Comment peut-on laisser un haut fonctionnaire prendre part à la conduite d’un litige auquel il est partie prenante? Le Corps du contrôle général du domaine de l’État et des affaires foncières a attiré l’attention, en novembre 2012, du ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, sur l’anomalie que constitue la participation de Mounir Klibi aux travaux des différentes structures en charge du litige opposant l’Etat à la société ABCI au sujet de la BFT. Dont l’actuel directeur des affaires juridiques a été le directeur du Contentieux, le DGA puis le DG entre 1989 et 2011. C’est-à-dire la période durant laquelle s’est produit le dérapage en matière d’octroi du crédit qui fait que la BFT traîne aujourd’hui une «casserole» de près de 550 millions de dinars de créances accrochées, dont une partie (estimée à près de 50%)difficilement récupérables parce que les crédits ont été donnés sans la moindre garantie ou avec des garanties insuffisantes.
Ils sont un peu moins d’une vingtaine de hauts fonctionnaires constituant ce qui ressemble à une «équipe nationale». Venant de divers organismes –Banque centrale, ministères (Finances, Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Justice), et de la présidence du gouvernement-, ils sont tous engagés, même si c’est à des degrés divers, dans le «match», en l’occurrence le litige opposant depuis près de 31 ans l’Etat tunisien à la société ABCI au sujet de la Banque Franco-Tunisienne dont 50% du capital a été cédé à cette société basée aux Pays-Bas avant de lui être confisqué quelques années plus tard.
Cette «équipe nationale» est composée de trois sous-groupes. Dans le premier se trouvent Mmes Najoua Khraief (directrice générale des affaires économiques, financières et sociales), Asma Sehiri épouse LAABIDI (conseillère juridique du gouvernement) et Lamia Ben Mime, en plus de Ridha Ben Mahmoud (directeur du cabinet de Noureddine Bhiri, ministre conseiller auprès du chef du gouvernement), et Ridha Abdelhafidh (secrétaire général du gouvernement).
Le deuxième sous-groupe se trouve au ministère des Finances. En font partie Mmes Souhir Taktak (directrice générale du financement auprès du ministère de des Finances), Sarra Oueslati (chargée de mission au cabinet du ministre des Finances), Sarra Zoghlami (ministère des Finances), Samira Gheribi (pdg de la STB), et Abderraouf Sfar (directeur du cabinet du ministre des Finances).
Au ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, au ministère de la Justice et à la BCT, ce sont des tandems qui représentent ces trois organismes au sein du Comité assurant au niveau de la présidence du gouvernement la conduite du dossier de la BFT. Le premier est composé de Naceur Ridane et de Rejeb Bessrour, respectivement chef du Contentieux de l’Etat et conseillère au sein du même organisme. Le second réunit Riadh Belkadhi (directeur des affaires pénales) et Riadh Essid (conseiller du ministre de la Justice). Le troisième regroupe Nadia Gamha (directrice générale de la supervision bancaire) et Mounir Klibi (directeur central à la BCT).
Théoriquement, la «tête» dans cette affaire c’est le gouvernement, et ce groupe de hauts fonctionnaires ne seraient que les «jambes», c’est-à-dire de simples exécutants de politiques et de décisions prises par les pouvoirs publics. Mais est-ce réellement le cas? Question encore plus importante: n’aurait-il pas fallu écarter du cercle des négociateurs au nom de l’Etat une partie, du moins ceux qui y avaient pris part avant le 14 janvier 2011 et dont l’implication personnelle dans le dossier est telle qu’on peut craindre une dérive dans la conduite de cette affaire préjudiciable aux intérêts de la Tunisie?
Cette interrogation concerne en particulier un personnage relativement peu connu du grand public mais très présent et influent dans l’élaboration de la stratégie de l’Etat sur ce dossier. Ce personnage n’est autre que Mounir Klibi, directeur central à la BCT. Si M. Klibi est membre du Comité de pilotage du dossier de la BFT officiellement en cette qualité, il est également concerné par cette affaire en sa qualité d’ancien responsable de cette filiale de la STB.
Le directeur central en charge du Contentieux à la BCT a débuté sa carrière dans les années 80 au sein de cette instance, en qualité d’adjoint au directeur général du Contentieux, Taoufik Belhaj. Lorsque celui-ci est nommé le 17 janvier 1989 directeur général de la BFT, Mounir Klibi, qui s’occupait déjà du dossier du litige de la BFT, en devient le premier responsable. Le jeune cadre va rapidement rejoindre son ancien patron à la BFT comme directeur du Contentieux.
Deux ans plus tard, en 1991, Mounir Klibi est promu directeur général adjoint tout en continuant à s’occuper du contentieux, ce qui fait de lui le véritable homme fort de la banque.
Déjà patron de fait de la BFT, Mounir Klibi le devient de jure lorsqu’il succède, en 2008, à Chahir Zlaoui comme directeur général. Poste qu’il occupera jusqu’au lendemain du 14 janvier 2011. Au total, l’actuel directeur central à la BCT a passé vingt-deux ans à la BFT entre 1989 et 2011, période durant laquelle s’est produit le dérapage en matière d’octroi du crédit qui fait que la BFT traîne aujourd’hui une «casserole» de près de 550 millions de dinars de créances accrochées, dont une partie difficilement récupérables parce que les crédits ont été donnés sans la moindre garantie ou avec des garanties insuffisantes. Et c’est d’ailleurs ces faits-là qui ont amené le Corps du contrôle général du domaine de l’État et des Affaires foncières, relevant du ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, à écrire en novembre 2012 au ministre Slim Ben Hmidane pour attirer son attention –dans une lettre signée de Rached Ben Romdhane (contrôleur général des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières), Mohamed Hédi Senoussi (contrôleur en chef des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières) et Nabil Krichene (conseiller rapporteur)- sur le fait que les autorités ont pêché lorsqu’elles ont nommé le représentant de la BCT au sein du Comité des litiges, du Comité ministériel chargé du suivi du dossier et du Comité de négociation étant donné que l’intéressé «a occupé par le passé le poste de directeur général de la Banque Franco-Tunisienne objet de l’audit envisagé, ce qui est de nature à créer une situation de conflit d’intérêts et affecter la neutralité des comités précités dans leurs efforts en vue d’établir les faits et de déterminer les responsabilités, et exposer le membre concerné aux critiques et les travaux des comités à la remise en question par la partie adverse». Cette précaution aurait peut-être dû être prise aussi à l’encontre d’autres hauts fonctionnaires impliqués dans la gestion du dossier de la BFT.
Un an plus tard, ni le ministre Ben Hmidane ni le gouvernement dans son ensemble ou le gouverneur de la BCT n’ont rien fait pour corriger cette anomalie, puisque Mounir Klibi continue à prendre part à toutes les réunions en rapport avec l’affaire de la BFT. Alors que depuis quelques mois, une instruction judiciaire a été ouverte contre le directeur central des affaires juridiques de la BCT pour le questionner sur sa gestion du dossier de la BFT.