«Nous sommes sur le point de franchir un pas important pour l’humanité», a déclaré le président de la nouvelle Commission sur l’investissement dans la santé, le professeur Lawrence H. Summers.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, notre génération a les capacités financière et technique d’éliminer les disparités existant en matière de santé entre pays les plus pauvres et les plus riches, selon le nouveau rapport publié par la revue spécialisée The Lancet, intitulé “Santé mondiale 2035 : un monde convergent en une génération”.
Les auteurs dudit rapport mettent en lumière la manière dont gouvernements et bailleurs de fonds pourraient, avec un plan d’investissement ambitieux mais réaliste, atteindre un degré élevé de convergence et, partant, ainsi combler les disparités en matière de santé. Il s’agit là d’une stratégie nouvelle et audacieuse, qui entend faire baisser, dans tous les pays et en une seule génération, les taux de décès liés aux maladies infectieuses et de décès maternels et infantiles au niveau de ceux des pays à revenu intermédiaire les plus performants.
«L’Afrique est à un tournant crucial pour accélérer les progrès accomplis sur la voie des OMD (Objectifs du Millénaire pour le développement, ndlr) et définir les priorités du programme de développement post-2015. Dans le contexte actuel de réduction de l’aide publique au développement, améliorer le niveau de financement domestique, les financements innovants et l’optimisation des ressources dans les secteurs sociaux est capital», souligne Agnès Soucat, directrice du Département du développement humain de la Banque africaine de développement (BAD) et co-auteur du rapport.
Rédigé par un groupe de 25 économistes renommés et experts en santé mondiale du monde entier, sous l’égide du président émérite Lawrence H. Summers et de Charles W. Eliot, professeur à l’Université de Harvard, la Commission appelle les dirigeants, les gouvernements et les donateurs à continuer d’investir dans la santé, mais surtout à accroitre les investissements et à capitaliser sur cette opportunité, unique, de parvenir à l’égalité en matière de santé dans le monde d’ici une génération.
«Désormais, et pour la première fois dans l’histoire, nous sommes près de pouvoir franchir une étape importante pour l’humanité: éliminer les disparités importantes en matière de santé, notamment celles relatives à la santé maternelle et infantile, de façon à ce que chaque être sur terre ait la même chance de jouir d’une vie saine et productive», indique Lawrence H. Summers. Et de préciser: «L’efficacité des médicaments et des vaccins désormais disponibles nous permet d’atteindre ce stade. Pour notre génération, c’est l’occasion unique d’investir, pour faire de cette vision une réalité».
Les auteurs du rapport exhortent les décideurs du monde entier à intégrer cette «grande convergence» dans le cadre de l’après OMD. Si les recommandations du rapport relatives à l’augmentation des investissements mondiaux en matière de santé sont suivies d’effets, les auteurs estiment que, pour la seule année 2035, quelque 10 millions de vies pourraient être sauvées dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, ce qui engendrerait d’immenses acquis sociaux et économiques pour les pays les plus touchés.
La Commission exhorte également les décideurs à adopter une approche dite de “revenu total”, qui combine la croissance du PIB à la valeur que les gens assignent à la hausse de l’espérance de vie –autrement dit, la valeur qu’ils accordent aux années de vie supplémentaires (AVS).
En se basant sur cette approche de revenu total –que les économistes préconisent de plus en plus–, le rapport “Santé mondiale 2035” détermine que, sur la période 2015-2035, le bénéfice économique de la convergence excèderait son coût dans un facteur de 9 à 20 dans les pays à revenu faible comme dans ceux à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, entre 2015 et 2035. Ce rapport bénéfice-coût souligne l’intérêt certain de tels investissements.
«Nous pensons que si les nations du monde entier adoptent une approche de revenu total pour la planification économique, les retours humains sur les investissements dans la santé pourraient faire l’objet d’une justification forte pour les décisions d’allocation de ressources, juge Dean T. Jamison, professeur à l’Université de Washington et co-président de la Commission. Les gens apprécient de vivre plus longtemps et en meilleure santé, et la notion de revenu total traduit simplement cela en termes monétaires. S’il ne donne pas de valeur monétaire à la vie d’un être humain, il tient compte de l’évolution du risque de mortalité, un paramètre que le PIB a tendance à négliger.
La Commission propose un cadre d’investissement détaillé pour les pays à revenus faible et intermédiaire, qui indique les dépenses qui devraient être prioritaires, à savoir: le renforcement vigoureux d’outils nouveaux et existants pour s’attaquer au VIH/SIDA, à la tuberculose, au paludisme, aux maladies tropicales négligées et aux conditions de santé maternelle et infantile; cibler les environnement à forte charge de morbidité, en particulier les populations démunies et les sous-populations rurales des pays à revenu intermédiaire. Investir en amont dans le planning familial est une priorité.
De plus, tenant compte des hausses du PIB prévues dans les pays à revenus faible et intermédiaire, les auteurs du rapport suggèrent que de nombreux pays seront en mesure de combler une large part de l’augmentation des investissements à l’aide de leurs ressources propres.
«En raison des changements importants de l’économie mondiale et du succès des efforts de développement, le rôle de l’aide internationale, qui reste vital, mettra davantage l’accent sur la recherche scientifique, fournissant des exemples et des modèles qui peuvent être imités et se concentrant sur le développement de techniques ainsi que sur la diffusion de l’information», ajoute Lawrence H. Summers. «L’aide internationale restera cruciale, mais elle portera moins sur l’aide financière apportée à certains pays et davantage sur l’offre d’initiatives mondiales d’intérêt général. Les budgets d’aide au développement devraient refléter cette réalité importante».
La communauté internationale devrait notamment procéder à une hausse concertée des investissements dans la recherche et le développement (R&D), afin de développer de nouveaux médicaments, vaccins et technologies de santé, selon les auteurs. Le sommes investies actuellement dans la R&D à l’échelle mondiale devraient au moins être doublées, pour passer de 3 milliards de dollars EU à 6 milliards par an d’ici 2020, les pays à revenu intermédiaire pouvant potentiellement s’quitter de la moitié de cette hausse.
Le rapport mentionne également des politiques et des initiatives fiscales qui pourraient réduire de façon spectaculaire les maladies non transmissibles et les accidents, prévenir la surmortalité d’ici 2035 et générer de nouveaux et importants revenus pour les pays à revenus faible et intermédiaire, en taxant par exemple le tabac et d’autres substances nocives comme l’alcool et le sucre. Ainsi, en Chine, une taxe de 50 % sur le tabac pourrait permettre d’éviter 20 millions de morts et générer 20 milliards de dollars EU de plus chaque année durant les cinquante ans à venir.
Le rapport fait valoir que l’objectif de couverture de santé universelle (CSU) –s’il s’accompagne d’une prise en compte des pauvres– pourrait fortement réduire le fort taux de paupérisation liée aux frais de santé restés à la charge des patients.
Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet et co-auteur du rapport, précise qu’«’investir dans la santé, c’est aussi investir dans la prospérité, dans la protection sociale et financière, et dans la sécurité nationale. Ce que notre Commission souligne, de façon originale et convaincante, c’est qu’investir dans la santé revient à investir dans la valeur intrinsèque de l’être humain, ce qui est souvent omis dans les mesures traditionnelles de développement. Une prise en compte plus complète de la santé, comme le préconise la Commission, permet de révéler sa portée bien plus large».
Source : BAD