La crise de la Tunisie ne serait pas économique, elle serait surtout financière. Le nouveau gouvernement devrait faire face à une crise des finances publiques, explique Ezzeddine Saïdane, expert financier et DG de Directway consulting. «Le déficit du budget de l’Etat pourrait être considéré comme calcifié si l’on voit les 40% consacrés aux salaires ainsi que les autres 40% servant à pallier à la dette publique et aux dépenses de compensation. Reste les 20% pour le titre II (c’est-à-dire les investissements publics) difficilement réalisables qui seraient relégués au titre I. Ce qui revient à dire qu’il n’y aurait pas non plus de création de richesses en 2014».
C’est d’ailleurs ce qui aurait poussé la centrale syndicale patronale, consciente de l’insuffisance des liquidités à proposer un emprunt national de l’ordre de 1 milliard de dinars pour alimenter un fonds destiné à financer à taux nul les investissements privés dans les régions. Ce serait donc aux privés de s’investir et de créer des richesses dans les régions. Une piste pour une redynamisation de l’économie, si ce n’est que l’Etat doit aussi y mettre son grain de sel. Mission improbable si ce n’est impossible pour l’année en cours avec des fondamentaux économiques aussi désastreux.
Ainsi, le déficit réel du budget de l’Etat tournerait autour de 10% si l’on ne tient pas compte des revenus non récurrents comme le Fonds «Ajiel» soit le solde thésaurisé à la BCT suite à la vente d’une partie des 35% de Tunisie Télécoms aux Emiratis.
Ce budget, que l’Etat tunisien voulait consacrer dans le cadre d’une politique de prévoyance aux générations futures, aurait servi à remplir le trou béant des dépenses publiques engendrées par les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir après le 14 janvier 2011 et principalement celui de la Troïka. Un gouvernement qui n’a pas mis en place une politique budgétaire cohérente et conséquente. «Nous n’avons jamais vu un budget d’Etat construit autour d’hypothèses aussi peu plausibles qu’un taux de croissance de 4% ou encore autour d’une mobilisation de ressources non fiscales de l’ordre de 7 milliards de dinars».
Ces ressources proviendraient de financements extérieurs. Mais comment la Tunisie pourrait-elle lever des fonds sur les marchés internationaux avec des dégradations successives de ses notes souveraines et, cerise sur le gâteau, le refus d’être noté par Standard and Poor’s, une des agences de rating les plus crédibles et les plus reconnues au monde?
Si le nouveau gouvernement ne trouve pas de solutions plausibles au problème des ressources financières, le budget 2014 ne pourrait qu’être une réédition du budget 2013. Mais il n’y a pas que cela, la Tunisie souffre d’un taux d’endettement atteignant les 50% du PIB aggravés par 13 points de pourcentage sans que cela ait servi à des investissements créateurs de richesses.
Ce tableau noir pourrait-il virer au plus clair? Oui, répond Ezzeddine Saïdane: «Les deux prochaines semaines seront décisives pour la Tunisie. Malgré le marasme dont souffrent nos finances et notre économie, le nouveau Premier ministre pourrait redresser la barre. Pour cela, il doit veiller au respect de la feuille de route, prouver sa capacité à gérer les affaires de l’Etat en s’adossant à des compétences et en évitant toute influence d’où qu’elle vienne, faire montre d’un pouvoir décisionnel qui remet l’autorité de l’Etat sur les rails. C’est ainsi que l’on pourrait améliorer la perception de l’Etat par nos compatriotes et principalement les investisseurs domestiques et débloquer la situation à l’international en donnant des signaux qui pousseraient tous les partenaires de la Tunisie qui observaient une attitude attentiste à réagir plus favorablement au site Tunisie».
Mehdi Jomaâ pourrait-il enfin faire sortir la Tunisie d’un cercle vicieux qui n’a que trop duré?
Attendons voir.