Trois
ans après le début du Printemps arabe –qui, dans deux pays au moins, la Syrie et
la Libye en l’occurrence, s’est transformé en hiver des plus rigoureux et
sanglants-, les fruits escomptés de la chute de trois régimes arabes parmi les
plus corrompus se font encore attendre. En particulier en matière de
récupération des capitaux et biens détournés par les dictateurs déchus, leurs
familles et alliés. En Tunisie, par exemple, la moisson de la campagne pour la
récupération des avoirs détournés par Ben Ali and Co se limite à ce jour aux
28,8 millions de dollars déposés par Leila Ben Ali sur un compte au Liban et
restitués en avril 2013 par le gouvernement de ce pays.
Un constat confirmé par le colloque organisé le 31 janvier 2014 à Paris par
l’association Sherpa, présidée par l’avocat français William Bourdon, et
l’Observatoire Géopolitique des Criminalités (OGC) et qui n’étonne guère Pierre
CONESA, consultant, maitre de conférences à Sciences Po Paris. «Ce thème n’est
pas inscrit à l’agenda international», regrette cet expert. Qui estime que «la
moindre des choses pour les démocraties, qui ne peuvent plus aider les pays
concernés, est de leur restituer leur argent».
La difficulté de l’exercice provient du fait que le processus de restitution,
une cinquantaine d’années après le premier cas que la communauté internationale
a eu à affronter –en l’occurrence celui des avoirs de K. Nkumah, le premier
président du Ghana- en 1960, est loin d’être juridiquement bien balisé. Le
premier maillon du dispositif, la convention de l’OCDE contre la corruption
d’agents publics étrangers, a été posé en 1997. Suivirent ensuite la Convention
de l’ONU dite de Mérida de 2003 qui érige le recouvrement et la restitution des
avoirs nés d’activités illégales (grande criminalité, corruption, etc.) en
principe de droit international, la 3ème directive européenne du 15 décembre
2007 qui impose une “déclaration de soupçon” aux institutions financières et
intermédiaires divers concernant des opérations de “personnes politiquement
exposées”.
D’ultérieurs progrès ont été accomplis ou sont en voie de l’être depuis 2011
dans certains pays –comme la Suisse et la France- ayant reçu des demandes de
confiscation –en vue d’une ultérieure restitution- d’avoirs des anciens
présidents égyptien, Hosni Moubarak, et tunisien, Ben Ali.
L’une des plus importantes avancées, relève le magistrat suisse Bertrand
Bertossa –qui rappelle que les «500 millions de dollars détournés par Ferdinand
Marcos, le dictateur philippin, n’ont été restitués qu’après douze ans de
procédure»- réside dans le fait que «pour la première fois, l’obligation de
restituer est inscrite dans une loi internationale». Mais, «un Etat en demeure
de restituer des avoirs détournés trouvera dans cette loi les moyens d’éviter de
le faire», prévient l’ancien procureur général genevois. Qui perçoit «de la
mauvaise foi» -parfois «organisée»- qui, d’après lui, se manifeste de diverses
manières.
A titre d’exemple, le gouvernement anglais «signe de nombreuses conventions mais
n’en applique aucune». De même, «le parquet en France, qui n’est pas
indépendant, a montré qu’il y avait des interférences extérieures pour empêcher
la prise de décision sur ce dossier».
Pourtant, les choses sont en train de bouger en France pour ce qui est de la
confiscation d’avoirs détournés en vue de leur restitution. «Cela a été une saga
incroyable», se félicité Maître William Bourdon, président de l’association
Sherpa et avocat de la branche française de Transparency International –présidée
par Daniel Lebègue- très actives depuis trois ans sur ce dossier.
L’avocat français met en avant d’abord le fait que Transparency International
France a réussi à se faire reconnaître par la Cour de cassation comme
représentant des victimes. «Par cette décision, la Cour de cassation met au même
rang les crimes d’argent et ceux de corruption. C’est là un progrès important
dans l’histoire de l’humanité», souligne le président de l’association Sherpa.
Cette décision ouvre la porte «à la restitution (des biens mal acquis, ndlr)
quand les dirigeants sont encore au pouvoir et ce en ayant recours aux ONG des
pays occidentaux», se félicite Me Bourdon. Qui révèle que «le juge est en train
d’avancer vers les familles de Omar Bongo et de Denis Sassou Nguessou» et
devrait procéder dans quelques semaines, via vidéoconférence, à l’audition de
Theodorin Obiang, le fils du président équato-guinéen (dont des avoirs ont été
saisis en France en août 2012) en vue d’un procès qui aurait lieu avant la fin
de l’année.
Ensuite, «l’immunité des chefs d’Etat commence à s’effriter», ajoute l’avocat.
Ce progrès a été enregistré dans l’affaire des avoirs confisqués de Teodorin
Obiang, le fils du président équato-guiéen à propos duquel la Cour d’appel a
estimé que le fait de blanchiment de recel de biens mal acquis «est détachable
de ce qu’on attend d’un chef d’Etat».
A suivre