Médias et politiques : Je te tiens, tu me tiens… je te sers, tu t’en sers

Par : Autres

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service de l’Etat, dans leur grande majorité pendant longtemps, les médias
tunisiens se sont crus émancipés après la révolution du 14 janvier 2011. «La
liberté de presse et d’expression, c’est tout ce qu’on a gagné de la révolution
pour l’instant», cette phrase je l’ai entendue prononcée par des journalistes, à
plusieurs reprises, dans les discussions, sur les plateaux télé, sur les ondes
radio et sur les supports électroniques. Des journalistes qui ne cessent de
revendiquer leur sacrée liberté de parole, qu’ils sont prêts à défendre contre
toute atteinte, notamment de la part des politiques.

Mais sont-ils ou peuvent-ils être aussi libres qu’ils le croient? La liberté
d’expression existe-t-elle vraiment? Critiquer les idées et les agissements de
certains n’est-il pas aussi soutenir et encourager ceux du camp d’en face? La
liberté d’expression ne sert-elle pas, forcément, certains au détriment
d’autres? N’y a-t-il pas un retour pour services rendus? Les relations
qu’entretiennent les médias avec les politiques sont-elles aussi floues que
certains le prétendent?

L’objectivité des médias et des journalistes est relative…

A regarder de près, contrairement à ce que pense la majorité, les rapports entre
médias et politiques ne sont pas aussi ambigus qu’on le croit, bien au
contraire, ces rapports sont très clairs, l’ont toujours été et ne peuvent être
autrement. Entre médias et politiques, c’est exactement «je te tiens tu me tiens
par la barbichette, celui qui dérogera à la règle aura une tapette». Et la règle
qui régit les rapports entre médias et politiques est des plus simples: je te
sers (notamment financièrement), tu me sers et tu t’en sers.

En effet, l’objectivité des médias et des journalistes étant très relative,
voire obsolète et éphémère, la majorité des médias ayant besoin de soutien et
d’accompagnement financier pour continuer à exister, est dans l’obligation de
servir les intérêts ou politiques ou économiques de certaines personnes,
organismes ou partis.

Economiquement, hormis quelques supports qui se comptent sur les doigts d’une
seule main (le canard enchaîné, Médiapart à titre d’exemples), la grande
majorité des supports médiatiques est essentiellement financée par l’argent de
la publicité et dépend, par conséquent, de la générosité des annonceurs. Les
médias sont en effet des entreprises fragiles économiquement, et leur survie est
tributaire essentiellement des recettes publicitaires, qui proviennent soit de
l’Etat (pour les médias gouvernementaux), soit des entreprises privées (pour les
supports privés), qui ne se gênent souvent pas, pour conditionner leur apport
financier, à l’allégeance du support ou du moins «un silence complice» qui
s’apparente au cynisme et qui fait fi de toutes les règles déontologiques d’une
pratique journalistique saine. Certaines entreprises vont même jusqu’à
intervenir dans le contenu des médias, soit pour orienter l’opinion publique ou
pour étouffer certaines affaires embarrassantes, voire pour «écraser la
concurrence» (les guerres médiatiques, même non déclarées, que se livrent les
grandes surfaces, les opérateurs de téléphonie mobile… en sont les meilleurs
exemples).

L’apport économique n’est pas le seul élément qui conditionne les pratiques et
les contenus médiatiques, l’orientation idéologique et politique est aussi un
élément essentiel qui limite la marge de liberté et donc d’objectivité, à
laquelle peuvent prétendre les supports médiatiques.

L’illusion de l’objectivité des médias…

L’objectivité est une illusion derrière laquelle courent les médias depuis la
nuit des temps. Outre la censure et les règles juridiques contraignantes, la
ligne éditoriale et politique choisie ou imposée aux médias fait de la liberté
d’expression une chimère, une illusion, un rêve inaccessible. En effet, comment
peut-on être libre quand on a choisi son camp? Comment peut-on être libre quand
on défend des convictions que d’autres ont? Comment peut-on être libre quand on
rend certains heureux et d’autres pas contents? Et peut-il en être autrement?

Bien sûr que non, être subjectif n’est pas un tort, ce n’est même pas tentant,
ça doit être une revendication. Un support médiatique, c’est avant tout une
orientation et cela ne peut être autrement. Aucun média n’est libre et objectif
totalement. Un support médiatique est conditionné, économiquement, socialement
et politiquement, qu’on veule ou non.

Avoir une ligne éditoriale et politique claire et précise

L’orientation et le conditionnement des pratiques et des contenus médiatiques ne
sont donc pas évitables, c’est une fatalité à laquelle aucun support ne peut
échapper, ils y sont, depuis leur naissance, condamnés. Avoir une ligne
éditoriale et politique est l’essence même d’un support médiatique, qu’il soit
écrit, audio, visuel ou électronique. La meilleure arme pour mieux se vendre,
c’est d’avoir une ligne éditoriale et politique claire et précise.

L’orientation d’un support c’est sa façon de traiter les informations, de
couvrir l’actualité et de produire du contenu. Cette manière de faire diffère
d’un support à un autre, un journal de droite ne traitera pas l’actualité de la
même façon qu’un journal de gauche… et ce n’est guère étonnant, au contraire,
aborder les événements avec les mêmes outils et en adoptant la même vision c’est
ça qui sera étonnant, car tous les supports se ressembleraient, et ce n’est pas
ce que le public attend.

Par contre, ce qui me paraît nouveau et étonnant en ce moment, c’est la valse
des journalistes entre supports divergents. Ces journalistes qui défendent des
idées bec et angles, ardemment, et qui, le lendemain, parlent ailleurs,
autrement! Ces journalistes, qui oublient très rapidement leurs convictions et
dont les pratiques sont condamnables déontologiquement. A ceux-là je dirai,
gentiment et très modestement, qu’être journaliste c’est avoir et défendre des
convictions et pas se vendre au plus offrant, sinon le journalisme s’apparentera
à de la prostitution.

*Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication