Suite à l’annonce de l’entrée en application d’un nouveau mode d’imposition des agriculteurs et des transporteurs, des actes de vandalisme et de violence ont éclaté dans toutes les régions du pays, en particulier dans les quartiers populaires des grandes villes et dans les régions défavorisées de l’intérieur. Les heurts ont pris au départ un caractère protestataire spontané mais les affrontements ont dégénéré en mouvements probablement organisés. Les soupçons se focalisent sur une volonté d’agitation qui tombe à pic avec la démission du gouvernement d’Ali Laarayedh.
En dépit du changement du gouvernement et de l’interruption de l’application des taxes objet des contestations, les troubles se sont généralisés, laissant les observateurs perplexes quant à l’appartenance et les objectifs des frondeurs et des possibles intrus dans les foules des jeunes composées en grande partie de délinquants, d’après les premiers rapports sécuritaires.
La situation est très proche de facto des phénomènes d’émeutes politiques à connotation criminelle que de révoltes sociales. Pilotée par des bandes voire éventuellement par des mafias -vu le passé judiciaire de certains émeutiers-, la question sociale n’est, en fait, qu’un prétexte des émeutes.
Faut-il rappeler que depuis une certaine période, la Tunisie est devenue poreuse où plusieurs terroristes séjournent. Ils se font discrets, mais leurs agissements ne sont pas moins dangereux en attendant le passage à l’acte. Ce qui se passe, actuellement, doit attirer l’attention pour éviter les sabotages et l’avortement des efforts de la nouvelle équipe gouvernementale.
Prévalence des risques de la menace terroriste
Il a été stipulé dans plusieurs rapports s’intéressant à l’évolution de la situation sécuritaire et des menaces y afférentes que la Tunisie patine presque régulièrement depuis deux ans dans des crises politiques ayant entraîné la détérioration de la sécurité de manière patente. A ce titre et bien que de faible ampleur, lesdits rapports indiquent que les attentats terroristes ont quand même affiché un accroissement de rythme inquiétant.
Ces constats n’ont cessé d’amplifier la conviction sur l’existence d’une situation louche pour l’affaiblissement de l’Etat à travers la polarisation de la société et la destruction de la position socio-économique des populations.
Conséquence: les écarts se sont projetés entre la capitale et la côte, d’une part, et les régions défavorisées concentrées, généralement, près des frontalières, d’autre part.
Le crise sécuritaire qui a suivi l’insurrection de 2010-2011 ainsi que le chaos qui règne en Libye expliquent, entre autres et largement, l’aggravation dangereuse du trafic transfrontalier qui a permis l’entrée en Tunisie de produits dangereux et rentables, composés, principalement, de stupéfiants et d’armes: une nouveauté effrayante. Ce fait consolide les dispositions de préjudice des groupes terroristes pour créer des niches de manipulation des populations les plus vulnérables, composées essentiellement et spécifiquement des jeunes.
Signalons d’un autre côté que le manque à gagner en termes de recettes sur les différents autres produits objet de la contrebande a atteint le chiffre affreux de 2.000 millions de dinars. Ceci donne une idée approximative sur le volume d’activités, sur ce plan, dont le rendement constitue un véritable trésor de guerre pour financer des plans entiers de déstabilisation et d’agitation générale du pays.
Carte du Sud de la Tunisie
Source : La Tunisie des frontières: jihad et contrebande, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord de l’International Crisis Group N°148, 28 novembre 2013, Page 39
Sans céder à l’exagération, l’existence de groupes intégristes, déjà arrivés à l’action contre l’armée et la Garde nationale, poserait des défis de taille aujourd’hui fort probablement dans les villes où criminalité et terrorisme radical essayent de s’associer dans les zones périphériques des principales agglomérations du pays ainsi que dans différentes zones défavorisées.
Malheureusement, le combustible des menaces et des troubles sécuritaires, présentement, en Tunisie est la jeunesse mal encadrée, laissée pour son propre compte et endurant toutes les souffrances de la pauvreté, de la précarité et de l’absence de toute perspective de sortie de crise identitaire qui commence à planer sur les esprits, reléguant en second rang les exigences de croissance et de traçage d’un nouveau modèle de développement humain multidimensionnel.
En termes techniques, il y a lieu aussi de dresser une approche coordonnée pour le renforcement de la sécurité publique, la consolidation des structures de veille et d’analyse des données sécuritaires à extensions sociales et économiques et l’élaboration d’actions urgentes dans les quartiers pour l’intégration des jeunes touchés par le fléau intégriste.
Les priorités doivent être données aussi aux opportunités de créer des zones de libre-échange exonérées de droits de douane dans les régions frontalières tout en privilégiant l’instauration de cadre adapté pour la coopération économique, de l’investissement et de l’aide au développement avec les partenaires stratégiques du pays dans l’intérieur et les grands centres urbains marginalisés.
Pistes de stabilisation sociale
Au risque de voir la vague des violences s’amplifier avec son lot de manipulations et de dégénération incontrôlables, des assurances tangibles doivent être données aux Tunisiens en considérant, à cet effet, l’intégration et l’allègement du problème du chômage devenu presque endémique comme une priorité absolue, et ce à côté de la dynamisation du développement local et régional.
Une part d’adhésion aux efforts attendus à être déployés par le nouvel exécutif résultera, certainement, de son aptitude à donner l’importance requise aux maux économiques et sociaux qui seraient des catalyseurs de soulèvements sans fin.
Une des initiatives à même d’apaiser les pressions serait la constitution de groupes de proximité œuvrant pour enquêter et recenser les exigences à l’échelle locale. Ceux-ci pourraient être formés de forces sécuritaires et de représentants locaux de notoriété pour anticiper et répondre aux crises les plus pressantes.
Des initiatives de ce genre pourraient être expérimentées, dans un premier temps, dans les zones les plus tendues du pays. Les groupes précités devraient focaliser leurs travaux sur deux défis capitaux: la gestion des crises et des violences, d’une part, et le suivi des activités de manipulation dans les quartiers par les groupuscules et les bandes, d’autre part, avec comme but dans le second cas de quantifier les risques des ces actions, d’en déterminer les origines et de trouver une réplique politique appropriée.
Il ne faut pas perdre de vue que face aux lenteurs administratives qui ajournent les créations d’emplois et l’amorçage des projets de développement, le prochain gouvernement pourrait, afin de lever les défis, mettre en place un comité de crise doté des pouvoirs les plus étendus pour activer la concrétisation de ces projets.
Sur le plan institutionnel, les demandes sociales gagneraient, fort remarquablement, à être cadrées suite à un travail réussi et une coopération fructueuse entre l’organisation patronale, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA) et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
A ce titre, la collaboration entre l’UGTT, l’UTICA et les instances internationales ayant pour missions de rassembler gouvernements, employeurs et travailleurs dans le cadre d’une démarche tripartite, en vue d’une action commune pour promouvoir le travail à travers le monde, telle que l’Organisation internationale du travail (OIT), devrait être incitée par l’accroissement d’échanges d’expériences et de rapports d’appui.
Les acteurs sociaux nationaux gardent, avec l’OIT en particulier, des rapports réguliers en matière d’élaboration d’études communes et de formation.
Source : Pour mieux comprendre les mouvements sociaux en Tunisie, Projet de l’Observatoire Social Tunisien, Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux, Octobre 2012
Par ailleurs et pour une meilleure efficacité de la gestion de la condition socio-économique des populations, il est judicieux que le prochain gouvernement entame, dans le cadre de ses actions de réforme, la conception de registres faisant état des principaux indicateurs illustrant les paramètres du développement humain en Tunisie, à savoir le niveau de vie, le savoir et l’accès aux soins médicaux, à une alimentation saine, à l’eau potable et au logement décent.
Un consentement à propos de ces critères enraierait, en partie, que des quotas sélectifs peu ou prou inorganisés ne prévalent au niveau des allocations des ressources et que les résultats des concours financiers gouvernementaux seraient réfutés de manière quasi-systématique par d’éventuels contestataires.
L’adhésion des organisations nationales pesantes, de la société civile et des experts est aussi indispensable à la composition des politiques économiques. Les prochains gouvernants pourraient concevoir des dispositifs de consultations locales limitées afin de prendre en compte les demandes des différentes franges de la société et les impliquer pour suggérer des plans d’action et des programmes se rapportant aux projets économiques et sociaux brûlants et décisifs, notamment sur le court terme.
Privilégier des rencontres avec les populations des régions, les chômeurs, les investisseurs surtout au niveau des petites et moyennes entreprises et les associations de la société civile pourrait également contribuer à faire émerger des solutions adaptées aux problèmes régionaux. Une meilleure conscience des besoins locaux paraît aussi essentielle.
De la sorte, les véritables besoins du pays seront cernés, les ajustements doivent passer par ces zones concaves d’action et grâce à de telles trajectoires, le tissu social et économique serait mieux saisi. Il reste à l’étudier pour cerner davantage ses contours et expliquer les causes des déceptions des Tunisiens durant la dernière période. Cette étape d’analyse est fondamentale pour que l’on puisse réparer les dégâts et éviter les risques de déroute.
Il serait opportun à cet égard d’élargir les solidarités associatives en entretenant les initiatives locales et régionales ainsi que celles émanant des réseaux professionnels. En se posant comme intermédiaire, le prochain exécutif pourrait prévenir et limiter certaines contestations vu que ces dernières, bien que d’ampleur maîtrisable, actuellement, elles restent imprévues et probablement expansives.
Enfin, une problématique fondamentale qui gagnerait à être discutée sur le plan institutionnel est celle de la décentralisation politique, économique, financière et des instances d’appui. Posée surtout par les populations des régions, cette question paraît comme le plus important défi à lever sur le plan social: construction d’infrastructures dans les zones délaissées, exigence de représentation institutionnelle des zones intérieures et conciliation entre les rôles de la capitale, la côte et la bande ouest.
Cette difficulté est partiellement consensuelle parmi la composition des formations politiques, qui s’avèrent en effet s’accorder sur le sérieux d’un redécoupage du pays indépendamment des niveaux de représentativité.
Il est opportun de créer de nouvelles structures régionales ou des districts, en préparant des dispositifs de redistribution des richesses selon des pondérations bien définies entre les régions pour limiter les disparités.
Ces nouvelles collectivités pourraient être dirigées par des conseils élus aussitôt par les citoyens, assurant les fonctions d’autorités intermédiaires qui focaliseraient les revendications localistes et régionalistes. Ils seraient munis d’une allocation fiscale cohérente, ce qui encouragerait les investissements de façon horizontale et installerait en valeur les ressources locales.
La mise en place de nouvelles structures décentralisées dans une logique de développement social et économique, l’affermissement du pouvoir décisionnel des nouvelles rangées administratives, l’élévation des ressources financières des collectivités sont autant de voies de restructuration ambitionnées depuis des décennies.
Ces mesures permettraient de renforcer le processus démocratique tout en amendant l’efficacité du développement dans une démarche de croissance inclusive. La mise en œuvre de ces projets est plus que jamais pressante.
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