Quantique ou non, la machine à décrypter universelle, n’est pas pour demain

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é de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney

[03/01/2014 17:15:39] Paris (AFP) L’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) ou les laboratoires de physique les plus en pointe sont encore loin de disposer d’un ordinateur quantique capable de “casser” tous les codes de sécurité, estiment des experts.

Dans son édition de jeudi, le Washington Post, citant des documents divulgués par Edward Snowden, indique que la NSA s’est elle aussi lancée dans la course à l’ordinateur quantique. Dotée d’une puissance de calcul sans équivalent, une telle machine serait à même de décrypter rapidement n’importe quel code informatique protégeant des secrets bancaires, médicaux, des informations gouvernementales ou du monde des affaires.

Les grandes entreprises informatiques et les laboratoires de recherche publics travaillent depuis plus de dix ans sur ces ordinateurs quantiques qui exploitent les propriétés étonnantes des atomes et particules, dont la taille infime leur permet de déroger aux règles de la physique classique.

Dans notre monde quotidien, une porte est soit ouverte, soit fermée. Mais dans le monde quantique, un atome ou un électron peut se trouver comme “suspendu” entre deux états.

Dans un ordinateur classique, l’information stockée dans un “bit” est nécessairement binaire: elle ne peut être que 1 ou 0. Un ordinateur quantique, lui, pourrait contenir un grand nombre d’informations à la fois grâce à sa faculté de “superposition”.

Une faculté qui laisse espérer des vitesses de calcul phénoménales.

“Le secret des codes actuels, comme le RSA (un algorithme couramment utilisé pour les transactions sur internet ou les emails cryptés), c’est que la taille de la clef peut être assez grande pour rendre les calculs trop difficiles”, résume Philippe Grangier, expert en optique et cryptographie quantique.

En 2009, des informaticiens ont certes réussi à découvrir les clefs de cryptage d’un chiffre de 768 bits en utilisant des ordinateurs classiques. Mais il leur a fallu presque deux ans et des centaines de machines pour y parvenir, rappelle le Washington Post. “Casser” un code de 1.024 bits comme ceux utilisés actuellement nécessiterait mille fois plus de temps.

Hors de portée pour des ordinateurs classiques, mais un jeu d’enfant pour un calculateur quantique.

“Un ordinateur quantique serait tellement puissant que même augmenter la taille de la clef ne suffirait plus, l’information deviendrait vulnérable dans tous les cas”, explique à l’AFP M. Grangier.

Un calculateur quantique “manipule en parallèle des quantités qu’on ne sait pas manipuler à l’aide de méthodes classiques (…) “, résume le chercheur français.

Seulement 15 qubits actuellement

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à Hong-Kong, le 6 juin 2013 (Photo : The Guardian)

Mais un ordinateur quantique est particulièrement fragile: il faut isoler individuellement toutes ses particules des influences extérieures afin de préserver leur état quantique et pouvoir les contrôler, ce qui nécessite des températures très basses, des chambres protégées contre les rayonnements électromagnétiques, etc.

Actuellement, les physiciens n’arrivent pas à faire fonctionner ensemble plus d’une quinzaine de bits quantiques ou “qubits”, autrement dit des particules “programmées”, selon Philippe Grangier.

“Quinze qubits, ce n’est pas encore beaucoup! On considère qu’il faudrait une centaine de qubits en interaction pour arriver à quelque chose qui n’est plus calculable par des moyens classiques”, relève-t-il.

“Si on voulait vraiment casser les gros codes RSA, il faudrait au minimum des milliers de qubits, et même probablement beaucoup plus”, estime l’expert.

Les supers espions de la NSA auraient-ils trouvé la recette miracle? Selon Scott Aaronson, de l’Institut de Technologie du Massachusetts (MIT), interrogé par le Washington Post, “il semble peu probable que la NSA soit si en avance par rapport aux entreprises civiles sans que personne ne le sache”.

Et quand bien même, ils se heurteraient aux dispositifs de cryptographie quantique déjà existants, comme celui mis au point par M. Grangier et son équipe et commercialisé par la société française Sequrenet.

Des ordinateurs classiques suffisent pour les mettre en oeuvre en codant la clef de sécurité dans des photons (particules de lumière) ou des impulsions lumineuses, qui ne sont rien d’autre que des “objets” quantiques.

Et par leur nature même, le simple fait de vouloir les mesurer pour tenter de lire les informations qu’ils transportent suffit à les perturber et à donner l’alerte.

“Si l’espion essaye de lire quoi que ce soit, il sera toujours détecté”, assure M. Grangier, le système pouvant alors cesser toute transmission.

Ordinateur classique ou quantique, “ça n’y changerait rien, on suppose même dans les tests de sécurité que l’espion dispose d’un ordinateur quantique, même s’il est bien loin d’en avoir un”, conclut-il.