«Comment croire, une seconde, pourvoir reporter l’approbation du budget de l’Etat par la Constituante au mois de janvier. Vous savez ce que cela implique que de ne pas avoir une loi de finances? Que l’Etat ne pourrait plus procéder aux dépenses courantes, que le budget d’investissement ne sera pas débloqué et que le gouvernement ne pourrait plus emprunter ni sur les marchés extérieurs ni même à l’échelle nationale, et n’aurait pas non plus la latitude d’émettre des bons de trésor».
Pour Mustapha Kamel Nabli, économiste, expert auprès de la Banque mondiale et ancien gouverneur de la BCT, l’image de la Tunisie ne s’en trouverait que plus ternie. Car dans l’incapacité d’honorer ses engagements, l’Etat perdrait le peu de crédit qu’il a auprès de ses partenaires nationaux et internationaux et accroîtrait les incertitudes quant à son aptitude à sortir de la crise actuelle.
«Une sortie de crise, explique M. Nabli, qui doit passer nécessairement par le renforcement de la démarche consensuelle entre les différents acteurs politiques. Le pays a besoin d’apaisement, de retrouver son souffle et de consolider l’adhésion des uns et des autres à une feuille de route pour un rapide dénouement de la situation d’incertitudes dont nous souffrons tous aujourd’hui».
La formation du nouveau gouvernement sera certainement un signal important et positif pour l’ensemble des Tunisiens surtout que le choix porté sur Mehdi Jomaâ en tant que nouveau Premier ministre a été assez controversé. Il lui revient à lui de gagner la confiance du peuple et des composantes politiques sceptiques à travers la mise en place d’une stratégie de relance, alliant les impératifs sécuritaires à ceux socioéconomiques. «Mehdi Jomaâ devrait au plus tôt s’engager dans la stabilisation du pays, dans l’assainissement du climat politique en mettant fin aux querelles stériles et nocives. Il pourrait ensuite œuvrer à préparer les prochaines élections électorales dans une ambiance plus sereine et plus calme».
Le gouvernement qu’il formera aura à rétablir la confiance entre les dirigeants et le peuple, à rétablir l’ordre et le prestige de l’Etat et à s’attaquer aux questions de fonds noyées dans de faux problèmes, tels les démêlés politiques, les règlements de compte, les campagnes de vengeance et la destruction des acquis du pays. C’est un gouvernement qui aura pour rôle de construire et non de détruire.
Quant à la justice transitionnelle et la lutte contre la corruption, chevaux de bataille de ceux incapables de mettre en place un projet de société cohérent, viable, réaliste et rassembleur, ils relèveront désormais d’instances dédiées qui auront à les solutionner.
Mais si seulement c’était aussi simple! Car malgré les déclarations du leader d’Ennahdha tout de suite après le choix porté sur Mehdi Jomaâ et dans lesquelles il félicitait le peuple tunisien, le quartette et les partis politiques pour la réussite du dialogue national, nous avons des doutes quant au sérieux des déclarations en question. Car tant que le nouveau Premier ministre reste soumis à l’article 15 de la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics, il restera tributaire de l’approbation de la majorité à la Constituante et devra passer au vote de confiance par les 217 députés de l’ANC.
Il n’est pas du tout acquis qu’Ennahdha accepte que ses nominations soient remises en cause, que ses ministres soient délogés et que son agenda d’islamisation de la Tunisie soit menacé.
«Pour éviter à ce nouveau chef de gouvernement que le soutien au gouvernement soit monnayé par la Troïka et pouvoir disposer de son indépendance dans le choix de ses ministres en toute liberté, il ne faut pas qu’il soit confronté à l’article 15 et d’observer le principe que ce qui est décidé dans le cadre du dialogue national devrait “obliger“ le président provisoire et l’ANC», estime Hafedh Caïd Essebsi de Nida Tounes.
C’est pour cela et pour beaucoup d’autres que l’on ne pourrait croire en une véritable sortie de crise de la Tunisie que le jour où Mehdi Jomaâ aura gagné la bataille de la composition gouvernementale et celle de la dispense d’une évaluation par une Constituante formée dans sa majeure partie de députés dont l’allégeance va plus vers leurs partis que vers la Tunisie.