«Ce dossier a constitué un paradoxe: après que l’Assemblée nationale constituante, qui avait inscrit (dans la Constitution) le principe de la justice fiscale, a tenu à adopter la loi de finances 2014 malgré les protestations, certaines de ses dispositions de cette loi impopulaire ont été suspendues (par le gouvernement, ndlr)». En ouvrant les travaux de la conférence sur «la loi de finances 2014 et la justice fiscale», organisée (samedi 18 janvier 2014) par l’Observatoire Tunisien pour l’Indépendance de la Justice (OTIJ), en collaboration avec la Chambre des conseillers fiscaux et avec le soutien de la Fondation Hans Siedel Maghreb, Ahmed Rahmouni, président de l’OTIJ, a annoncé la couleur et l’orientation qu’ils vont prendre.
Les quatre orateurs qui se succèdent, pendant près de huit heures, en plénière ou dans le cadre d’ateliers, vont rivaliser d’affirmations et d’arguments pour démontrer que le texte tant décrié n’a non seulement pas amélioré la fiscalité tunisienne mais en a empiré et aggravé certains défauts et faiblesses.
Skandar Sallami constate, par exemple, que le rapport des forces entre l’administration fiscale et le contribuable risque d’être déséquilibré davantage en faveur de la première du fait de l’article 9 du Code des droits et procédures fiscales.
D’après le président du Groupement professionnel des conseillers fiscaux, dans sa nouvelle mouture cet article autorise l’administration à accéder, dans le cadre d’un contrôle, à tout document concernant un contribuable, mais accorder de garanties supplémentaires à ce dernier. En particulier, l’administration est fondée à agir en l’absence de tout contrôle judiciaire et sans être astreinte au respect d’un délai pour répondre à la réponse d’un contribuable concernant la décision de le soumettre à un contrôle fiscal.
Or, l’absence de délai est pénalisante pour l’entreprise car, explique Skandar Sallami, celle-ci est tenue de provisionner –pour une durée indéterminée- un certain montant pour «faire face au risque fiscal» auquel elle est exposée. Raison pour laquelle Ali Abbassi, délégué d’Etat au Tribunal administratif appelle à «restreindre le pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale en mettant en place un mécanisme limitant la liberté qui lui est accordée». Selon lui, il faudrait, par exemple, que le législateur intervienne «pour déterminer les cas dans lesquels l’administration fiscale peut rejeter la comptabilité d’un contribuable».
Lassaad Dhaouadi a, de son côté, épinglé le gouvernement de la Troïka en ce qui concerne la transparence et la lutte contre l’évasion fiscale. D’après l’ex-président de la Chambre des conseillers fiscaux, la décision de limiter le montant des paiements en cash à 20.000 dinars en 2014, 10.000 dinars en 2015 et 5.000 en 2016, «n’aide aucunement à lutter contre l’évasion fiscale».
Doutant de la volonté de la majorité actuellement au pouvoir de vouloir changer les choses dans ce domaine, Lassaad Dhaouadi tourne en dérision la décision de taxer la résidence secondaire «au lieu de cibler les revenus immobiliers qui se comptent en millions de dinars».
Abondant dans le même sens, Férid Sghaier, conseiller à la Chambre de cassation du tribunal administratif, estime que «la justice fiscale est aujourd’hui entravée en Tunisie» et qu’elle est entravée par certains aspects du système fiscal tunisien, dont le tristement célèbre «régime forfaitaire». Or, ce régime –conçu au début pour bénéficier à un petit nombre de contribuables qui n’a cessé de s’élargir au fil des ans, «n’a jusqu’ici fait l’objet que de tentatives de rafistolage et jamais d’une réforme en profondeur».