Frustré par le manque de vision stratégique africaine de la Tunisie, un opérateur économique, qui réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires sur les marchés africains, nous a écrit ce qui suit.
Selon les prévisions, l’Afrique enregistrera une croissance moyenne de 7% en 2014, avec des champions comme le Soudan du Sud (80%), le Rwanda (14%), le Niger (14%) ou la Côte d’Ivoire (9%).
A noter également au passage que le continent africain sera, en 2050, le plus peuplé de la planète avec 2 milliards d’habitants.
Il faut savoir que, selon The Economist qui a publié un document d’une centaines de pages consacré à ses prévisions économiques mondiales 2014, avec d’autres projections, une carte de la croissance mondiale montrant que l’Afrique sub-saharienne et l’Asie du Sud-est verront la progression de leur PIB respectivement de 5,2% et 5,7%, tandis que l’Europe ne connaîtra qu’un petit 1,1% de croissance, le Japon 1,7% et l’Amérique du Nord 2,5%.
Face à ce constat, plusieurs pays ont compris que le futur de l’économie mondiale se jouera sans doute en Afrique, comme ce fut le cas de la Chine et de l’Inde depuis une dizaine d’années qui ont su se développer…
La France de Hollande s’est réveillée en 2013 et multiplie les initiatives économiques, politiques et mais surtout militaires, en redevenant “le gendarme de l’Afrique“, avec l’opération Serval au Mali en juillet 2013, et actuellement en République centrafricaine.
Maroc, Nigeria et Afrique du Sud…
A l’échelle africaine, le Maroc, l’Afrique du Sud et le Nigeria sont les seuls pays à avoir mis en place une politique économique spécifique pour l’Afrique depuis le début des années 2000, en misant sur 2 stratégies.
D’abord, une stratégie de conquête de marché par le capital pour le Maroc, par exemple, qui a misé sur 3 secteurs porteurs, (une politique d’expansion bancaire par des acquisitions de filiales, opérée par Attijariwafa Bank); le secteur des télécommunications via l’achat de licences par Maroc Telecom; mais aussi la prise de gestions des opérateurs d’eau ou d’électricité (comme au Cameroun).
La deuxième stratégie marocaine consiste en la prospection des marchés commerciaux pour écouler leurs produits. Ainsi, un modèle de business de PPP entre l’Etat, les opérateurs économiques et une Banque est mis en place, où l’Etat marocain et des moyens logistiques, en louant, à titre d’exemple, un avion et des espaces d’exposition, la Banque finance les opérations d’exportations alors que les opérateurs écoulent leurs produits.
Ainsi, un avion est mis à disposition des partenaires économiques pour 21 jours et fait un circuit pays par pays, avec des expositions de 5 jours par pays. Ceci a pour mérite de réduire les temps de déplacements, de faciliter l’accès et de réduire ainsi les frais de prospection et de mutualiser les frais.
Quid de la Tunisie?
Ici en Tunisie, pendant ce temps, on parle, on s’agite, on fait des annonces, par exemple «l’Afrique est notre priorité…». Que des paroles qui ne sont pas suivies d’actions concrètes. La preuve en est qu’aucune nouvelle ligne aérienne n’a été créée en 2013, aucune nouvelle ambassade en Afrique, aucune mesure concrète concernant la suppression des visas pour certains pays du continent.
La politique étrangère tunisienne n’est ni fixée par le président de la République ni par le ministre des Affaires étrangères et encore moins par celui du Commerce. Dans les faits, c’est le ministre de l’Intérieur qui détermine et fixe la politique étrangère de la Tunisie. Ce qui explique, entre autres, le problème des visas entre la Tunisie et certains pays africains. Et la réponse magique qui est invoquée chaque fois qu’on pose le problème de visas, c’est “les considérations sécuritaires“. Ce n’est donc pas un hasard que c’est le ministère de l’Intérieur qui fixe la politique des visas et des séjours en Tunisie.
Cependant, ce qui est incompréhensible, c’est que les ressortissants des pays où s’active Al Qaïda (Niger, Mauritanie, Mali, Algérie et Libye) sont dispensés de visas.
On continue à imposer aux autres ressortissants africains des visas injustes, coûteux et difficiles à obtenir… alors que les Européens, qui nous imposent pourtant des conditions humiliantes, sont, eux, dispensés de visas.
Donc, certains opérateurs souhaitent que le ministre de l’Intérieur leur explique en quoi un citoyen du Gabon, du Cameroun ou du Tchad est dangereux pour la Tunisie.
En attendant, la conséquence de cette stratégie “raciste“ et “humiliante“ envers nos frères africains, les hommes d’affaires tunisiens qui se déplacent en Afrique subissent des conditions draconiennes pour avoir des visas. Ainsi, un visa pour le Gabon est plus difficile à obtenir, pour un Tunisien, qu’un visa Schengen; le Congo nous impose un visa à 800 dinars pour une seule rentrée… Sachant également que même les pays qui avaient une politique souple d’octroi de visas ont décidé de changer de stratégie, dans le cadre de la réciprocité.
Dernier en date, le Burkina Faso, qui dispose d’une femme ambassadeur très charmante et disponible et qui délivrait un visa dans le même jour et pour 3 ans avec plusieurs entrées/sorties aux Tunisiens, a décidé d’exiger un délai d’une semaine et un seul accès, comme l’exige notre ambassade à Bamako au Mali (qui couvre le Burkina Faso); ce qui suppose que nos amis burkinabé doivent aller à Bamako pour obtenir un visa pour la Tunisie, alors qu’en même temps on ouvre une ligne aérienne directe Tunis-Ouagadougou. Et on s’étonne que les vols sur cette ligne soient vides. Quelle incohérence!
Il faut savoir ce qu’on veut? Ceci montre que, comme la Tunisie ne dispose pas, jusqu’à aujourd’hui, de politique économique africaine, il ne faut pas s’étonner alors que la BAD soit pressée de quitter notre pays pour d’autres pays plus accueillants.