Entre discussion et adoption, le texte de la Constitution prend forme, cahin-caha. Le texte n’a pas, à proprement parler, une veine constitutionnelle innovante. Le consensus, n’ayant pas pris un cours fusionnel, glisse vers le compromis. Gare aux revirements.
Bémol toutefois, les juristes veillent au grain en auditant les articles de loi votés.
Les membres de l’Association tunisienne de droit constitutionnel ont célébré, le 7 janvier dernier, en partenariat avec l’association “Democracy Reporting International“, la deuxième journée d’études dédiée à la mémoire de leur célèbre aîné, Pr Abdelfattah Amor. Le thème est, on ne peut plus d’actualité, à savoir “La Constitution, entre discussion et adoption“.
Nos juristes suivent, attentivement, les péripéties de la rédaction de la Constitution. Ce faisant, ils apportent au débat public leur expertise. Nous saluons leur initiative d’audit constitutionnel, destinée à éclairer le bon peuple. Agissant, en pédagogues, leurs appréciations sont édifiantes sur la qualité du texte, ses forces et ses carences.
Un précieux travail d’ingénierie
La période transitoire dans notre pays s’est éternisée. C’est la faute aux constituants, qui n’en finissent pas d’en finir. Le fait majoritaire les a fait braquer les uns contre les autres, les plongeant dans des controverses sans fin, sur une toile de fonds, toute de suspicion. Ce clivage a débouché, en bout de course du Dialogue national haletant, vers une Commission de consensus, qui a pu dénouer ce bogue, sous le dôme de l’ANC.
Nos juristes se penchent sur cet effort de replâtrage pour ouvrir les yeux à l’opinion publique. Ils sont, dans leur rôle quand ils agissent, d’une certaine manière, en éminence du droit constitutionnel dans notre pays. Ils ne jouent pas aux templiers du droit, car ils agissent, en responsabilité. En la matière, leur seul moteur est leur sentiment patriotique. Pas plus qu’ils ne se posent, en clergé de la pensée s’improvisant en observatoire spontané et bienveillant.
De grande ouverture d’esprit, ils s’obligent au débat contradictoire, au grand jour. D’ailleurs, les représentants des courants ultra dans notre pays ont pu prendre part aux débats, de cette journée, et marquer leur différence, sans rencontrer ni aversion ni répulsion, de leur part.
Ils sont “indéstabilisables“, car par réserve pédagogique, ils gardent le débat dans le périmètre de la science juridique. De ce fait, ils se retrouvent dans une position confortable.
Jouissant de l’aplomb du savoir, ils se hissent, d’une certaine manière, au-dessus des lois. Ces lois, dont ils ont, souvent, ciselé la lettre et sculpté l’esprit. On les regarde, par conséquent, comme une cour suprême. Du haut de leur stature, leur opinion tombe comme une sentence. Leurs attendus, exprimés avec élégance et concision, sont un véritable travail d’ingénierie constitutionnelle. Malgré leur attitude de neutralité, leur amertume est perceptible et leur déconvenue transparaît.
Un débat qui devait être historique…
Les débats à l’ANC ne se sont pas élevés à la hauteur qu’ils escomptaient, laissent-ils entendre. Leur déception est grande. Les débats ont été “indigents“ et ils ne pourront pas, hélas, en entretenir leurs étudiants pas plus qu’ils n’y voient un legs instructif, pour les générations futures.
Le débat était sensé, historique. Il ne fera pas date, regrettent-ils. Les échanges sont restés sans apport innovant pour la science juridique. Le printemps arabe, à travers le texte constitutionnel tunisien, s’est vite rabougri et les fruits n’ont pas porté les promesses des fleurs. S’attendant à une prouesse juridique, ils sont pris à contrepied par les constituants, lesquels ont déversé, selon eux, dans la chamaillerie de chapelles. Ce qui les irrite est que le pays est qualifié, avec son parcours réformiste confirmé, pour présenter au monde une Constitution phare.
Leurs ambitions rentrées, on les voit frustrés de voir le texte porter les traces de nos affrontements idéologiques que de notre patrimoine civilisationnel. Nous trouvons que les interventions régulières des juristes tunisiens, les constitutionnalistes notamment, sont comme un mur de soudainement aux débats des constituants.
Le consensus au forceps
Au plan didactique, les “attendus“ des juristes sont d’une grande pertinence. La Commission du consensus est à l’instar des “boîtes à surprise“ des parcs d’attraction, une machine à faire des “acrobaties“. Ainsi en est-il de l’entente sur les valeurs “nobles“ ou “supérieures“ des droits de l’Homme. Cela affecte la qualité du texte.
Dans le même esprit, le vote des modifications proposées revêt aussi une certaine incohérence. Les députés peuvent voter par oui ou par non, et de même ne pas avoir d’opinion. Ce n’est pas une attitude conforme à la nature du mandant populaire. On est ou pour ou contre, l’indifférence, politiquement, est insignifiante.
La dérobade à l’appartenance méditerranéenne de la Tunisie verse dans la même irrationalité méthodologique. Au bout du compte, l’on voit que le texte est “décousu“ et sans âme. Réfléchis, les juristes disent avec prudence qu’il est “reprisé“, mais qu’on arrive à mettre debout. Peut-il “raccommoder“ les Tunisiens entre eux? Voilà notre principale interrogation.