Engagée dans les différentes affaires de récupération de biens mal acquis en cours en France, l’antenne française de Transparency International est devenue «la première association en Europe et dans le monde à porter une plainte au pénal pour détournement de fonds à l’encontre de dirigeants en place», se félicite son président Daniel Lebègue.
Pourtant, «dans la démocratie française il n’était pas évident que les ONG avaient un rôle politique à jouer», rappelle cet ancien haut fonctionnaire. Mais «les choses sont en train de changer rapidement. Et aujourd’hui, on reconnaît la contribution qu’une association de plaidoyer peut apporter à l’intérêt général» et «l’opinion publique porte à notre crédit le fait que nous agissons de manière désintéressée», souligne le président de Transparency International France. Pour qui il ne fait pas de doute que «le niveau d’expertise dans la lutte contre la corruption est dix fois plus solide (chez cette organisation, ndlr) qu’à Bercy (siège du ministère de l’Economie et des Finances)», affirme-t-il.
Les choses progressent en particulier au sein de la magistrature. «Au début, le parquet français s’est opposé au lancement de procédures judiciaires contre des dirigeants pour des raisons diplomatiques. Mais la Cour de cassation nous a donné raison. Depuis deux ans et demi, deux magistrats instructeurs suivent les procédures et progressent. C’était de la jurisprudence, c’est devenu du droit», clame Daniel Lebègue.
Bien avant la France, c’est la Suisse qui, la première, a fait faire un important bond en avant à la lutte pour la récupération des biens mal acquis. En effet, c’est à la mi-janvier 2011 que ce petit pays a adopté une loi dite Lex Duvalier pour permettre la restitution à Haïti près de 5,7 millions de dollars réclamés par l’ex-président Jean-Claude Duvalier. Plus généralement, ce texte introduisait une innovation très importante concernant les biens mal acquis en inversant la charge de la preuve.
Trois ans après, la Suisse s’apprête à renforcer l’arsenal juridique de la lutte contre la corruption en adoptant une nouvelle loi visant à mieux armer les autorités helvétiques pour faire face à un problème récurrent. «Ce nouveau texte est le fruit du Printemps arabe. Son ambition est très grande: permettre le blocage et la saisi d’avoirs de potentats», observe Olivier Longchamp, responsable fiscalité et finance internationales de la Déclaration de Berne (créée en 1968, la Déclaration de Berne est une association indépendante œuvrant pour un monde plus juste par l’amélioration des relations politiques et économiques entre la Suisse et les pays en développement, ndlr).
Cette initiative a vu le jour parce que la Suisse était «depuis près de cinquante ans confrontée à des problèmes d’avoirs localisés sur sa place financière», explique cet expert. Dans la foulée des révolutions arabes, le gouvernement suisse a décidé de bloquer les avoirs des Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et Laurent Gbagbo «sur une base légale très faible», estime Olivier Longchamp. En l’occurrence, le gouvernement suisse a eu recours à l’article 184.3 de la Constitution fédérale qui autorise le blocage d’avoirs pour «sauvegarder les intérêts du pays». Mais cette démarche, qui a abouti à une signalisation par les intermédiaires financiers de plus d’un milliard de francs suisses d’avoirs potentiellement illicites, a suscité une controverse au sein de la classe politique suisse. «La droite a trouvé la mesure arbitraire. La gauche, tout en se félicitant que les autorités agissent enfin, a trouvé la manière peu codifiée. Et les deux sont tombés d’accord pour qu’une loi soit élaborée», note Olivier Longchamp.
Le texte en préparation –que le Parlement suisse devrait examiner avant la fin de l’année en cours- va «entériner la pratique des autorités depuis 2011», estime le responsable fiscalité et finance internationales de la Déclaration de Berne. C’est-à-dire «leur donner la possibilité de bloquer des avoirs sur la place financière suisse en vue non pas d’une saisie en vue d’une restitution, mais du lancement d’une procédure d’entraide internationale et pour donner le temps aux pays concernés d’initier une démarche» pour obtenir la restitution des avoirs détournés.
Olivier Longchamp n’est pas totalement satisfait du nouveau texte en préparation, car il prévoit des «conditions d’utilisation très restrictives».
En effet, pour que le dispositif en préparation se déclenche, il faudrait que l’Etat concerné formule une demande d’entraide internationale, que cet Etat connaisse «une défaillance judiciaire» et que «les garanties judiciaires requises ne soient pas réunies, comme c’est aujourd’hui le cas en Egypte», affirme Olivier Longchamp.
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