L’indépendance de la justice, un des principaux objectifs de la révolution déclenchée le 17 décembre 2010, n’a pas été, hélas, atteinte et jusqu’à ce jour. Les exécutifs qui se sont succédé après la révolution, handicapés par une véritable légitimité, ont fait flèche de tout bois pour dissuader tout projet d’indépendance de la justice.
Moralité : l’exécutif, qui a prouvé en cette période transitoire qu’il a une peur quasi instinctive du pouvoir judiciaire, a tout fait pour le marginaliser et pour que son indépendance totale ne voie pas le jour.
Tout donne l’impression que tout le monde se reproche quelque chose et a peur de cette indépendance.
Au temps de Béji Caïd Essebsi, Premier ministre par consensus, le moment était propice pour mettre fin au sinistre Conseil supérieur de la magistrature et consacrer par un décret-loi l’indépendance de la justice. Pourtant, il ne l’a pas fait. Et c’était une des grandes erreurs en dépit des effets collatéraux irrémédiables qu’une telle décision aurait pu provoquer.
BCE a peut-être commis une autre erreur en encourageant les magistrats à se constituer en syndicat (SMT), ce qui a permis de diviser les magistrats et a rendu la vie difficile à l’historique Association des magistrats tunisiens (AMT).
Avec la Troïka, les choses ont empiré. Le ministre de la Justice de l’époque, en l’occurrence Noureddine El B’hiri, fort d’une majorité parlementaire confortable, s’était employé, au sein de ce ministère, comme s’il s’agissait d’un bien personnel et avait pratiqué délibérément la justice des deux et deux mesures.
La Troïka n’a pas fait mieux. Elle a eu tort de tout faire pour dissuader toute indépendance de la justice. A titre indicatif, elle a restitué le système judiciaire de Ben Ali lequel consistait en la nomination de juges complices à tous les stades de juridiction. Ainsi, le même verdict opté par le ministère devait être entériné par la Cour de première instance, la Cour d’appel et la Cour de cassation, et ce devant des juges sensés être indépendants, honnêtes et respectueux de la loi.
Résultat: les Tunisiens se sont vus confrontés à une justice des deux poids et deux mesures: une accélération des procès quand il s’agit de laïcs et une tolérance totale vis-à-vis des salafistes et nahdhaouis impliqués dans des actes de violences.
Il faut reconnaître toutefois que l’Association des magistrats tunisiens a eu le mérite de dénoncer la mainmise du ministère de la Justice sur le pouvoir judiciaire, lequel s’est permis de nommer et de révoquer les juges en se basant sur de simples notes de travail. Pour mémoire, plus de 70 magistrats se sont vus révoqués dans des conditions catastrophiques.
Le plus grand problème que les magistrats et leurs organisations représentatives (AMT et SMT) ont connu, c’est de toute évidence l’acharnement du groupe parlementaire nahdhaoui à refuser l’autonomie financière et administrative de l’Instance provisoire de la magistrature qui devrait se substituer au sinistre Conseil supérieur de la magistrature.
De ce fait, le projet de loi instituant la création de cette instance provisoire n’a pas été adoptée, une première fois. Les magistrats ont dû subir, durant une année, une traversée de désert pour obtenir enfin du législatif l’adoption d’une loi portant création d’une Instance provisoire de la magistrature devant se substituer en principe au Conseil supérieur de la magistrature.
Malheureusement, même avec l’adoption de cette loi, les magistrats ne bénéficient pas d’une structure représentative indépendante.
Le ministre de la Justice, qui a relayé Noureddine B’hiri, en l’occurrence, Nadhir Ben Ammou, n’a pas fait mieux. Encadré par son prédécesseur en qualité de ministre conseiller au sein de la primature, il a tout fait pour entraver l’activité de la nouvelle instance provisoire en nommant plusieurs de ses membres à d’autres fonctions, ce qui a affaibli le rendement, à court terme, de cette instance avec comme corollaire sa déstabilisation.
Les magistrats, qui ont répondu de la plus belle manière à cet abus de pouvoir, en observant des grèves, se doivent de comprendre qu’ils sont un pouvoir pérenne alors que celui des politiques est exposé à tous les aléas. Conséquence: la balle est dans leur champ et dans leur capacité à défendre leur indépendance.
Quant à nous, nous demeurons convaincus qu’au regard des mafiosis au pouvoir, l’indépendance de la justice en Tunisie reste un idéal, voire un rêve.