Ridha Chkoundali, professeur d’économie dans les universités tunisiennes. Selon lui, “lors de l’élaboration du budget, l’Etat a surestimé ses capacités en matière de concrétisation des projets de développement prévus et d’obtention d’emprunts extérieurs, plaçant haut la barre en termes de prévisions de croissance pour cet exercice”.
M. Chkoundali souligne que cette surestimation avait déjà commencé lors de l’élaboration du budget de 2013 et s’est poursuivie cette année dans le cadre de la préparation du budget de 2014. En effet, les dépenses de développement prévues dans le cadre du budget de 2013 étaient de l’ordre de 5,5 milliards de dinars, représentant 17% du budget, alors que le gouvernement n’en a réalisé que 4,8 milliards de dinars, soit le même chiffre réalisé en 2012 tandis que les prévisions tablaient sur un montant de 6,4 milliards.
Pourtant, le gouvernement continue à surévaluer son potentiel et prévoit des dépenses de développement de l’ordre de 5,6 milliards de dinars au titre de 2014, soit 20% du budget lequel s’élève à 28,125 milliards de dinars.
Ces prévisions “irréalistes” amèneront les agences de notation internationale à abaisser encore une fois la note souveraine du pays qui compte mobiliser 19% de ses ressources en ayant recours à l’emprunt extérieur au titre de 2014, a-t-il mis en garde.
Les projections tablant sur un taux de croissance de 4% pour l’exercice 2014 témoignent, encore une fois, de la mauvaise évaluation de la conjoncture économique par le gouvernement, selon Chkoundali.
Il y a donc lieu de ne pas commettre la même erreur d’évaluation concernant le taux de croissance, comme il en a été le cas pour 2013, sachant que ce taux, prévu initialement à 4,5%, a été revu à la baisse respectivement à 4% puis à 3,6% et au final aux alentours de 2,8%, a rappelé l’universitaire. D’où la nécessité pour les autorités de fixer un taux de croissance à la mesure des capacités de réalisation des projets de développement, a-t-il dit.
Sur ce point, Elyes Fakhfakh, ministre des Finances, avait indiqué, le 12 décembre courant, lors de son intervention à l’occasion du 30ème anniversaire de l’ordre des experts comptables de Tunisie (OECT) que cette révision est pratiquée par bon nombre de pays, plusieurs fois par an, à cause de la conjoncture économique difficile.
Les ressources du budget de l’Etat sont “incertaines”
La situation est d’autant plus grave, que les ressources prévues dans le cadre du budget de 2014 sont “incertaines”, selon Chkoundali. Pour rappel les ressources du budget de l’Etat 2014, estimées à environ 28,125 milliards de dinars proviendront à hauteur de 72% des ressources propres (64% de ressources fiscales) et 28% de ressources d’emprunts.
S’agissant des ressources fiscales, l’universitaire a indiqué que l’Etat ne sera pas en mesure de mobiliser les 17,9 milliards de dinars de ressources fiscales prévues pour l’exercice 2014, en raison du faible taux de recouvrement de l’administration fiscale et de l’absence d’une équité fiscale dans le pays. Dans ce contexte, il a rappelé qu’en 2012, “année plutôt bonne sur le plan économique”, l’administration fiscale n’a pu collecter que 14,9 milliards de dinars contre 16,7 milliards escomptés.
L’augmentation prévue des ressources d’emprunt extérieur (5.338 millions de dinars en 2014 contre 3.830 millions de dinars prévus en 2013), demeure, elle aussi “incertaine”, vu la détérioration de la note souveraine de la Tunisie par les agences de notation internationale, avec pour corollaire une réduction de la marge du pays en matière de recours à l’emprunt extérieur et une détérioration de son crédit de crédibilité auprès des institutions financières internationales, a encore fait remarquer M. Chkoundali.
La dernière baisse remonte au 26 novembre 2013, date à laquelle l’agence Moody’s a abaissé d’un cran la note de la dette souveraine de la Tunisie de Ba2 à Ba3 assortie d’une perspective négative. Un mois avant (30 Octobre 2013), Fitch Ratings avait abaissé la note souveraine de la Tunisie de “BB+” à “BB-“, avec perspectives négatives.
Avis des experts versus celui des autorités
Cet avis a été également partagé par Houcine Dimassi, universitaire et ex-ministre des finances dans le gouvernement de Hamadi Jebali, qui avait indiqué le 8 décembre 2013, à Monastir, que les ressources du budget de l’Etat de 2014 “sont de sources incertaines, impossibles à mobiliser, voire irréalistes”.
Il a estimé que ces ressources sont limitées aux seules recettes fiscales et emprunts extérieurs, alors qu’elles doivent provenir également, selon lui, des recettes des entreprises publiques, des revenus de cession et vente des biens confisqués. Dimassi avait également averti que le montant des emprunts extérieurs programmé dans le cadre du budget de l’Etat 2014, soit 5.338 millions de dinars contre 3830 millions de dinars, prévus en 2013, est de nature à affecter négativement les équilibres financiers du pays.
A ce sujet, le ministre des finances Elyes Fakhfah avait souligné en septembre dernier que les Etats-Unis d’Amérique se disent disposés à accorder une garantie de prêt à la Tunisie.
Par ailleurs, l’Etat sollicitera une garantie du marché français en cas de besoin de ressources supplémentaires, a-t-il ajouté. Fakhfakh a rappelé que la première tranche du crédit de précaution, accordé par le Fonds monétaire international (FMI) à la Tunisie et signé en juin 2013, sera débloquée en 2014. Il a, en outre, annoncé que le gouvernement négocie actuellement avec l’Union européenne (UE) l’octroi d’un crédit de 300 à 500 millions d’euros.
La décision finale d’octroi, à la Tunisie, de la deuxième tranche du prêt du Fonds Monétaire international, sera prise, au cours de la troisième semaine du mois de décembre courant, lors de la réunion du Conseil d’administration du FMI et en présence de tous les pays membres du Fonds”, avait indiqué, récemment, à l’Agence TAP une source bien informée, de la Banque Centrale de Tunisie (BCT).
Pour pallier cette situation, Chkoundali a proposé de prendre des mesures urgentes visant à améliorer le recouvrement des impôts, à réviser le régime forfaitaire, à rationaliser les dépenses publiques, à lutter contre la contrebande et à auditer la douane. Le budget de l’Etat pour 2014 fait actuellement l’objet de plusieurs contestations de la part de plusieurs parties et a été fortement critiqué par différentes structures nationales à l’instar de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), l’Ordre des experts comptables de Tunisie (OECT), la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), outre, le monde universitaire.
Fakhfakh qui présidait, mercredi 11 décembre 2013, une réunion de dialogue sur les projets de budget de l’Etat et de la loi de finances 2013 avait souligné que son département «demeure ouvert à toutes les propositions d’amendement, d’ajout ou de rectification». Le débat parlementaire sur les projets du budget de l’Etat et de la loi de finances pour l’exercice 2014 est prévu vers le 20 décembre courant, selon M. Ferjani Doghmane, président de la commission des finances, de la planification et du développement à l’Assemblée nationale constituante (ANC).
WMC/TAP