à Ankara le 5 février 2014 (Photo : Adem Altan) |
[05/02/2014 17:35:44] Ankara (AFP) Les députés turcs ont entamé mercredi dans une ambiance électrique l’examen en séance plénière d’une série d’amendements très controversés renforçant le contrôle administratif d’internet, dénoncés comme un nouveau pas vers la censure gouvernementale.
Présentés dans le cadre d’un projet de loi fourre-tout par un élu du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir, ces dispositions visent, selon leur rapporteur, à “protéger la famille, les enfants et la jeunesse des informations qui, sur internet, encouragent la consommation de drogues, les abus sexuels et le suicide”.
Dès l’ouverture du débat en séance plénière, un député de l’opposition a sonné la charge contre ce texte, présenté alors que le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est éclaboussé par un scandale politico-financier sans précédent.
“Pourquoi voulez-vous faire adopter cette loi maintenant, alors que des affaires de corruption vous concernent ?”, a demandé l’élu du Parti pour la paix et la démocratie (BDP, prokurde), Altan Tan. “Chaque jour notre démocratie régresse, ces mesures sont purement liberticides”, a-t-il estimé.
Sur un ton encore plus virulent, un de ses collègues du Parti républicain du peuple (CHP, opposition), Hasan Ören, a même comparé le régime islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002 à l’Allemagne nazie.
à Berlin le 4 février 2014 (Photo : Patrik Stollarz) |
“A votre arrivée au pouvoir, vous parliez de renforcer la démocratie en Turquie, aujourd’hui vous tentez d’imposer le fascisme”, a lancé M. Ören. “Souvenez-vous qu’Adolf Hitler a employé les mêmes méthodes lorsqu’il a pris le pouvoir en Allemagne”, a-t-il insisté, “ce chemin va vous conduire à votre perte !”.
Entre autres mesures, ces amendements à une loi de régulation d’internet votée en 2007 autorisent notamment l’autorité gouvernementale des télécommunications (TIB) à bloquer, sans décision de justice, un site internet dès lors qu’il contient des informations portant “atteinte à la vie privée” ou des contenus jugés “discriminatoires ou insultants”.
La Turquie censeur du web
Ils permettent également à la même TIB de requérir auprès des fournisseurs d’accès et de conserver pendant deux ans des informations sur les sites visités par chaque internaute.
Dans un “rapport sur la transparence” publié en décembre, le géant de l’internet Google avait déjà classé la Turquie, avec la Chine, au premier rang des censeurs du web.
Des milliers de sites internet ont déjà été bloqués par les autorités d’Ankara en vertu de la loi votée en 2007. De 2008 à 2010, la plateforme de distribution de vidéo YouTube a ainsi été interdite pour avoir diffusé des images montrant des supporteurs de football grecs se moquant des Turcs.
Lors de la fronde antigouvernementale de juin 2013, M. Erdogan avait qualifié le réseau Twitter, principal moyen de communication des manifestants, de “fauteur de troubles”.
De nombreuses ONG turques et internationales, ainsi que l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, se sont exprimés contre le nouveau texte.
Ces mesures “sont susceptibles d’affecter de façon significative la libre expression, le journalisme d’investigation, la protection des sources des journalistes, le discours politique et l’accès à l’information sur internet”, a déploré l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Dans une lettre envoyée mercredi au gouvernement, une des organisations patronales turques (TUSIAD) s’est elle aussi inquiétée du nouveau texte, jugeant qu’il “viole les droits à la défense des fournisseurs d’accès et de contenus” sur internet.
Le gouvernement islamo-conservateur turc, qui règne sans partage sur le pays depuis 2002, a balayé toutes les craintes d’un revers de main. “Il n’y a pas de censure sur internet”, s’est agacé lundi le vice-Premier ministre Bülent Arinç, “nous sommes bien plus libres que beaucoup d’autres pays et nous respectons la liberté de la presse”.
Les députés turcs devaient continuer à débattre en séance plénière de ces amendements jusqu’à la fin de la semaine, avant un vote.