Est-ce parce que Mehdi Jomaâ, chef du gouvernement, a tiré la sonnette d’alarme, lundi 3 mars dans l’entretien accordé à la télévision nationale et la chaîne Nessma, sur la situation économique et sécuritaire du pays que les voyants de la Bourse de Tunis ont viré ce mardi 4 au rouge? Peut-être bien que oui, bien que ses propos n’aient pas été aussi alarmistes que s’y attendaient nombre d’observateurs avertis de la scène socio-économique du pays.
Car le chef du gouvernement s’est voulu, malgré la gravité de la situation, rassurant. Mieux encore, il a préféré taire certaines vérités qui font mal et surtout préserver ce qui reste de l’image de ses prédécesseurs dans les gouvernements successifs et dans laquelle chacun parmi eux a participé par ignorance ou omission à l’écroulement des fondamentaux économiques du pays sans oublier la désintégration de ses institutions. A commencer par les administrations publiques qui ressemblent plus après le dernier passage du gouvernement d’Ennahdha à des souks qu’à des administrations tant l’atmosphère qui y règne est caractérisée par un climat délétère et un laisser aller révoltant.
Sans s’attarder sur la forme de l’intervention du chef du gouvernement que nous aurions préféré sous format de discours direct et solennel qui reflète la gravité de la situation dans laquelle se trouve le pays -dans ses trois dimensions: sécuritaire tout d’abord, économique et sociale ensuite.
Le chef du gouvernement, fort probablement par devoir de réserve, a omis certaines vérités pas très bonnes à dire au grand public.
Pour nombre de personnes averties: «Le chef du gouvernement s’est en effet tenu à parler des équilibres financiers intérieurs et plus précisément du budget de l’Etat, alors que des problèmes encore plus graves touchent aux équilibres extérieurs. En effet, le déficit commercial du pays avoisine les 12 milliards (11,7 plus précisément) de dinars en 2012 et 2013, contre 6 milliards de dinars en 2009; et le déficit des paiements courants avoisine les 9% du PIB en 2013. Soit du jamais vu en Tunisie».
Ce qu’il importe de dire à ce propos est que les problèmes de la Tunisie sont liés en premier lieu aux équilibres extérieurs. La situation de 1986 et la mise en place du PAS (Plan d’Ajustement Structurel) en représentaient la plus grande illustration. Certes, aujourd’hui, le matelas de devises couvre encore plus de 100 jours d’importation, mais d’abord il est la résultante de l’endettement et non de l’activité d’exportation de biens et de services. «Sans l’endettement extérieur durant ces trois dernières années, les réserves en devises n’auraient pas dépassé les 4 à 5 milliards de dinars», estime un observateur averti, car «il faut rappeler aussi que si l’activité économique redémarre, elle devra entraîner une augmentation des importations de biens d’équipement et des matières premières et semi-produits».
Notre commerce extérieur et nos réserves en devises pourraient-ils soutenir la remise en selle de la balance commerciale du pays? Rien n’est moins évident si le tourisme ne redémarre pas.
Où ont disparu les joyaux de la couronne?
En effet, à quoi ont servi les sommes colossales prélevées dans les caisses de l’Etat et injectées dans les dépenses publiques, conséquence de milliers de recrues dont une grande partie d’amnistiés nahdhaouis? Des sommes qui auraient, entre autres, servi à satisfaire aux besoins des nommés aux hauts postes parallèles, soit la récompense accordée par certains ministres à leurs disciples pour leur permettre de profiter des avantages liés aux postes en question.
Pour précision, l’Etat investit près d’un milliard et demi pour former au fil du temps les directeurs généraux et centraux qui ont passé plus de 25 ans, diplômes à l’appui, dans l’administration publique. Il y en a qui ont profité de leur allégeance à un parti pour faire le grand saut et devenir tout d’un coup un haut cadre administratif…
Pour répondre aux nouveaux besoins de l’administration publique, les gouvernements successifs et particulièrement ceux de la Nahdha, ont donc puisé dans «les ressources provenant des recettes de la vente de 25% de Tunisie Télécom épargnés par l’ancien régime (1,9 milliard de dinars) ainsi que de la vente des biens confisqués, et la liste est longue.
15% de Tunisiana (637 MDT), d’Ennakl (238 MDT) de Kia (114 MDT), de la Banque de Tunisie (217 MDT) et de Stafim Peugeot (165 MDT), soit en tout et pour tout la bagatelle près de 3,3 milliards de dinars, l’équivalent du coût de construction de l’autoroute Tunis-Kairouan-Gafsa avec des bretelles vers Sidi Bouzid et Kasserine».
Pour ce qui est du développement régional, il est vrai que le temps n’a pas permis au chef du gouvernement de trop s’y étaler. Mais il faut savoir que les problèmes et les défis dans les régions ne se limitent pas à réactiver quelques projets dont la réalisation n’avance pas. Il s’agit d’un héritage assez lourd à porter mais il faut bien oser faire le premier pas. Cela veut dire baliser le terrain pour le gouvernement qui succèdera à celui-ci en élaborant une stratégie à la hauteur des défis et en définissant les instruments de sa réalisation.
Ce n’est pas en proposant des solutions court-termistes que le gouvernement donnera de l’espoir et du rêve, c’est en se lançant dans de véritables stratégies de relance et de désenclavement des régions déshéritées.
En un mot, Mehdi Jomaâ doit oser prendre les décisions qui s’imposent comme s’il s’agissait pour lui de rester au pouvoir pendant 5 ans. Il n’a aucun intérêt à faire du surplace ou agir comme ses prédécesseurs, tout juste pour préparer le terrain aux élections. Il y a aussi la continuité de l’Etat et le respect des engagements pris.
La valeur travail n’est pas la responsabilité du peuple seulement mais aussi des partenaires sociaux
Il était important que Mehdi Jomaâ, pour lequel il est de notoriété publique que la valeur travail est un principe sacrosaint, appelle le peuple à se remettre rapidement au travail, il aurait été encore plus important qu’il envoie un message fort aux opérateurs publics ou privés.
Les premiers pour les rassurer quant à l’impératif de prendre les décisions qui s’imposent pour assurer, du mieux qu’ils peuvent la réussite, des missions qui leur incombent et la garantie des meilleures conditions de fonctionnement de leurs administrations respectives.
Les seconds pour conforter leur confiance dans la justice et leur assurer de la volonté de l’Etat de veiller à la suprématie de la loi en leur permettant de bénéficier au plus tôt de procès équitables, ou encore pouvoir s’engager avec qui de droit pour négocier des accords servant aussi bien les intérêts de l’Etat que les leurs.
Car lorsque des épées de Damoclès sont posées sur les têtes des banquiers, des hauts fonctionnaires et des créateurs de richesses sous prétexte qu’on est en train de faire du nettoyage «révolutionnaire», il ne faut pas s’étonner d’avoir des récalcitrants, qu’il s’agisse d’opérateurs privés ou publics. Comment, en effet, reprendre son travail en y mettant toute sa ferveur et son professionnalisme lorsqu’on voit autant de procès bidon montés de fil en blanc par les férus de l’assainissement made in «populisme politique»? Cela se traduit dans notre dialecte national par «hlel alina hrama alikom».
Nous aurions aimé voir Si Jomaâ parler de réconciliation nationale car nous savons qu’il y croit et nous sommes tous conscients que la Tunisie n’a plus la force de supporter la haine, les divisions et la vindicte.
Annoncer courageusement au peuple que la réconciliation s’impose pour sauver le pays et que ceux qui ont effectivement procédé à des détournements de fonds en leur faveur ou à des fraudes caractérisés doivent être jugés par des tribunaux compétents, cela aurait été bénéfique pour beaucoup de Tunisiens. Car il n’y a plus de place dans une Tunisie qui souffre dans sa chaire de chasse aux sorcières orchestrée par les férus du populisme politique.
Ca sera pour la prochaine apparition peut-être.