Les projets du budget de l’Etat et de la loi de finances pour l’exercice 2014, qui seront examinés par l’Assemblée nationale constituante (ANC), à partir du mercredi 25 décembre, sont loin de faire l’unanimité aussi bien auprès de la classe politique que des organisations nationales. Cependant, ces vives réactions n’empêcheront pas l’adoption desdits projets.
Accusé de s’attaquer au pouvoir d’achat de la classe moyenne, de ne pas sévir contre le développement du secteur informel, voire d’encourager l’évasion fiscale selon certaines parties, le gouvernement a été abondamment critiqué, pour ces deux projets.
Plusieurs réactions des organisations sociales et professionnelles
Dès la publication des premières informations sur les articles et dispositions du budget de l’Etat et de la loi des finances 2014, en septembre dernier, les réactions sont venues, en premier lieu, des organisations professionnelles. Mais, ce sont surtout celles des organisations sociales qui ont été les plus virulentes.
Ainsi, le secrétaire général de l’union générale tunisienne du travail (UGTT), Houssine Abassi a fermement critiqué le projet du budget de l’Etat pour 2014. Il estime que ce budget “ne comporte pas les ingrédients d’une solution à la crise que traverse le pays et est en deçà des attentes des Tunisiens et des exigences de l’économie”.
Certains syndicats relevant de l’UGTT, dont le poids est indéniable sur l’échiquier sociopolitique du pays, sont allés jusqu’à organiser un rassemblement le 17 décembre, devant l’ANC pour protester contre le projet du budget qualifié de “projet de paupérisation”.
D’autres organisations, à l’instar de l’Organisation de défense du consommateur (ODC) et l’Union des diplômés chômeurs (UDC), ont également critiqué les mesures restrictives prévues par la loi de finances, notamment en matière d’emploi et de subvention, outre la taxation de certains biens.
Quant aux organisations patronales, elles ont focalisé leurs réactions sur les dispositions qui visent les entreprises privées et l’investissement, pointant du doigt la nouvelle imposition de 10% sur les entreprises exportatrices.
Le principal patronat, l’Union tunisienne de l’industrie du commerce et de l’artisanat (UTICA), juge que le budget de l’Etat et la loi de finances 2014 «ne sont pas appropriées à la période et à la situation par laquelle passe le pays». “Les orientations générales de ce projet portent sur une taxation supplémentaire des entreprises transparentes, comme moyen pour améliorer les ressources du budget de l’Etat, alors qu’aucune mesure n’est prise pour lutter contre le commerce anarchique et l’économie informelle”, souligne l’organisation patronale.
Réagissant dès la diffusion des premières données sur les deux projets, l’UTICA a critiqué le gouvernement pour la «recherche facile de recettes». Sa présidente, Wided Bouchamaoui, a réitéré, lors de sa dernière entrevue avec le président de l’ANC, le 12 décembre 2013, son appel à la nécessité de “réviser certains articles de la loi de finances 2014, notamment ceux relatifs à la soumission des sociétés non résidentes à l’impôt, pour préserver l’attractivité du site Tunisie et sa capacité à drainer des investissements”.
Cette disposition a également été critiquée par le conseil d’administration de la confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), depuis le 28 septembre 2013.
De son côté, le président de l’ordre des experts-comptables (OEC), Nabil Abdellatif, a qualifié le projet de la loi de finances 2014 de «difficile», relevant que certaines nouvelles dispositions augmentent “le phénomène de l’économie informelle et l’évasion fiscale”.
S’agissant de l’éventuelle recul du ministère des finances et des commissions de l’Assemblée nationale constituante (ANC) sur un nombre de dispositions, inscrites dans le cadre du projet de la loi de finances, M. Abdellatif a affirmé, lors d’une rencontre organisée par la CONECT: qu’«il est difficile de procéder à un changement au niveau du budget de l’Etat car tous les volets sont liés».
Quant à l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), sa réaction s’est focalisée sur la disposition relative à l’annulation des sommes dues, au titre des crédits agricoles octroyés aux agriculteurs et aux pêcheurs, jusqu’à fin décembre 2012, et dont les montants ne dépassent pas les 5 mille dinars ainsi que l’annulation des intérêts appliqués sur ces dettes, soit un montant global de 80 millions de dinars.
L’UTAP a également exprimé certaines réserves concernant certains articles de la nouvelle loi de finances portant sur les entreprises exportatrices dans le domaine agricole.
L’AJECT veut que soient inclus les hypermarchés
Toujours concernant les dispositions relatives aux entreprises l’association des jeunes experts comptables (AJECT) recommande d’étendre l’application du nouveau taux d’impôt sur les sociétés de 35% aux hypermarchés et aux fournisseurs de services internet. L’AJECT préconise également de renoncer à l’imposition à 10%, à partir de 2014, des bénéfices et revenus des sociétés totalement exportatrices.
A ce propos, le centre des jeunes dirigeants d’entreprises (CJD) souligne que la fiscalisation des bénéfices des entreprises exportatrices engendrera la régresssion de l’investissement extérieur et la délocalisation des sites de production vers d’autres pays plus attractifs fiscalement.
Dans ce contexte, les chambres mixtes (tuniso-française, tuniso-allemande et tuniso-italienne) ont souligné, récemment lors d’une conférence de presse commune, l’impératif de reporter l’application des nouvelles mesures fiscales touchant les entreprises offshore qui figurent dans la loi de finances pour 2014 et le code de l’investissement, ainsi que les décisions relatives à l’augmentation des prix de l’énergie.
Partis d’opposition : le projet creuse les disparités
En ce qui concerne les partis politiques, des partis davantage de gauche que de droite ont réagi ouvertement et généralement contre ces deux projets.
Ainsi pour El Watad (parti unifié des patriotes démocrates), “le budget de l’Etat pour 2014, va accentuer la crise économique et les disparités entre les catégories sociales et conforter les intérêts du capitalisme national et étranger”.
Pour les responsables de ce parti, ce budget constitue “un déni des revendications de la révolution, en matière d’emploi et de développement régional”.
El Watad avait notamment critiqué les hypothèses adoptées pour le budget de l’Etat pour l’exercice 2014, soit un taux de croissance de 4%, un prix du baril de pétrole à 110 dollars et un taux de change de 1,67 dinar pour 1 dollar, avançant que le budget 2014 “est conforme aux directives du Fonds Monétaire International (FMI)”.
Idem pour Nida Tounes dont les responsables ont mis en doute la capacité de l’économie nationale à réaliser 4% de croissance prévu par le projet estimant qu’il n’encourage pas la croissance. Ce parti a mis en relief les difficultés rencontrées par l’économie tunisienne en matière de mobilisation de ressources extérieures en raison de l’ambiguïté de la situation politique et la dégradation de la notation de la Tunisie.
Quant au parti “El Qotb”, il considère que «le budget d’austérité, prévu pour l’année 2014, impactera la classe moyenne». Pour cette formation, le gouvernement actuel continue à suivre la même démarche financière, adoptée pendant deux décennies laquelle met l’accent sur la préservation des équilibres généraux, et ce au détriment des régions et catégories sociales à faible revenu.
Al-Massar estime, pour sa part, que le projet de la loi de finances pour l’exercice 2014 va affaiblir le pouvoir d’achat du citoyen, appauvrir la classe moyenne et les catégories vulnérables et approfondir davantage la crise socio-économique.
Indépendamment du caractère idéologique de certaines réactions et la prédominance des revendications corporatistes caractérisant certaines réactions vis-à-vis du budget et de la loi de finances 2014, elles témoignent du marasme dans lequel se trouve le pays et ses élites politique et économique.
Ceci étant, l’adoption en plénière des deux projets ne doit pas poser de problèmes au gouvernement compte tenu de la configuration actuelle de l’Assemblée.
Ainsi, fort de la majorité dont dispose la coalition au pouvoir à l’ANC, le gouvernement doit pouvoir faire adopter ces deux projets sans surprise. Les deux textes doivent être liquidés en moins d’une semaine en dépit des critiques, l’essentiel demeure de respecter l’échéance du 31 décembre, conformément à la loi organique du budget.