L’image du pays dépourvu de ressources naturelles n’est pas très fidèle à la réalité de la Tunisie, si l’on en croit les experts. Nos ressources, sans être très abondantes, seraient mal exploitées. La faute revient au choix de la centralisation de la gestion de ces ressources par une administration quasi souveraine. Il y a maldonne car c’est la porte ouverte au “laissez-faire, laissez-passer“. L’Etat, en se comportant en propriétaire négligent, en arrive à dilapider les ressources de la collectivité nationale.
Il y a lieu de redresser la barre en doublant l’autorité de l’administration par une supervision démocratique. L’Assemblée et la société civile doivent pouvoir exercer un contrôle. De plus, il faut instiller les “meilleures pratiques“ de la transparence et de la gouvernance.
L’Association tunisienne de transparence dans l’énergie et les mines (ATTEM) s’emploie avec ferveur à faire re-flamber un débat qui n’arrête pas de couver. Elle appelle à instituer un mode de gouvernance démocratique pour la gestion des ressources naturelles du pays, à savoir les mines, le pétrole et les ressources non conventionnelles. Il s’agit d’appeler l’attention de tous, opinion publique, administration et société civile sur la nécessité de tirer le meilleur parti de nos ressources naturelles. Il s’agit d’en tirer au moins le juste prix.
De ce fait, ATTEM cherche à intégrer le réseau des ONG de EITI (Extractive Industry Transparency Initiative), lequel appuie les Etats en développement à mieux défendre leurs intérêts nationaux face aux multinationales des mines et de l’énergie.
ATTEM a réuni un séminaire sur cette question les 16 et 17 janvier à Tunis en y associant des experts de libre pratique, des représentants de l’administration et des délégués du réseau EITI et de son réseau africain, Revenue Watch Institute.
Comment légiférer pour protéger le “patrimoine“ naturel?
C’est autour de cette question que s’articule une réflexion de fond et de … fonds. Toute forme de négligence dans la gestion des ressources naturelles du pays est une atteinte aux intérêts de la communauté nationale. Les experts recensent des cas nombreux de négligence ou de mauvaise volonté, de même que des manquements flagrants qui ont privé le pays de ressources importantes.
Alors comment le pays peut-il se protéger? Tout ce qui a été entrepris jusque-là a pu être transgressé par les opérateurs privés qui ont obtenu des permis d’exploitation. Les textes légaux en la matière, principalement les codes d’investissement, des mines et de l’énergie, n’ont pas été des barrières infranchissables, et les dépassements ont été nombreux.
Faut-il constitutionnaliser la question et conférer un droit de supervision aux députés? Les experts sont formels. La supervision par l’Assemblée peut être détournée tout le temps que la gestion sera centralisée par l’administration, à savoir le ministère de l’Industrie et de l’Energie et les entreprises publiques qui émanent de ce département, c’est-à-dire le Groupe chimique tunisien pour les mines et l’ETAP pour le pétrole.
Les dépassements flagrants
Les failles du système ont été multiples. Les experts soutiennent que le mode d’octroi des permis de recherche et d’exploitation présente une cohérence de façade et qu’en effet, à première vue, les choses ne se passent pas de manière discrétionnaire. Les pratiques, par contre, révèlent des possibilités effectives de favoritisme via des artifices techniques et de procédure. Ces subterfuges, laissent entendre experts et analystes, peuvent privilégier des pétitionnaires, c’est-à-dire des candidats à la prospection et l’exploitation, par rapport à d’autres.
Dans le secteur des mines, les experts ont rappelé des cas concrets. Ils ont montré que l’article 37 du code des mines présentait une vulnérabilité de taille. Cet article stipule que le ministre de l’Industrie peut, à titre exceptionnel, autoriser l’analyse d’un gisement -activité réservée à l’Etat- par un tiers pétitionnaire, et si sa teneur est bonne, à le commercialiser. Un permis vient d’être octroyé, sous la couverture de cet article au Groupe chimique. On a donc créé le précédent, disent les experts. Demain, l’opération peut être renouvelée en faveur de privés, cette fois.
Pour le pétrole et le gaz, les dépassements sont plus flagrants. Des permis d’exploitation renouvelés, au mépris de la réglementation trois, quatre et même cinq fois et qui plus est avec extension des durées et des zones géographiques. La fiscalité est souvent lésée et les royalties qui doivent être servies à l’Etat sont sérieusement rognées, parfois.
On a vu l’Etat, à travers l’ETAP, renoncer à son droit de participation à l’exploitation des puits et qui peut aller jusqu’à 55%. C’était notamment le cas dans le gisement de MISKAR, le plus important du pays, actuellement exploité par British gaz, soutiennent les experts.
Une nouvelle vision
ATTEM a emprunté une méthodologie rationnelle, pour introduire la nouvelle vision d’une gestion stratégique des deux secteurs, à l’avenir. Chaque fois que l’on opte pour le contrat de partage et que c’est un opérateur public qui exploite en partenariat avec un pétitionnaire international, les manquements ont été nombreux et la communauté s’est trouvée -involontairement ou par malveillance- lésée. Le représentant local sert de paravent et est implicitement instrumentalisé pour échapper aux rigueurs de la supervision.
Les experts recommandent le recours au système de la concession qui autorise les pétitionnaires internationaux à exploiter par eux-mêmes, et là les exigences de transparence et de gouvernance deviennent incontournables et effectives.