A quelques heures de l’adoption définitive de la Constitution, le patronat et certains experts économiques ultralibéraux ont exprimé leur déception du fait que la nouvelle loi des lois n’ait constitutionnalisé aucune liberté économique, particulièrement la liberté du travail et la libre initiative.
Gros plan sur une réaction pas toujours justifiée.
La première à le regretter n’est autre que Wided Bouchamaoui, présidente de la centrale patronale, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA). Intervenant, jeudi 23 janvier 2014, à l’occasion de la cérémonie pour le Forum des Fédérations du Canada, elle s’est déclarée «vraiment triste» que la nouvelle Constitution ne stipule aucun article à caractère économique.
Elle a ajouté qu’en dépit des efforts fournis pour inclure le droit au travail dans la Constitution, et ce parallèlement à la constitutionnalisation du droit à la grève, la centrale «n’a pas trouvé une bonne écoute auprès des constituants» pour faire adopter une disposition constitutionnalisant l’initiative privée, voire la liberté d’entreprendre».
Pour sa part, Hachemi Aleya, universitaire et expert économique, a relayé la présidente de la centrale patronale et déclaré sur les ondes de Radio Express Fm que «le projet de Constitution consacre la prédominance de l’Etat, et occulte de manière étonnante les libertés économiques», rappelant que «sur 17 libertés mentionnées dans le projet de Constitution, seule la liberté de propriété y figure».
Il déplore cette omission et perçoit dans la prédominance de l’Etat une opportunité pour la consécration d’une nouvelle dictature, l’assistanat et l’intensification des pressions sur le budget de l’Etat lequel ne peut pas éternellement garantir, avec l’efficience requise, tous les droits, notamment ceux ayant trait à l’emploi, à un enseignement et à des soins de qualité. D’où l’enjeu, pour lui, d’associer, impérativement, le secteur privé à la résolution de ces problématiques.
Monia Saidi, porte-parole de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), a regretté la non constitutionnalisation de la liberté d’entreprendre, et rappelé en substance qu’avant de créer des travailleurs et des emplois, il faut créer les employeurs, et par conséquent, les entreprises génératrices d’emplois et de sources de revenus.
Dans l’ensemble, il me semble que ces réactions sont fort tardives et exagérées pour deux raisons très simples. La première consiste en le fait qu’on ne peut tout mettre dans une Constitution. Mustapha Ben Jaafar (MBJ), président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), s’est expliqué au sujet de cette omission. Il a déclaré que «la nouvelle Constitution a été conçue dans un esprit consensuel et peut, par conséquent, satisfaire tous les Tunisiens et peut en même en temps ne pas plaire à aucun tunisien. «L’important est qu’elle ait pris en considération, à un fort taux, les attentes et convictions de tous les Tunisiens», a-t-il-dit.
La seconde raison est de toute évidence le souci des constituants de conférer à la Constitution le maximum d’équilibre et de cohérence. Ainsi, comme l’avait précisé MBJ, «la liberté de travail n’a pas été constitutionnalisée car sa constitutionnalisation risque d’être mal interprétée au stade de l’application et de compromettre le droit de grève des travailleurs».
Il a toutefois nuancé ces propos en soutenant que la liberté de travail est implicitement garantie par l’article 48 qui encadre l’application du droit de grève sans trahir son esprit. «Des garde-fous ont été institués dans l’article 48 pour gérer au mieux ce droit et préserver ceux des citoyens à un service minimum en cas de grève», a-t-il noté.
Par delà les déclarations des uns et des autres, il est intéressant de rappeler aux patrons et aux experts ultralibéraux que cette Constitution est une Constitution à vocation essentiellement politique (la Constitution des libertés selon MBJ), et qu’ils n’ont pas trop à s’en faire car ils oublient qu’ils ont leur propre “Constitution économique“, en l’occurrence, le nouveau Code des investissements lequel garantit toutes les libertés économiques (liberté d’entreprendre, libre initiative…).
Conséquence : ils ont tout intérêt à mettre la pression sur le gouvernement et l’ANC pour que ce Code voie le jour dans les meilleurs délais.