à 180 km au sud de Chypre (Photo : Christos Avraamides) |
[18/02/2014 10:39:56] Nicosie (AFP) Nombre de pays, dont Israël et les Etats-Unis, suivent avec attention les nouvelles négociations en vue d’une réunification de Chypre, car un rapprochement avec la Turquie faciliterait l’exploitation des importantes ressources gazières en Méditerranée orientale, expliquent des experts.
De colossaux investissements sont en train de se décider pour organiser l’exportation du gaz naturel sous-marin découvert ces cinq dernières années par la compagnie américaine Noble dans les champs de Leviathan en Israël et d’Aphrodite à Chypre.
Or la Turquie voisine est à la fois un important client potentiel et un point de passage privilégié vers l’Europe — mais le différend qui l’oppose à Chypre, dont elle occupe le tiers nord, entrave toute collaboration.
Ankara a menacé de boycotter les compagnies impliquées, et sa marine est intervenue auprès de bâtiments pétroliers, le dernier incident en date s’étant déroulé début février.
“Hormis ces incidents mineurs, nous ne sommes pas gênés. Nous sommes en phase d’exploration et les blocs ne sont pas contestés”, précise Jean-Luc Porcheron, responsable des opérations de Total à Chypre.
– Trois options –
En revanche, une fois qu’il s’agira d’investir “plusieurs milliards d’euros” pour les infrastructures de production et d’exportation, “nous devrons nous assurer que les conditions de sécurité et de sûreté sont remplies”.
Or la Turquie -qui a envahi le nord de Chypre en 1974 en réaction à un coup d’Etat visant à rattacher l’île à la Grèce- s’oppose à l’exploitation d’hydrocarbures par le gouvernement chypriote-grec, qu’elle ne reconnaît pas.
Une entente entre la Turquie et Chypre est pourtant nécessaire pour acheminer le gaz, chypriote mais aussi israélien, voire libanais.
En effet, “il y a trois options principales pour exporter ce gaz”, explique Georges Mosditchian, du Groupement français des entreprises et professionnels des hydrocarbures (GEP-AFTP): une “usine de liquéfaction flottante en mer”, technique pointue et peu répandue, “une usine de liquéfaction sur la côte”, sur laquelle les autorités chypriotes planchent déjà mais qui coûterait environ 10 milliards d’euros, et “un pipeline vers la Turquie – mais il y a beaucoup d’obstacles politiques dans cette éventualité”.
D’un coût évalué entre 2 et 3 milliards d’euros, ce gazoduc est à court terme “la façon la moins chère, la plus rapide, la plus sûre et la plus rentable de transporter le gaz jusqu’au marché” européen, estime Hugh Pope, d’International Crisis Group. Cette option est néanmoins “exclue tant qu’il n’y a pas d’accord” sur la question de Chypre.
Des pourparlers de réunification, poussifs depuis des années puis suspendus il y a près de deux ans, ont été relancés le 11 février grâce à l’intervention de la diplomatie américaine.
exploration de gaz autour de Chypre (Photo : S.Ramis / G. Handyside) |
Le ministre turc de l’Energie, Taner Yildiz, a aussitôt estimé que cela “ouvrait la voie à des projets dans le domaine de l’énergie”, en particulier à un gazoduc reliant Israël et Chypre à l’Europe via la Turquie.
Cette éventualité arrangerait les Israéliens, toujours en guerre avec le Liban voisin, ce qui fait de Chypre le passage quasi-obligé d’un gazoduc vers la Turquie.
Israël, qui semble réticent à une usine de liquéfaction sur son sol en raison du risque écologique et terroriste, reste intéressé par celle envisagée sur la côte sud chypriote, qui permettrait d’atteindre les lucratifs marchés asiatiques.
Mais rien n’a encore été décidé. Le gouvernement chypriote a confié des études de faisabilité pour l’usine à plusieurs consortiums, même si sa seule réserve prouvée pour l’instant, celle d’Aphrodite évaluée en octobre à 140 milliards de m3, est encore loin de suffire à rentabiliser un tel investissement.
Chypre table sur des découvertes dans les trois blocs attribués au consortium italo-coréen Eni-Kogas et dans les deux blocs de Total, où les premiers forages sont prévus fin 2014 et début 2015.
Mais il espère aussi liquéfier une partie du gaz israélien — ce qui, là encore, nécessiterait que Chypre accepte un compromis sur la Turquie.
“Si Chypre ne laisse pas passer de pipeline (…) vers la Turquie, des responsables israéliens ont souligné qu’il n’y aurait pas non plus de gaz israélien pour l’usine de liquéfaction chypriote”, explique M. Pope.