La voie pour rendre le partenariat tuniso-européen plus fécond serait d’étendre le bénéfice de la solidarité financière européenne à la Tunisie. Il s’agirait de permettre à la Tunisie de prétendre à la couverture du “Mécanisme européen de stabilité financière“. Etant donné le poids prépondérant de l’euro dans notre panier de devises, notre rattachement de fait à la zone euro semble acquis. Sous cet angle, l’idée n’est-elle pas recevable?
Bruxelles a accordé un “bonus“ financier à la Tunisie, dans le cadre d’un octroi de prêt. La Tunisie percevra un crédit de 300 millions d’euros, au lieu des 250 attendus initialement. Ce geste de bonne volonté, sonne comme une récompense à l’élan de consensus, né du dialogue national. Outre l’activation de la Constitution, ce consensus est regardé par Bruxelles comme un renfort à la transition démocratique en Tunisie.
C’est cette dynamique démocratique que l’UE veut soutenir, notamment par cet appui financier. Ce crédit est toujours bon à prendre, en ces temps de finances publiques tendues.
Toutefois, il demeure modeste, au vu des besoins du pays. L’UE est notre principal partenaire commercial, économique et financier. Cela lui donne une responsabilité pour aider en situation d’urgence, comme c’est le cas en ce moment.
Dans cette perspective, on se dit que la Tunisie peut plaider une autre forme de soutien à l’Europe. Il est envisageable, selon nous, d’aller vers un partenariat global qui comprendrait les mécanismes de soutien financier d’urgence, comme cela a été le cas pour Chypre ou l’Irlande.
Un partenariat sous-dimensionné
La Tunisie a joué à fond la carte de l’Europe. Premier pays du pourtour sud de la Méditerranée à signer avec l’UE, en juillet 1995, elle a été à l’origine de la dénomination du “contrat d’association“ de préférence à “contrat de partenariat“ avec l’Europe. Le Parlement tunisien avait signé l’accord et le pays l’a mis en application avant sa signature par les parlements des pays membres. La Tunisie voyait cette association sous l’angle “gagnant-gagnant“ sans chercher à trop tirer avantage de sa situation.
Le Maroc, qui a signé longtemps après nous, instruit du cas tunisien, a pris tout son temps pour négocier et arracher le maximum d’avantages.
L’accord mis en route, l’Europe ne s’y est pas investie à fond. Il est vrai que la Tunisie, grâce à l’ouverture sur l’Europe, se retrouve dans la position prestigieuse d’avoir le plus fort pourcentage de produits industriels dans ses exportations. En dehors de cela, point d’avancées significatives. Beaucoup de promesses mais beaucoup de parcimonie. Ce partenariat n’a pas transformé le modèle économique national.
Pour faire court, l’industrie tunisienne restait au palier primaire de sous-traitance, dans le standard manufacturier. Plus tard, le statut de partenaire privilégié, actuellement en cours de négociation, ne nous rapporterait pas davantage. Outre que les secteurs de l’agriculture et des services seraient encore plus exposés qu’auparavant. La Tunisie n’a pas abusé de l’effet d’aubaine et voyait dans ce compagnonnage européen une solution miracle pour son émancipation économique. A-t-elle été payée en retour?
Des résultats maigres
L’Europe ne semble pas avoir misé sur la Tunisie. Dès l’ouverture de l’Union sur son flanc Est, les IDE ont changé de direction. Et tout cela après que le pays a engagé des réformes audacieuses auxquelles l’Europe a pris part avec une participation, toujours parcimonieuse.
De 2004 à 2006, quand l’Europe de l’Est recevait 500 euros par habitant au titre de la mise à niveau, la rive sud de la Méditerranée, dont la Tunisie, n’a reçu que 5 euros par habitant. La grande déception venait de ce que l’UE a ouvert ses frontières à la libre circulation des marchandises et a appliqué un contrôle sévère à la circulation des hommes.
Au final, selon les estimations d’un ancien ministre de l’Industrie, l’accord nous a rapporté un point de croissance. Du gagne-pain, en somme. C’est frustrant pour les Tunisiens. Et ce n’est pas bénéfique pour l’Europe.
La Tunisie se voit autrement que comme un des ateliers d’outremer de l’Europe, à l’instar de la Chine par rapport à l’Amérique. Il y a comme une erreur sur le deal. La Tunisie est demandeur de codéveloppement. C’est valorisant pour elle et bienfaisant pour l’Europe. Elle se voyait comme un moteur supplémentaire à la croissance européenne et non comme une turbine accessoire.
Il appartient à la Tunisie de pousser les négociations en ce sens si elle veut que son partenariat carbure à plein gaz. La Tunisie a toujours eu une vision noble de cet accord. Et elle ne l’a jamais envisagé sous l’angle du coup de loto qui doit rapporter gros. Mais les Européens doivent comprendre que la Tunisie attend un retour sur investissement.
Solliciter la couverture financière de l’Europe
Le déficit chronique de croissance européenne a causé un préjudice à la Tunisie. En jurisprudence, l’Europe porterait, de ce fait, une “responsabilité civile“ dans le ralentissement de l’économie tunisienne. Cela plaide en faveur d’une forme de dédommagement.
Il faut savoir que la Tunisie a joué son va-tout avec l’UE. Le choix se défend en soi. Ce n’est par paresse que le pays n’a pas cherché à varier ses axes marchands. En prise directe sur le marché le plus important, avec 450 millions d’âmes, et le plus riche du monde, la Tunisie s’est employée à mieux s’y maintenir. Cela ne manque pas de cohérence. Elle y a même engagé sa monnaie. Avec 80% de ses échanges extérieurs avec l’Europe, le dinar est quasiment rivé à l’euro. Le rattachement à la zone euro devient acquis de facto. Cela prédispose la Tunisie à solliciter l’aide du “mécanisme européen de stabilité financière“ (MESF), réplique européenne du FMI.
Il faut signaler que le MESF possède un trésor de guerre de 700 milliards d’euros. Cela donne de la marge d’autant que les besoins de la Tunisie sont modestes.
Tunisie, membre de fait de la Zone euro
Le MESF a été le rempart contre le risque de défaut des Etats lors de la crise de la dette souveraine en Europe. C’est un pactole de 190 milliards d’euros qui a été servi à la Grèce puis au Portugal et à l’Irlande. Récemment une manne de 40 milliards d’euros a recapitalisé le système bancaire espagnol.
La Grèce, le Portugal ou l’Espagne sont physiquement rattachés au continent. Ce n’est pas le cas de l’Irlande, île de la Mer du nord ou de Chypre, coquette île de la Méditerranée. La Tunisie n’est-elle pas fondée à plaider la similarité avec ces deux pays? Et son argument fort serait son quasi-rattachement à la monnaie unique. Après tout, la Tunisie a joué fair-play. Les banques tunisiennes ont été alourdies par le poids de leur participation à l’effort de développement. C’est méritoire et vertueux.
Pour leur part, les banques espagnoles ont joué la bulle immobilière, et les banques chypriotes ont tâté de la roulette russe avec la fuite des capitaux, pas tous très nets, des figures de la nomenklatura et autres apparatchiks.
La Tunisie dispose d’un argumentaire conséquent. On peut m’objecter que c’est une bouteille à la mer. Pas d’accord. La BEI et la BERD, pourtant destinées aux seuls pays européens, ont fini par se tourner vers les pays de la rive sud. Le précédent a été créé.