Les relations économiques entre la Tunisie et l’Amérique restent prisonnières du cadre de l’échange inégal. Et c’est regrettable ! Le commerce est déséquilibré et le déficit profite à l’Amérique. Ce n’est pas équitable. Les échanges économiques n’ont toujours pas décollé et ça lèse la Tunisie. “Invest in Democracy“ prend du relief sinon à quoi servirait la démocratie si elle n’amenait pas la croissance. N’est-il pas de la responsabilité de l’Amérique de soutenir la Tunisie, à présent que l’Europe est en léthargie?
Après la visite de William Burns et celle toute récente de John Kerry, une certaine volonté politique semble abonder en ce sens. Il reste à transformer l’essai. L’Amérique et la Tunisie se sont beaucoup vues par le passé sans se rencontrer. Que d’opportunités, quel potentiel de part et d’autre, mais surtout que d’occasions ratées! On est constamment dans l’expectative et cela augmente l’enjeu du futur rendez-vous de Washington de Mehdi Jomaa.
Mercredi 26 février dernier, Hakim Ben Hammouda était l’invité d’honneur du déjeuner mensuel, rendez-vous hautement politique, de la Tunisian American Chamber of Commerce (TACC). Au menu, les résultats de l’enquête maison réalisée auprès d’un échantillon d’entreprises américaines basées en Tunisie. Amel Bouchamaoui, présidente de la TACC, et son équipe entendaient ainsi relayer leurs requêtes auprès du ministre de l’Economie et des Finances et par-delà auprès de l’administration tunisienne en général. Quoi de plus naturel! Mais, Hakim Ben Hammouda semblait voir plus loin. Il a en perspective et en ligne de mire la visite de Mehdi Jomaa a Washington début avril prochain. Et son département en est concerné au premier chef compte tenu de l’importance du deal financier à négocier avec les Etats-Unis.
Le déjeuner-débat de la TACC lui a servi d’exercice d’échauffement avant sa rencontre avec les investisseurs américains chez eux. Les attentes et réclamations des locaux lui ont servi, à n’en pas douter, à affûter sa Com’ avec les interlocuteurs américains pour les persuader d’opter pour la Tunisie comme site d’investissement.
L’enjeu est de taille pour le gouvernement actuel. Convaincre le partenaire américain pour un partenariat enfin structurant, cette fois, représente le “jack pot“.
Ecoute et réactivité
Ce sont 65 entreprises américaines qui ont pris leur quartier chez nous. Elles emploient 12.000 personnes dans des secteurs divers, notamment les filières du savoir. C’est pas mal mais c’est peu. Note heureuse au tableau, aucun investisseur américain ne regrette de s’être délocalisé. Et s’ils trouvent à redire pour l’infrastructure, notamment portuaire, ils ne font que joindre leur voix à celles des entreprises locales rappelant des vérités.
Environ 50% d’entre elles entendent augmenter leurs investissements en Tunisie, ce qui est bon signe. Toutefois, les lacunes du nouveau code des investissements n’ont pas manqué à l’appel. Certaines “incohérences“ fiscales, également. La nouvelle taxe de 10% à appliquer aux entreprises offshore n’est pas à leur goût. La fiscalité des bas salaires les lèse indirectement. En effet, au-delà de 5.000 dinars, l’impôt happe le revenu des heures supplémentaires. Cela démotive les travailleurs, parce qu’ils se fatigueraient pour rien. Dans le même temps, cela étrangle les entreprises qui se retrouvent privées de bras lors des montées en charge.
La bureaucratie les gêne en tout. L’instabilité et l’insécurité troublent leurs futurs plans d’affaires, mais 75% ont confiance dans l’avenir du pays! Voilà, le décor est planté.
Des requêtes déplacées !
Attirer les IDE américains a un prix. Certaines requêtes paraissent raisonnables. Moins de bureaucratie, un environnement d’affaires propice et réactif, plus de ressort de productivité sont des motifs recevables. Mais plaider pour la présence de Mac Donald’s ou Starbucks paraît quelque peu fantaisiste.
Quand Sheraton et Hilton sont là, la Tunisie n’apparaît plus comme un territoire perdu. Réclamer le fast food a quelque chose de déplacé. Jouer la “mal bouffe“, qui plus est en 2014, année de la gastronomie tunisienne, quand le monde entier s’apprête à “Cooking tunisian“, n’est pas une réclamation de bon goût.
Nos amis américains savent bien que lorsqu’on s’expatrie, c’est également pour le dépaysement, il faut simplement le leur rappeler de manière savoureuse. C’est d’ailleurs l’un des enseignements de la mondialisation dont ils sont des fervents défenseurs. L’impérialisme culinaire n’a plus sa place dans le monde d’aujourd’hui.
Un travail “d’image building“
Hakim Ben Hammouda, réceptif aux doléances des investisseurs américains, s’est voulu rassurant. Son département peut agir par décrets pour amender, rectifier ou régulariser, là où c’est nécessaire. Instruit des expériences de nombre de pays africains, dans ses anciennes fonctions au titre de conseiller du président de la BAD, il est conscient qu’il faut injecter une dose supplémentaire d’attractivité dans le code nouveau pour rester dans la course face aux pays africains compétiteurs de la Tunisie.
Il sait qu’il doit redorer l’image de la Tunisie auprès des investisseurs américains. Une démocratie naissante qui veut se donner les moyens de son affranchissement économique, quoi de plus noble? Elle veut s’en sortir par le travail en encourageant notamment les IDE sur son sol d’autant qu’elle a tout de la destination idéale! De plus, cette disponibilité ministérielle est une preuve que les investisseurs sont pris en mains, jamais abandonnés à eux-mêmes.
Un jeu subtile
Le voyage de Washington a valeur de pèlerinage pour l’équipe gouvernementale, dans cette Mecque de la finance. Et, Hakim Ben Hammouda est à la tête du département le plus concerné par ce déplacement. Jusque-là le ministre a réservé son jeu. Il a différé la présentation de la Loi de finances complémentaire dans l’espoir de moissonner le plus d’aide et de dons étrangers, pour venir à bout du gap budgétaire record de 13 milliards de dinars.
Avec l’UE, l’horizon se fige. Il reste à faire un “carton“ avec l’Amérique. Cela fait que l’escale de Washington devient capitale pour le gouvernement Jomaa. Le gouvernement a une belle main. Il faut bien jouer le coup. La seule expérience de Pfizer est édifiante à plus d’un titre. A partir de Tunis, Pfizer exporte au Maroc, en Libye et au Sénégal, trois destinations des plus exigeantes. Non seulement cela devrait nous repositionner sur l’écran radar des investisseurs US, qui se contentaient jusque-là de nous ignorer physiquement, mais le pays apparaît comme un eldorado. Tunis, comme plateforme pour mieux rebondir en Afrique, devient une offre concrète au vu de cette “success story“.
Il restera la partie la plus délicate, celle de l’aide financière publique américaine et son corollaire la contre-garantie à l’adresse des marchés financiers. A priori, l’Amérique ne peut se dérober à ses obligations amicales avec la Tunisie.
Quand l’Amérique veut, elle peut. Tout est dans l’art de convaincre qu’elle doit aller jusqu’au bout de son engagement “to Invest in Democraty“? Amel Bouchamaoui et Hakim Ben Hamouda, après avoir travaillé en intelligence, ont finement esquissé la partition d’un âge d’or de la coopération entre l’Amérique et la Tunisie. Il restera à la mettre en musique. Et l’Amérique ne peut se permettre de fausse note. On l’a présentée comme l’ami du parti islamiste. Il lui appartient de prouver qu’elle est l’amie de la Tunisie. What else?