L’onde de choc du 14 janvier persiste. La transition patauge. Un système de souveraineté hybride s’installe avec le tandem quartet–ANC. Le pays s’installerait-il désormais dans l’instabilité?
Le clivage politique est à son comble, dans le pays. Sa dernière illustration est dans la difficulté à départager les Tunisiens entre les deux dates, à savoir le 17 décembre 2010 ou le 14 janvier 2011 comme date commémorative. Mais de quoi? Du renversement de la dictature, pour les premiers, lequel devait s’achever, vite fait, par un simple ajustement démocratique. De la révolution, pour les seconds, laquelle doit précipiter une deuxième République avec, dans son sillage, la refondation de l’Etat.
On peut regretter que cette crispation entre les deux camps ait fait s’évanouir l’unité nationale. La bipolarisation est désormais bel et bien consommée. Que va-t-il en résulter?
La légitimité électorale : portée et limite
Avec l’élection de l’ANC, le bon peuple a pu penser que le pays semblait s’être orienté sur la voie d’une renaissance démocratique. Quelle n’a été sa déconvenue en constatant, d’entrée de jeu, que l’ANC a dérivé. Le mini destour, cette loi organisant les pouvoirs publics provisoires, a fait chavirer la transition.
Il y a eu comme un parjure, puisqu’elle a refusé de se lier par le délai d’un an pour l’écriture de la Constitution. Etant de nature et d’essence souveraine, l’ANC a mis, légalement, le peuple hors jeu par le biais de ce mini destour. L’ennui est que des voix de sagesse ont appelé l’attention de tous sur les dérives périlleuses de cet acte de subrogation constitutionnelle. Le premier et le plus redoutable d’entre tous, c’est le changement de vocation. Et, en effet, l’ANC s’est muée, souverainement, en Parlement consacrant la plupart de son temps à légiférer et à contrôler le gouvernement, retardant l’achèvement de la Constitution. Ce faisant et dans la foulée, elle a installé un régime d’assemblée. Le second et non moins redoutable est le fait majoritaire. L’intronisation de la Troïka a coupé le pays en deux, majorité et opposition.
La suspicion s’est installée et le prétendu consensus n’est en fait qu’un compromis volatile. De quoi sera fait demain?
L’échec de l’Islam politique : le terrorisme et l’informel.
Au lendemain du 23 octobre 2011, la Troïka a proposé un deal spécial. L’union entre l’Islam Politique et les courants démocratiques. La coalition est contre nature, a dit l’opposition démocratique. La Troïka, a cherché par tous les moyens de démentir cette prophétie. Mais en réalité, elle n’a rien eu à offrir, pour faire taire l’opposition. L’économie s’est effondrée. Les contreperformances n’ont fait que s’accumuler. Et c’est le ministre des finances lui-même, une fois lâché par ses partenaires d’Ennahdha qui agite le spectre du scénario grec. Oui, il n’écarte plus l’éventualité d’un risque de défaut, pour la Tunisie.
La refondation de l’Etat a donc amené, dans son sillage, l’épuisement du secteur organisé et le ras de marée du secteur informel. On peut en juger par les chiffres. L’UTICA emploie environ 1,4 salariés. L’informel occupe, selon les chiffres avancés des chercheurs en sciences sociales, environ 950.000 personnes. Les deux fon, à peu près, jeu égal. La force de l’informel est qu’il est indépendant financièrement du système de crédit et qu’il travaille “full cash“, disposant d’une totale autonomie. Il est par conséquent de lui couper les vivres. Et quand on nous annonce que l’informel établit des passerelles avec le terrorisme, on a de quoi avoir toutes les inquiétudes car le terrorisme disposerait avec l’informel d’un trésor de guerre inépuisable. La convulsion constitutionnelles permanente sur les retouches apportées aux articles de la constitution ne contribuent pas à apaiser les esprits et l’antagonisme économique, nourrit à son tour la rivalité politique. Sur quoi peuvent déboucher ces relents de tensions ?
Les lendemains d’instabilité
Tout bien considéré l’échafaudage politique mis en place après deux ans et quelques mois de Troïka s’avère miné de l’intérieur. Le dispositif institutionnel qui s’installe semble porteur d’instabilité. Tout présage de l’avènement d’un Etat qui serait une souche d’Etat théocratique non avoué.
Le gouvernement de Mehdi Jomaa ne serait qu’un gouvernement d’élections. C’est-à-dire que le paysage électoral du pays ne sera pas modifié et la configuration politique nationale, dans le futur, reproduira celle née du 23 octobre 2011, si le bloc démocratique ne s’impose pas. Donc, le pays risque de passer à côté d’une véritable démocratie consensuelle.
On entend des ténors pavoiser de la réussite, encore intangible pour le moment, d’un prétendu modèle tunisien qui aurait concilié un islamisme modéré avec les exigences de liberté et de démocratie. C’est vite aller en besogne.
Mais rappelons-nous, l’islamisme politique a été brutalement stoppé en Egypte par l’intervention de l’armée. Maintenant la question qui se pose est de savoir si la voie tunisienne est à même de laisser l’islamisme politique s’étouffer par ses propres incohérences et contradictions, comme l’a expliqué Marx à propos du passage d’un mode de production à un autre.
L’option de la résistance pacifique serait-elle donc une stratégie payante? Seul l’avenir nous le dira.