Formations gouvernementales fictives, spéculations, fuites de noms de futurs ministrables publiés sur les réseaux sociaux et autres sur des journaux électroniques. Mais en fait, rien n’est encore définitif et surtout l’élu du Dialogue national n’a pas encore été chargé officiellement du poste de Premier ministre par le président provisoire de la République.
Le travail qui attend Mehdi Jomaa est titanesque. Une situation socioéconomique dramatique, un contexte sécuritaire précaire et une rupture totale de confiance entre peuple, élite politique et pouvoir en place. Il ne s’agit plus de composer un gouvernement, c’est presque de magie dont nous avons besoin. Car nous voulons tout à la fois: «Nhibbouha sabbagha w jarraya w ma takolch El Ch3ir» (Soit une jument toujours en tête du peloton, rapide, zélée, prompte et ne se nourrissant pas d’orge). Waw ! Ce n’est pas donné!
Les voix s’élèvent de toutes parts, celles qui veulent un changement radical du gouvernement. Soit faire le ménage en se débarrassant des ministres et des secrétaires d’Etat qui ont travaillé sous les ordres des anciens régimes. D’autres estimeraient que l’on devrait garder certains ministres, dont le ministre actuel de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, mais nombreux sont qui appellent à faire table rase de tous les staffs et hauts commis de l’Etat pour former de nouvelles équipes. D’où comptent-ils les apporter ou les importer? De la Lune ou de Mars?
Les CV pourtant commencent à pleuvoir de partout, les jeunes veulent être de la partie et gratuitement, car ils s’identifient déjà au nouveau PM. Mais quels seront les critères que le nouveau Premier ministre pourrait adopter pour composer son nouveau gouvernement? La compétence? Forcément. Car nous avons tous souffert de l’incompétence de nombre de ministres dans les gouvernements post 14 janvier.
La composition de l’équipe Jomaa se fera-t-elle sur des critères régionaux avec un savant dosage conjuguant représentativité, compétence, leadership et personnalité? Ca serait l’idéal, mais ce n’est pas donné. Toujours est-il que Mehdi Jomaa a besoin de personnes opérationnelles, maîtrisant les arcanes de l’administration tunisienne, atteinte depuis deux ans de la maladie de l’immobilisme et du complexe des amnistiés et plaçant les intérêts du pays au dessus des règlements de compte. Des personnes intègres, intelligentes et qualifiées. Certains «destructeurs, envieux ou dogmatiques» pousseraient le vice jusqu’à exiger l’absence totale de contact des nouveaux candidats avec les régimes précédents. C’est pour ainsi dire imposer à des hauts responsables pressentis pour occuper les premiers rangs du nouveau gouvernement des certificats de virginité les disculpant de tout effleurement «malfaisant» avec les anciens dirigeants. Ceci nous amène à un autre dicton populaire «chart el Azeb al hajela, walli Sbia w Na3khdek» (La clause imposée par un puceau à une veuve: redevenez vierge et je vous épouserais). Au propre, un souhait possible aujourd’hui grâce aux avancées de la médecine réparatrice… mais pas aussi évident dès lors qu’il s’agit de composer un gouvernement en situation de crise et qu’un travail colossal attend.
Serions-nous dans une situation où les acteurs politiques insatisfaits de l’aboutissement des négociations du Dialogue national à un jeune technocrate devenus amers et cyniques à cause de leurs échecs répétitifs et leurs compromissions non productives s’adonnent aujourd’hui au jeu trop prématuré du bâton dans les roues?
Il est par ailleurs aussi vrai que nul n’est prophète en son pays mais surtout que dans des pays comme le nôtre, il n’y a pas de beaux joueurs. On tolère très mal les échecs même lorsqu’ils sont les conséquences des mauvais calculs.
Pour des milliers de Tunisiens, Mehdi Jomaa représente aujourd’hui la paille qu’ils voudraient tenir pour les sortir des eaux troubles dans lesquelles ils ont été plongés à cause du gouvernement de la Troïka et de l’impuissance de l’opposition à offrir une alternative logique et acceptable.
Pourra-t-il réussir son œuvre? Mieux encore, le processus engagé par le Dialogue national et couché sur la feuille de route marchera-t-il?
La difficulté de réussir peut être un bon stimulus, pour un manager de haute facture. Mehdi Jomaa pourra-t-il résister aux pressions? Sera-t-il capable de gérer toutes les erreurs et les maladresses parfois fatales de ceux qui l’ont précédé? Beaucoup qui sont proches des sphères entrepreneuriales, administratives et même politiques lui souhaitent du courage…
C’est à l’œuvre qu’on connaît l’artisan, espérons voir Mehdi Jomaa à l’œuvre et surtout que son œuvre réponde aux attentes et aux vœux des Tunisiens. Ceci reste, à ce jour, tributaire de la poursuite du processus engagé par le Dialogue national. Rien n’est acquis et rien n’est sûr jusqu’à l’investiture officielle du futur Premier ministre par le président provisoire Moncef Marzouki et le discours officiel devant les constituants qui nous éclairera sur les grandes lignes qui seront entreprises par Mehdi Jomaa et surtout sur la composition du nouveau gouvernement.