«Monsieur le ministre, il est vrai que l’économie parallèle n’est pas ce qu’il y a de mieux, mais elle peut être d’un très grand secours sur le plan social car elle permet quand même de faire vivre des centaines de familles»! Véridique c’était lors d’une conférence de presse avec Mehdi Jomaâ, à l’époque ministre de l’Industrie, et le journaliste compatissant n’était autre qu’Oussama Ben Salem, directeur général de Zitouna TV et fils de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Moncef Ben Salem.
«Wal Chay3ou min ma3tahou la yostaghrabou»… Pourquoi s’étonner lorsque cela coule de source… et en la matière, nous ne savons pas à ce jour comment sont financées les télévisions, telles la Zeitouna, Al Moutawassit, ou encore tout récemment, qui sont les véritables acquéreurs de la chaîne Hannibal TV, d’où viennent les financements et s’ils sont des «front men» ou les véritables maîtres du jeu?
Si les financements occultes des médias sont très dangereux, car il y va de la sécurité du pays, il y a aussi la sécurité socioéconomique qui est menacée par la prolifération des activités de l’économie parallèle et principalement du commerce informel. Et alors que les observateurs estiment qu’il y a un certain laisser aller de la part des organes de contrôle local, les services de douane réagissent en mettant l’accent sur l’équipement surtout au niveau de la frontière libyenne.
Ainsi, dans l’étude toute récente intitulée «L’estimation du commerce informel à travers les frontières terrestres de la Tunisie», réalisée par la Banque mondiale et qui a fait, mercredi 5 février, l’objet de la conférence de l’UTICA sur «la contrebande et le commerce parallèle en Tunisie», on a évalué la «la perte de recettes publiques à au moins 1,2 milliard de dinars (dont environ 500 millions de dinars pour les droits de douane ou plus d’un sixième du total des droits de douane)».
Ceci malgré l’introduction d’un impôt forfaitaire de 50 dinars aux frontières tuniso-libyennes. Pour les artisans de l’étude, «la situation demeure instable, et l’équilibre du pouvoir entre les différents acteurs a changé. Un certain nombre de préoccupations ont été soulevées au sujet de la réponse, en particulier la réaction probable ou potentielle de la population de Ben Guerdane -aux efforts visant à contrôler les flux commerciaux plus étroitement.
Le taux forfaitaire de 50 dinars semble particulièrement problématique car il ne génère pas de revenus, mais, fait plus inquiétant, il permet à des passeurs d’entrer pratiquement sans contrôle sur le territoire tunisien et pourrait ainsi permettre l’entrée de marchandises illégales telles que les armes et les drogues. Cela pourrait aussi expliquer, en partie, pourquoi les commerçants informels ont une appréciation positive de la douane à Ras Jédir. Nous estimons que la taxe prélevée sur chaque véhicule commercial au passage de la frontière avec la Libye a permis la collecte de près de 3 millions de dinars tunisiens. Cependant, ce n’est qu’une infime partie (seulement 2%) des estimations des bénéfices réalisés par les commerçants».
Pour la présidente de l’UTICA, trop c’est trop, et réagissant aux propos de Najla Harrouch, ministre du Commerce et de l’Artisanat quant aux mesures draconiennes que son ministère compte prendre pour réduire les méfaits du commerce parallèle sur notre pays, elle a déclaré que «depuis la Révolution, le phénomène de la contrebande n’a fait que s’amplifier, même si cette activité se fait au détriment de l’économie, des consommateurs et de l’Etat, ce qui se traduit par une concurrence déloyale vis-à-vis des opérateurs économiques, des emplois précaires et menacés, voire risqués, la mise en danger de la santé et de la sécurité des consommateurs à cause du non respect des normes de fabrication des produits concernés, la fraude fiscale par le non-paiement des droits de douanes, des taxes et de l’impôt, l’exportation illégale de produits subventionnés, le non-rapatriement de devises après exportation, etc.
La drogue et les armes font partie de ce trafic
Pour la présidente du patronat, le fléau du commerce parallèle est un véritable cancer qui se propage à un rythme soutenu et qui ne cesse d’élargir son champ d’action géographique et de diversifier ses produits. «Est-il nécessaire de rappeler que la drogue et les armes font aussi partie de ce trafic?», déplore-t-elle.
Plus dangereux encore, la désintégration du tissu économique régulier: «certaines activités assurées auparavant par des entreprises formelles ont totalement disparu et des emplois décents perdus. Ces entreprises ont été remplacées par des réseaux informels et des emplois précaires non protégés. Pour d’autres activités, le territoire s’est rétréci et ne couvre plus la totalité du pays. Des zones de non-droit sont apparues dans plusieurs régions et nous constatons avec désolation que le droit tunisien ne s’applique plus sur la totalité du territoire», regrette Wided Bouchamaoui.
Dans l’étude réalisée par la BM, les réactions des acteurs dans le commerce parallèle diffèrent selon qu’il s’agisse de ceux opérant sur les frontières tuniso-libyennes ou tuniso-algériennes. Ainsi, ces derniers auraient répliqué aux enquêteurs : «L’État tunisien n’a jamais rien fait pour nous et en plus de cela ils veulent nous empêcher de commercer avec l’Algérie? Les armes passent par nos régions et alors? Nous ne nous inquiétons pas, car ils ne sont pas contre nous, mais contre eux. La seule préoccupation de l’État est la sécurité de leur frontière. Plus ils nous méprisent, plus nous fermons les yeux sur ce qui entre». Dramatique lorsque nous connaissons les dangers que représente le terrorisme pour des pays comme le nôtre et surtout une preuve de l’indifférence totale des populations de ces régions quant à ce qui peut advenir de leur pays pour lequel ils ne ressentent aucune appartenance.
L’étude de la BM indique que ceux impliqués dans le commerce quotidien à la frontière tuniso-libyenne sont des résidents ou des arrivants de Ben Guerdane. Ils sont pour la plupart des jeunes hommes âgés de 30 ans en moyenne avec un niveau d’éducation qui n’a pas dépassé l’enseignement primaire ou secondaire, et responsables de famille d’au moins 4 personnes. Le commerce informel est leur principale source de revenus, même s’ils ne le reconnaissent pas. Leurs sources de revenus ne sont pas très valorisantes et n’arrivent pas au minimum requis. Pour 64% d’entre eux, le revenu annuel se situerait entre 1.000 et 3.000 dinars et pour 19% entre 3.000 et 5.000 dinars par an.
Les activités illégales auxquelles ils se sont adonnés pour survivre ne les ont pas empêchés de vivre sous le seuil de pauvreté.
Mais dans ce cas, qui profite des fruits du commerce informel, qui sont les réseaux et qui tirent les ficelles?
Pour les auteurs de l’étude de la Banque mondiale, «le commerce informel ne représente qu’une faible proportion du total des échanges de la Tunisie, il joue un rôle important dans les échanges bilatéraux avec la Libye et l’Algérie, et dans certains secteurs. Bien qu’il ne représente pas plus de la moitié des échanges du pays avec la Libye, il est plus difficile d’estimer le niveau du commerce informel avec l’Algérie, car il est plus répandu et plus clandestin. Cependant, il est possible d’estimer que près de 25% du fuel consommé en Tunisie est sous la forme d’importations informelles de l’Algérie. Les principales raisons de ce grand commerce informel existe dans la différence dans les niveaux de subventions des deux côtés de la frontière ainsi et dans les régimes d’imposition. Par exemple, le prix du carburant est d’environ un dixième en Algérie qu’en Tunisie».
Le commerce parallèle est-il la résultante d’une crise de confiance entre l’Etat, censé répondre aux exigences minimales des citoyens, ou une source de revenus juteuse pour les contrebandiers, terroristes et riches de guerre?
Selon le ministère tunisien du Commerce, le marché parallèle pèse 40% de l’économie tunisienne et emploierait de manière directe 14.000 personnes. La véritable menace est toutefois les 77,6% des Tunisiens qui acquièrent des produits du marché parallèle. Car, outre le fait qu’en s’y approvisionnant ils participent, sans le savoir, à la faillite de PME/PMI formelles et créatrices de richesses et d’emplois, ils risquent des problèmes de santé à cause de produits non contrôlés. La dangerosité des produits contrefaits est réelle et s’explique par le fait que les contrefacteurs veulent gagner plus en dépensant moins. Ils sont indifférents à la nocivité de leurs produits dès lors que la marge de leurs bénéfices est importante. Ils ne s’assurent ni de la qualité des produits fabriqués, ni des menaces sécuritaires. Outre le trafic d’armes florissant aujourd’hui aux frontières tunisiennes, il y a celui des médicaments, des produits agroalimentaires et d’habillements, des cigarettes et des jouets.
What else?