Dans un essai qui vient de paraître, en l’occurrence, «Pour une refondation de la gauche tunisienne», Baccar Gherib, doyen de la Faculté de droit et sciences économiques de Jendouba, a essayé de montrer que la gauche, handicapée par la dispersion des ses composantes et par les préjugés que ses adversaires (PSD, RCD, Ennahdha…) lui ont collé, depuis l’indépendance, en tant qu’idéologie athéiste et opposée à la propriété privée, n’est pas parvenue, jusqu’ici, à convaincre le peuple tunisien et à s’imposer à son goût comme un courant politique capable de gouverner le pays.
Pour étayer cette thèse de rupture et de divorce presque fatal entre l’élite de gauche et les masses populaires, Baccar Ghérib part d’un paradoxe, celui de la révolution du 14 janvier 2011 laquelle, bien qu’«animée par un puissant souffle progressiste (droit au travail, dignité, rejet des inégalités sociales et régionales), a débouché sur des élections qui ont sanctionné les partis de gauche».
Il estime également que bien que les problèmes économiques et sociaux de la Tunisie, d’aujourd’hui, réclament certes une vision, un projet et des programmes de gauche, les formations politiques de gauche, qui ont un patrimoine militant glorieux, ne peuvent occuper la place qu’elles méritent sur la scène politique et jouer pleinement leur rôle historique qu’à la condition de passer de l’âge idéologie à l’âge politique», et, partant, de se libérer des dogmatismes et des orthodoxies d’une doctrine politico-économique achevée (communisme, socialisme, social-démocratie).
«La gauche, écrit-il, ne devrait plus se contenter du rôle d’une avant-garde idéologique, ciblant uniquement des élites intellectuelles; elle doit, au contraire, remporter l’adhésion des masses populaires –celles à qui toute la gauche s’adresse en vérité!».
Concrètement, l’auteur invite «la gauche à revoir son discours tant sur les questions économiques que sur les questions culturelles et identitaires». A cette fin, il lui suggère «de proposer des réformes intelligentes en phase avec ses valeurs tout en montrant des relations apaisées tant avec l’économie de marché qu’avec la religion.
Il lui recommande de coller au vécu des gens et de «penser la société pour mieux guider son évolution ou, mieux, d’être en prise sur l’histoire, à la fois en la pensant et en y agissant… Par la théorie et la pratique en somme».
Baccar Ghérib relève que cela est possible pour peu que la gauche s’emploie à reconstruire le peuple de gauche et à valoriser, à cet effet, l’universalité et la justesse de la valeur suprême pour laquelle elle s’est toujours battue: l’égalité dans son acceptation globale (égalité entre l’homme et la femme, égalité entre les catégories sociales, égalité entre les régions).
Cette même égalité pour laquelle, note-t-il en substance, les indignés de Sidi Bouzid et de Kasserine et autres étaient descendus dans la rue, en décembre 2010, pour revendiquer le droit au travail, dignité et équité des chances pour tous les Tunisiens.
Pour y arriver, l’auteur fait remarquer que le pluralisme et la démocratie qui prévalent, désormais, en Tunisie, après la révolution, favorisent la gauche et militent en faveur de la promotion de cette valeur suprême.
Un petit clin d’œil in fine: Il nous semble que l’essai, qui aborde, également, les points forts et les faiblesses des différents modèles de développement suivis en Tunisie depuis l’indépendance (collectivisme, capitalisme d’Etat, ultralibéralisme, protectionnisme…), ont été, peut-être, peu exhaustifs, lorsqu’ils n’ont pas délimité le champ de consécration de cette valeur Egalité qui a fait l’objet d’une doctrine très nuancée, à savoir l’égalitarisme.
Ainsi, l’auteur ne précise pas si cette égalité devrait relever de l’égalitarisme “minimal” qui se limite à l’égalité des droits, l’égalité des chances ou des “opportunités” et qui est le fondement de la méritocratie, ou bien s’il s’agit de l’égalitarisme “absolu”, celui de l’uniformité, de l’égalité des résultats et des traitements. Conséquence: si jamais cette deuxième option est prise, il est un risque pour que la gauche redevienne répulsive comme auparavant et rappelle les traumatismes du collectivisme.
L’essai demeure, néanmoins, une œuvre utile dans la mesure où elle vient enrichir notre référentiel politique, jeter de la lumière sur notre histoire contemporaine et, surtout, proposer un débat sur la gauche tunisienne, un débat dont on peut faire, hélas, l’économie.