Mohamed Ali Toumi a pris la tête de la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV) en juin 2012. Depuis, le secteur, souvent laissé à la traîne, reprend du poil de la bête. Son actuel patron se hisse désormais comme une des personnes les plus incontournables du secteur du tourisme tunisien.
Entretien bilan suite à l’assemblée extraordinaire de la FTAV.
WMC: Quels sont les plus gros dossiers que vous avez fait avancer depuis que vous êtes à la tête de la FTAV?
Mohamed Ali Toumi: La restructuration de la Fédération est un pas gigantesque. Nous avons doté la FTAV de deux logiciels et d’un site web dynamique. Il sera notre vitrine autant qu’un support de notre communication interne.
Nous sommes aussi parvenus à internationaliser la Fédération avec des partenariats comme celui que nous avons signé avec les Turcs (TURSAV).
Nous sommes aussi désormais un vis-à-vis à part entière de la SNAV ou encore du CETO.
La grande victoire ne reste-t-elle pas la libéralisation de la «Omra»?
Absolument. Pour la «Omra», nous avons mené une bataille pour obtenir 50% du contingent de pèlerins. L’année prochaine, nous tablons sur 30.000 pèlerins. Notre objectif reste de gérer la totalité du dossier de la Omra à l’instar de ce qui se fait dans le monde entier. Ce «nouveau» produit à réconforté nos adhérents et leur a apporté un nouveau souffle.
Sachez que la Omra a aussi été bénéfique pour nos caisses. La FTAV a encaissé 120.000 dinars et table sur 300.000 l’année prochaine.
A quoi serviront ces ressources?
A mieux doter et équiper la FTAV. Notre objectif est de recruter des directeurs par marché ou groupe de marchés, un peu à l’instar de l’ONTT. Ils se chargeront de prospecter, promouvoir et faire connaître nos produits. Nous aurons bien entendu un budget de promotion dédié à cet effet.
Ne serait-ce donc pas de faire double emploi avec l’ONTT?
Absolument pas. Un détail près et de taille nous différenciera: la flexibilité et la rapidité de nos réactions qui pourront soutenir, accompagner les efforts du tourisme tunisien. Nous pourrions aussi ouvrir des bureaux là où la Tunisie n’en a pas.
Fréquemment, de bons projets tombent à l’eau car l’administration ne réagit pas assez vite. Notre mission sera donc de colmater les brèches là où il y en a.
La FTAV pourra aussi recruter des agences de communication ou de PR pour accompagner et opérer sur certains marchés.
Il s’agit pour nous de promouvoir des produits à forte valeur ajoutée pour les agences de voyage comme le tourisme saharien.
Concrètement, trop peu d’actions sont mises en place pour «vendre» ce produit malgré les recommandations de l’étude Roland Berger. Le jour où nous aurons nos propres ressources, nous pourrons choisir nos marchés, nos salons, nos actions et les produits que nous voulons mettre en avant.
L’objectif est bien entendu de travailler avec plus de complémentarité avec l’Administration.
La FTAV perçoit un soutien de la part du tourisme qui s’élève à 40.000 dinars. Nous avons demandé à ce qu’il soit élevé à 150.000 dinars, mais nous n’avons toujours pas obtenu de réponses à ce sujet.
Pourrions-nous dire que malgré la plus forte visibilité dont jouit désormais la FTAV, celle-ci reste encore un peu le canard boiteux du tourisme? A titre indicatif, la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) reçoit une subvention de 280.000 dinars.
Peut-être bien! Mais ce qui boite vraiment, c’est notre tourisme, hélas! Et le comble, c’est que l’argent existe! Au FODEC (Fonds de développement de la compétitivité, NDLR), l’argent est reconduit d’années en années sans être dépensé.
En fait, les ressources sont disponibles mais nous n’agissons pas car il n’y a pas de vraie volonté politique!
Voulez-vous dire qu’il y a des fonds dédiés à la promotion qui restent inutilisés alors que la destination a plus que jamais besoin de promotions, d’animations et d’événements ?
Absolument! Il y a des fonds qui sont réquisitionnés pour l’animation et que l’on ne dépense pas! Quand j’ai demandé des explications à qui de droit, on m’a répondu que peu de projets parmi ceux qui sont proposés au tourisme valent la peine!
Pourtant, nous concernant, avec l’opération «Tounes Barcha», nous avons proposé et agit, mais, à ce jour, les fonds du tourisme qui devaient soutenir notre initiative n’ont pas été débloqués! Pourtant, il y avait des milliers de personnes sur l’avenue Habib Bourguiba ce jour là et la Tunisie respirait la fête comme elle ne l’avait pas fait depuis longtemps!
C’en est à se demander si finalement le modèle de bonne gestion que nous imposent nos gouvernants est de ne pas dépenser l’argent! Or, un bon gestionnaire est censé être celui qui dépense son budget, ni plus ni moins!
A quoi sert ce FODEC?
Je vous donne un exemple concret. Le FODEC est le principal pourvoyeur de soutien à l’aérien des tours opérateurs. Nous sommes en ce moment en train de réétudier son modèle. A ce jour, nous ne savons pas quel est le montant total du Fonds. Nous n’obtenons pas de réponses de la part du ministère. Alors comment voulez-vous que l’on travaille? Comment voulez-vous qu’on ne tarde pas sur la mise en place de signature de collaboration avec des tours opérateurs pour l’année prochaine (2014), alors que le soutien à l’aérien de l’année dernière n’a pas encore été honoré?
Mais comment participer aux décisions alors, s’il y a une telle carence d’informations? Comment assurer, en tant qu’opérateurs, sur les choix stratégiques que prend l’administration?
C’est bien là la question! A titre indicatif, le tourisme a signé récemment un partenariat avec les Suisses pour mettre en avant le patrimoine berbère de la Tunisie dans le sud du pays. Ce n’est qu’après coup que nous avons été informés de ce partenariat. Je me demande avec quels opérateurs le tourisme va travailler si nous sommes exclus du projet? Il y a un manque énorme de concertation et de cohésion!
Pourquoi chacun fait un peu cavalier seul?
Allez savoir! Peut-être que nos critiques dérangent. Peut-être que notre vision déplait. En tout cas, j’en ai le sentiment!
Incontestablement, et depuis le 14 janvier de façon plus particulière, la FTAV paraît énergique. Le dynamisme de votre personne ne cache-t-elle pas la faillite de votre filière? Votre image positive ne tranche-t-elle pas avec les très grosses difficultés que traversent les agences de voyage?
C’est précisément ce que me reprochent certains agents de voyage. Ils estiment que je ne «pleurniche» pas assez! Ma vision est claire et je l’ai exposée durant la dernière assemblée générale. Je m’inscris dans “la Révolution de l’agent de voyage“ et non dans “l’agence de voyage de la Révolution“.
Pouvez-vous nous expliquer votre pensée?
“L’agent de voyage de la Révolution“ est celui dont les activités sont en baisse. Il est victime du classement de certaines parties de la Tunisie en zones rouges imposées par les ministères des Affaires étrangères des pays qui constituent notre marché premier et traditionnel. Celui-ci est en souffrance et en constat d’échecs et de faillites.
En face, et ce pour quoi je me bats, c’est “la Révolution de l’agent de voyage“. Ce dernier doit se révolter, se réinventer et créer une nouvelle dynamique. Je m’oppose à l’attentisme qui plombe et refuse celui des hôteliers en particulier. Faut-il toucher le fond pour remettre en cause l’actuel modèle de nos métiers et de notre destination? Il est temps de changer. Nous devons créer nos produits et innover.
Dans quelle mesure la FTAV a-t-elle donc outillé ses adhérant à cela? Avez-vous organisé des formations à ce sujet? A un moment où le métier est menacé par la crise mais aussi par Internet, par le «low cost» qui fera de tout touriste son propre «tailor made» programme… que sera votre métier en 2020 ou en 2030?
Nous avons réalisé, en 2012, une étude dont le thème répond à toutes vos questions: l’agent de voyage de demain? Celle-ci est disponible à tous nos adhérents.
Je me suis rendu au Japon au printemps dernier avec une délégation du tourisme tunisien. Nous avons pesé de tout notre poids pour qu’un projet, qui devait se faire sur le nord du pays, soit réorienté vers le sud. Il s’agit d’un projet de mise en valeur de notre héritage culturel de façon spécifique pour la clientèle japonaise. La commercialisation des produits signés avec la FTAV débutera en février 2014.
L’agent de voyage reste toujours en attente de tours opérateurs étrangers, de bailleurs de fonds ou d’initiatives étatiques. Pourtant, s’il y en a un qui connaît le territoire et qui est à même de confectionner des produits, c’est bien lui!
Oui. Nos agents de voyage sont longtemps restés frappés de somnolence et d’immobilisme. Le problème est qu’ils ne sont nullement des créateurs de produits. Ils se résignent à n’être que des loueurs de matériel.
Pourtant, ce sont eux qui en ont tous les ingrédients pour créer des programmes, des circuits et des régions. A ce sujet, une vraie mise à niveau est en cours. Nous avons procédé à différentes formations à ce sujet.
En parallèle, nous travaillons sur la conduite rationnelle, sur l’accueil, sur le web compatibilité de nos adhérents dont seul 1/3 est connecté.
A un moment où les temps sont plus durs que jamais, quasiment aucun nouveau produit n’est né. Pourtant, il suffirait de transposer les camps et circuits dans le sud tunisien vers le nord pour créer une nouvelle demande. Face au «zonage» dont souffre le sud tunisien, il y a un nouveau rapport au territoire à mettre en place, même à moyen terme. Pourquoi la FTAV ne propose-t-elle rien dans ce sens?
A cause de nos propres limites. La FTAV est composée d’agents de voyage qui manquent d’inventivité et d’expériences, et nous devons tous, ensemble, migrer de l’agent de voyage vers l’architecte de voyage.
Dans mon plan de travail, j’ai mis en place différentes étapes. Il s’agissait pour moi de commencer par réanimer la FTAV et reconquérir la confiance de ceux qui la constituent et de ceux qui l’observent. Une fois la visibilité et l’image de la FTAV rétablies, nous pouvons commencer à donner le plus. D’où le programme de formations et d’internationalisation qui ont suivi pour gagner en crédibilité. Les prochaines étapes seront importantes pour la suite. C’est d’ailleurs pourquoi l’amendement des statuts de la FTAV a été une priorité pour moi.
Pour cela, Mohamed Ali Toumi avez-vous l’intention de vous représenter à la tête de la FTAV pour un autre mandat?
Je vais être franc et direct comme à mon habitude! Oui. J’aimerais bien. Il y a encore tant de choses à accomplir pour concrétiser cette vision d’une FTAV forte, indépendante et innovante.
Cela dépendra bien entendu de plusieurs paramètres dont ceux que j’ai amendés dans les statuts. Cela dépendra du bureau qui sera avec moi et qui sera réduit à 9 personnes (contre 20 actuellement) pour plus d’efficacité. Les élections se feront sur la base d’un poste et d’une job description préétabli. En amont, les vice-présidents devront se charger des commissions, des fédérations régionales, de la promotion…
Nous avons bien entendu limité à deux fois le nombre de mandats à la tête de la FTAV afin de garantir l’alternance. Je souhaite poursuivre la transformation de la FTAV et aboutir, d’autant plus que nous aurons vraiment les moyens de nos ambitions. Reste à savoir si ceux qui me barreront la route y parviendront. Je vous assure qu’aujourd’hui, il y a des professionnels qui sont soutenus par des gens de l’administration qui veulent m’empêcher de poursuivre ma mission.
Êtes-vous en train de nous dire que Mohamed Ali Toumi est visé de façon particulière?
Absolument. Mon franc parler dérange vraisemblablement. Ce n’est guère de tout repos mais je l’assume et le revendique. Les professionnels, agents de voyage et hôteliers, doivent se dégager de leurs rapports de soumission avec l’administration et le politique. Nous devons arriver à bâtir une vraie synergie où le rapport de forces est équilibré.
Nous devons être aussi forts que l’administration pour pouvoir relever les défis qui nous attendent. Même si demain la FTAV se renforçait, que pourrait-elle avec une administration affaiblie?
Regardez les destinations qui marchent, sont aussi et surtout celles où la filière des agences de voyages est puissante comme en Espagne ou en Turquie. N’y voyez vous pas les pas gigantesque qu’y a fait le tourisme!
Pour prendre exemple sur la TURSAV (équivalente turc de la FTAV), celle-ci gère des musées, des autoroutes, des sites. Super puissante, n’organise-t-elle pas même des salons? Pourquoi ne pas doter la FTAV de pareilles attributions?
A ce jour, l’adhésion à la FTAV n’est même pas obligatoire pour obtenir un agrément d’agence de voyage. L’administration refuse, malgré maintes demandes, même de nous associer à titre consultatif, à l’octroi de nouveaux agréments. Ce refus vient du ministère du Tourisme. On redoute une profession forte et indépendante! Mais j’avoue ne pas comprendre ce que l’on craint au juste? En quoi une FTAV forte peut-elle être une menace pour l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) ou le ministère du Tourisme?
Ne sentons-nous pas un sentiment de lassitude chez les différents intervenants de tous les intervenants du tourisme? Pensez vous qu’il y a une relève qui se prépare? Pensez-vous qu’il y a une destination Tunisie qui se travaille, construit, sculpte pour l’avenir?
A force de refuser de changer de procédures et de conceptions, on s’obstrue la vision. A titre indicatif, nous avons passé depuis le 14 janvier 2011 à parler d’événementiels sans en faire un! Toutes les énergies sont mises en place pour décourager les forces vives au lieu de les soutenir! Parions sur un événement par mois durant toute l’année 2014 et mettons-nous au travail. C’en est assez des slogans creux! Il faut oser, travailler et subir les conséquences de ses choix. La peur de l’échec bloque tout le monde. La peur attire la peur et reste une force négative. Il est temps d’agir et parier sur l’avenir.
Arrêtons ce «courtermisme» qui nous tue à petits feux! Préparons aujourd’hui, le tourisme de dans 3 ou 5 ans!
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