Tunisie – Corruption : La justice transitionnelle détrônera-t-elle la Commission Hnane?


justice-54s5d4s.jpg«Nous
pensions bien faire en nous investissant corps et âmes dans nos investigations
sur les biens mal acquis. Nous voulions rétablir les vérités et rendre à César
ce qui est à César. Malheureusement, aujourd’hui, nous sommes incapables de
savoir ce qu’il est advenu des biens confisqués, ni de ce qui se passe quant à
leur gestion, laquelle n’est pas des plus transparentes, d’après ce que nous
croyons savoir».

Le constat est amer, il sort de la bouche de l’un des membres les plus
consciencieux de la Commission sur la confiscation des biens mal acquis établie
par décret-loi en février 2011.

Aujourd’hui, à cette Commission a succédé une autre, celle de la gestion des
biens confisqués. Les informations qui en transparaissent ne sont pas des plus
rassurantes. Il y en a qui parlent de pratiques douteuses, d’autres dénoncent
une volonté délibérée de laisser des entreprises solides et des groupes
importants se désintégrer pour mieux les céder ou mieux encore se les partager…

Personne ne peut jurer de rien en cette période d’eaux troubles dans lesquelles
baigne la Tunisie. Mais ce qui est sûr, c’est que des travailleurs ont perdu
leurs postes pour avoir eu la «malchance» d’être employés dans les entreprises
des «autres», les «pestiférés» -ceux qui faisaient partie du clan proche de
l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Et rien qu’à voir le stade de
décrépitude auquel est arrivé Bricorama ou la hardiesse qu’on met à mettre à
genoux l’association Basma Inter-arabe et à se débarrasser sous ou sur la table
des entreprises gérées par la Commission de gestion des biens confisqués, on se
demande si c’est la meilleure manière de récupérer les biens volés à l’Etat, de
préserver les postes d’emplois ou encore de faire les «meilleures affaires».

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Il y a quelques jours, la Constituante votait la loi sur la justice
transitionnelle. Dans l’article 7, il est dit qu’il revient aux instances
judiciaires, aux instances administratives et aux tribunaux d’assurer la gestion
des procès selon les lois en vigueur. Toutefois, l’article 8 stipule que des
cours d’exception seront intégrées dans les tribunaux de première instance pour
traiter des affaires se rapportant aux affaires de droit de l’Homme, aux
malversations, à la mauvaise gestion des deniers publics et à l’immigration
obligatoire pour cause de choix politiques.

Le rêve d’une justice transitionnelle est d’un seul coup devenu un cauchemar car
taillée sur mesure par la «majorité légitime» à la Constituante. Il ne resterait
plus que de se référer aux tribunaux mis en place pour juger les “Nazis“
tunisiens !

Pendant ce temps, la Commission sur la confiscation des biens où l’on estime,
d’après Néjib Hnane, son président, que «le décret-loi portant confiscation des
bien est en lui-même la résultante du contexte de l’après-14 janvier 2011,
durant lequel on se devait de satisfaire aux revendications d’un peuple qui se
trouvait spolié de ses biens», travaille d’arrache-pied pour arracher les biens
qui restent en suspens ou sur lesquels subsiste le moindre doute quant à leur
provenance.

La situation de la Tunisie d’après-14 janvier, aussi bien sur le plan politique
qu’économique et social, aurait prédisposé à la promulgation d’un décret-loi qui
suscite aujourd’hui bien de questions aussi bien d’ordre éthique que légal. Mais
cela les membres de la Commission sur la confiscation ne l’avoueront pas et ne
le reconnaitront surtout pas.

La mise en place de cette commission était nécessaire

Le CPR –Congrès pour la République- et son appendice aujourd’hui (Al Wafa)
avaient jubilé, eux qui n’avaient pour programme électoral que la lutte contre
la corruption car leurs fondateurs seraient au dessus de tous soupçons même si
aujourd’hui nombre de leurs acquisitions immobilières nous poussent à nous
pousser des questions… Mais les organes de gouvernance et la brigade
économique sont faits pour cela n’est ce pas?

En tout cas, pour Néjib Hnane «la décision de confiscation émise par le décret
était nécessaire parce que la Tunisie avait ratifié une convention onusienne sur
la corruption». Une convention laquelle, en passant, ne limitait pas les
prérogatives de l’Etat à l’établissement des listes des opérateurs publics ou
privés qui s’adonnaient à des malversations ou qui profitaient des passe droits
mais touchait également aux réseaux de blanchiment d’argent et à la contrebande
toutes activités confondues… Cela reste une question de point de vue.

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A l’époque, il s’agissait surtout de règlements de compte entre clans et lobbys.
Aujourd’hui les clans et les lobbys ont changé de bord, la contrebande, les
malversations et la corruption ont évolué de plus belle, mais Me Mbazza n’est
plus là pour promulguer une autre liste.

Néjib Hnane se contente pour sa part et à ce jour de se référer à la première
liste, celle des 114 et «d’apprécier la valeur juridique et morale du texte
promulgué en 2011 et de procéder à l’évaluation du décret N°13 et du degré de sa
conformité avec la convention internationale, ou des lois tunisienne, ce qui me
paraît équitable».

Selon le décret en question, les 114 personnes citées auraient acquis ou accru
leur fortune sur la base du profit tiré de l’exercice du pouvoir par Ben Ali et
ses proches. «Ce faisant, en nous approfondissant dans nos investigations,
précise M. Hnane, nous avons réalisé qu’il y a 4 parties citées dans la liste,
qui sont les numéros 109, 110, 111, 112, à savoir Abdallah Kallel, Abdelaziz Ben
Dhia, Iadh Wedhrni, et Abdelwaheb Abdallah qui pourraient échapper à
l’application littérale de la loi. Pour ces cas, nous avons constaté que les
fortunes acquises durant la période où ils ont été au pouvoir sont
proportionnelles à leurs revenus. Par conséquent, la base juridique de
l’édiction du texte ne s’applique pas à leurs cas et nous pouvons conclure que
la sanction est plutôt civile ou politique».

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Ensuite, «l’autre affaire touche au numéro 10. Nous n’avons encore pris aucune
décision le concernant. En tant que pénaliste et civiliste, je prétends avoir la
capacité d’apprécier les textes de lois. Et en approchant de très près son
patrimoine, nous avons découvert qu’il peut être réparti en 3 parties: celle se
rapportant à des projets amplifiés avec sa femme, celle touchant à l’héritage
familial et celle constituée et fructifiée entre membres de la même famille et
des tiers». Dans ces cas précis, certaines sociétés n’ont pas été concernées par
la procédure judiciaire et d’autres que nous avons jugé aptes à une levée
partielle des mesures de confiscation».

La question qui se pose: devons-nous imposer une justice aveugle en faisant fi
de l’équité? «Le législateur nous a intimés l’ordre de confisquer tous les
biens, sauf ceux issus de l’héritage».

C’est la grande question! Où finit l’héritage et où commencent les biens
“mal-acquis“? «Je tiens à ce propos à préciser que les membres de la Commission
de la confiscation sont irréprochables professionnellement parlant. Leurs
profils répondent parfaitement au genre de mission qu’on leur a assignée. Notre
commission est composée de spécialistes en droit pénal, administratif et
financier, et je ne doute pas de leur intégrité, ils ne lèseront personne et ne
dépossèderont aucune partie d’un patrimoine bien acquis. Ceci étant, n’oublions
pas qu’il y a le recours aux tribunaux qui reste ouvert à tout le monde et il y
a le jugement de Dieu le Tout puissant».
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Mais il y a aussi un autre recours, celui de la réconciliation. Un recours qui
pourrait aujourd’hui être plus aisée grâce à l’adoption récente de la loi sur la
Justice transitionnelle.

Néjib Hnane avait déjà parlé de réconciliation: «Il s’agit d’un accord qui peut
se faire entre les différentes parties et l’Etat. Il n’est lié ni à l’état des
lieux du pays ni à des considérations politiques. L’appréciation ne doit pas
nécessairement être en relation avec la question de la confiscation. Bien au
contraire, car la Convention contre la corruption stipule qu’une économie
malsaine où il y a des malversations ne peut qu’être une source de blocage. Les
Etats concernés ont intérêt à assainir l’économie. Il s’agit là de rétablir la
confiance entre l’Etat et le secteur privé. Il est grand temps d’en finir avec
le feuilleton de la confiscation, le climat économique et entrepreneurial du
pays s’en portera mieux et nous pourrions rétablir l’ambiance de confiance. Les
investisseurs étrangers apprécieront».

Toutefois, l’alinéa 2 du fameux décret-loi présidentiel qui a lancé la mode des
listes en Tunisie donne plus de prérogatives aux «exécutants testamentaires» du
décret Mbazaa car ils peuvent élargir la liste des victimes de la confiscation à
d’autres qui auraient approché de près ou de loin les maîtres de l’ère Ben Ali.
Conséquence: toute une catégorie d’opérateurs privés a été mise en émoi, car ne
sachant plus si elle est concernée ou pas. D’ailleurs, le président Mbazaa
lui-même aurait dû se poser la question. Serait-il celui qui a échappé à toutes
les tentations, et qui aurait été exempt de toutes les interventions, lui qui a
tenu pendant plus d’une décennie le Parlement? Un exemple édifiant en la
matière, celui de Sama Dubaï, voté sous ses assises…

«Le législateur, dans le décret-loi n°13, a donné l’ordre dans ce texte de
confisquer tous les biens des membres figurants sur la liste des 114 sauf ceux
en rapport avec l’héritage; pour l’alinéa II, il y a un travail d’appréciation à
faire. Nous ne pouvons nous permettre de mettre la main sur quelque chose qui
appartient réellement aux autres au nom de procédures engagées à leur encontre.
Dans le droit positif, nous ne pouvons porter atteinte au droit de la propriété,
un droit sacro-saint sauf dans le cas de textes limités dans leur interprétation
et leur application, car c’est un droit sacré et absolu».

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Le plus important dans les travaux d’investigation, estime le président de la
Commission sur la confiscation, est la source des informations qui doit être
au-dessus de tous soupçons. «Nous avons nombre de sources d’information:
premièrement, les données de base, et nous sommes bien documentés et bien
informés à propos de la liste des 114. Deuxièmement, il y a le rapport de la
Commission contre la corruption mais nous ne nous en contentons pas car il reste
insuffisant. Il faut corroborer les preuves et les informations. Nous avons une
méthodologie scientifique et nous respectons l’éthique et nos convictions
religieuses. Nous avons le devoir et l’obligation de respecter les règles
établies par l’Etat et nous avons la responsabilité de respecter les droits des
uns et des autres devant l’Etat et à l’international. N’oubliez pas que ceux qui
se sentent lésés peuvent nous attaquer à l’international, c’est une arme qui
rend ma responsabilité encore plus lourde à supporter».

Néjib Hnane a eu à débattre avec des représentants de la BM (Banque mondiale),
du FMI (Fonds monétaire international) ainsi qu’avec les hautes autorités
juridiques mondiales et même les associations des droits de l’Homme. Ces
organisations ont été surprises par son approche et la rigueur du travail de sa
Commission.

Comme Monsieur Hnane a raison! On peut, il est vrai, admirer le travail d’une
Commission qui s’est sentie investie d’une mission divine, celle de rendre
justice au peuple et son dû. Quoique que plus que l’argent, ce sont les fausses
valeurs instaurées pendant plus d’une décennie par le pouvoir Ben Ali qui ont
mis à genoux le pays. Le Tunisien qui se valorisait du temps de Bourguiba par
ses diplômes se valorisait du temps de Ben Ali par la marque de sa voiture.
C’est l’enseignement et son importance qui ont été démystifiés, c’est de se
sentir jugé parce que l’on possède plutôt que parce que l’on est qui a fait le
plus de mal à la Tunisie, c’est l’effondrement de la qualité de la culture et de
l’enseignement et d’avoir fermé les yeux sur les pratiques de corruption qui les
avaient détournés de leur rôle initial, celui de préparer les élites qui ont le
plus nuit à notre pays.

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C’est le trafic d’influence dans les universités et la mise en place d’un
système d’éducation en décalage total avec les besoins des jeunes et du marché
du travail qui ont détruit le pays. Mais ce sont des délits «mineurs» face à
ceux de «l’argent» qui ont échappé à la liste Mbazaa. Mais comment convaincre
ceux qui avaient assisté à la mascarade du Palais de Sidi Bousaid et qui se sont
sentis personnellement dépossédés de biens qui ne leur appartiennent pas que le
problème fondamental de la Tunisie aujourd’hui est celui des valeurs.

La crise de la Tunisie est une crise de valeurs, de justice, d’intégrité, de
gouvernance, de gestion, de compétences et de courage. On l’a réduite à des
critères purement et bêtement matérialistes.

Y aurait-il un autre décret Mbazaa pour juger ceux qui ont détruit les valeurs
ou ceux qui en ont fait commerce pour détenir les rennes du pouvoir?

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