Tunisie – Loi de finances 2014 : Eclairages sur une cacophonie gouvernementale!

Par : TAP

controle-fiscal-01.jpgL’élaboration d’une loi de finances complémentaire relève de l’urgence pour les principales organisations économiques et sociales du pays, et constituera l’une des épreuves économiques sur la base de laquelle sera jugé le nouveau gouvernement de Mehdi Jomaa, en cours de formation.

Cette loi rectificative doit réparer les dégâts engendrés par la loi de finances 2014 dont l’entrée en application a suscité un tollé dans le pays. Il s’agit notamment de mobiliser des ressources pour combler le manque à gagner engendré par la décision du gouvernement sortant de suspendre les redevances sur la circulation et des augmentations sur les hydrocarbures estimé respectivement à 69 MDT et près de 220 millions de dinars, selon les déclarations du ministre des Finances.

Le nouveau gouvernement doit pouvoir tirer les leçons aussi bien des erreurs commises dans l’élaboration du contenu de la loi de finances 2014 que des défaillances constatées dans le processus de préparation, d’adoption et de médiatisation de cette loi.

En effet, le comportement du ministère des Finances, du gouvernement et de l’ANC, durant l’examen et l’adoption de la loi de finances 2014 ainsi qu’après le mouvement de protestations soulevé par l’augmentation des redevances sur la circulation, n’a pas brillé de clarté ou de précision.

Cacophonie de déclarations et de communiqués

Samedi 11 janvier 2014, le ministère des Finances a publié un communiqué dans lequel il annule les redevances sur la circulation prévues dans la loi de finances 2014, comme cela a été annoncé deux jours auparavant, par le président du gouvernement démissionnaire qui a fini par faire marche arrière sur cette question sous la pression des foules en colère.

Le département, qui avait annoncé quelques jours auparavant, le maintien des redevances, n’est ni à son premier ni son dernier revirement dans ce domaine.

Plusieurs jours après le déclenchement des protestations populaires contre les nouvelles redevances, le ministre des Finances, Elyes Fakhfakh, avait tenu une conférence de presse -c’était le 8 janvier 2013-, au cours de laquelle il avait, vainement, essayé, dans une tentative de communication tardive, de vulgariser les redevances décidées dans la loi de finances 2014 et d’expliquer les enjeux financiers pour le budget de l’Etat.

Il avait, notamment, précisé que l’abandon de ces dispositions risque d’alourdir les charges de l’Etat, lequel ne dispose pas d’autres alternatives pour mobiliser des ressources supplémentaires et booster la croissance économique.

Quelques jours après l’annulation, le responsable gouvernemental a rebondi encore sur le sujet -c’était le jeudi 16 janvier- pour annoncer à l’agence TAP, en marge de la réunion de la commission mixte de l’Open gov et de la transparence budgétaire, une suspension pure et simple de l’augmentation des prix des hydrocarbures, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2014.

Vingt quatre heures plus tard, vendredi 17 janvier, il opère un autre revirement niant purement et simplement, dans un communiqué publié par son département et repris par certaines radios, les chiffres avancés la veille sur le manque à gagner.

La réaction du ministère des Finances dénote de l’absence de stratégie claire en matière de communication, que le ministre a fini par reconnaître mais a laissé au prochain cabinet le soin de s’en occuper. «Le prochain ministre doit accorder davantage d’importance à la communication et oeuvrer à éclairer l’opinion publique sur tout ce qui concerne les dossiers importants», a-t-il dit.

Mesures impopulaires et récupération politique

A quelques heures, seulement, de l’annonce de sa démission, le chef du gouvernement sortant, Ali Larayedh, avait tenu à communiquer lui-même la décision de suspension des redevances sur la circulation dans une tentative de limiter les dégâts causés par les redevances aussi bien pour le pays que pour le parti auquel il appartient. Des dégâts dont la portée ne devraient pas se limiter aux volets matériels.

En effet, des recettes de finances, des sièges d’établissements publics ainsi que des locaux du parti au pouvoir, Ennahdha, avaient également été saccagés dans certaines régions du pays, notamment dans le centre-ouest, rappelant des évènements similaires déclenchés à la suite de mesures tout aussi impopulaires décidées en 1984 et touchant les prix du pain.

A cette époque, le gouvernement de Mohamed Mzali avait pris la décision de réduire la subvention sur le pain et d’augmenter son prix, ce qui avait donné lieu à une contestation populaire connue sous l’appellation «les émeutes du pain» que le régime avait violemment réprimées avant d’annoncer l’abandon des augmentations.

Quant à l’ANC, qui a bouclé la loi de finances en moins d’une semaine et adopté toutes les dispositions à la majorité, en l’absence de bon nombre des députés de l’opposition, et ce en dépit des vives critiques formulées contre le projet par la plupart des organisations professionnelles, syndicats et patronats confondus.

Quatre-vingt (80) constituants parmi les membres de l’Assemblée ont signé, le 8 janvier, une pétition pour revendiquer l’annulation des nouvelles taxes sur les véhicules prévues par la loi de finances pour l’exercice 2014. Cette position adoptée dans la foulée des contestations populaires aurait eu plus de crédibilité si le projet de loi de finances avait été dûment examiné au sein des commissions et en plénière.

Selon un membre de la Commission des finances, de la planification et du développement à l’ANC, les projets de budget de l’Etat et de la loi de finances 2014 ont été déposés par le ministère auprès de l’Assemblée le 15 novembre dernier alors qu’ils auraient dû l’être «au plus tard le 25 octobre», conformément à la loi organique du budget.

L’Assemblé, qui a achevé l’examen en plénière de la loi de finances 2014 en 5 jours, a adopté tard dans la nuit de dimanche à lundi (29/30 décembre 2013) un article ajouté séance tenante, portant création d’un Fonds de la dignité au profit des victimes de la dictature dans un forcing qui a surpris aussi bien le ministère de tutelle que l’opinion publique.

Indépendamment de la vive polémique suscitée par ce fonds, son ajout à la dernière minute au projet de loi de finances dénote de l’absence de vision globale concernant un texte qui devrait servir de référence à la politique économique de l’Etat tout au long d’une année et pendant une période de transition marquée par l’exacerbation des tensions sociales et politiques.

L’élaboration d’une loi de finances complémentaire sera une occasion pour le gouvernement d’apaiser les tensions à l’intérieur, et de relooker l’image du pays auprès des agences de notation de manière à reconquérir un tant soit peu la confiance des bailleurs de fonds internationaux, dont l’apport financier demeure décisif pour le pays.