Deux jours ponctués par des demi-journées portes ouvertes le 11 et le 12 mars 2014, pour rappeler à ceux qui risquent de l’oublier qu’il existe bel et bien une finance islamique en Tunisie qui offre des produits différents et compétitifs.
Deux jours dédiés aux promoteurs immobiliers, prescripteurs, vendeurs, fournisseurs de divers équipements, et leurs clients. Pas seulement, Banque Zitouna s’attaque à un secteur porteur mais pas très courtisé par les banques conventionnelles: le secteur médical qui se développe de plus en plus en Tunisie aussi bien au national qu’à l’international.
Pourquoi ces deux évènements «Ijara»aujourd’hui et maintenant? Réponses de Taoufik Lachheb, directeur général adjoint dans l’entretien ci-après.
WMC : Deux journées pour promouvoir les produits Banque Zitouna dans une conjoncture socioéconomique difficile, comme nous le savons tous. Est-ce un choix délibéré de votre part? Les meilleurs investissements se font-ils dans les conjonctures difficiles?
Taoufik Lachheb : Il est vrai que dans ce contexte précis, il y a beaucoup de récession, et les entreprises sont réticentes quant aux investissements. La conjoncture est difficile aussi bien au plan national et international. Nous estimons, en ce qui nous concerne, que nous avons une responsabilité sociale, sociétale et nationale. Nous devons être présents, efficients et participer à la dynamique économique du pays tout en étant vigilants.
Nous faisons attention aux risques mais nous devons chercher les bonnes opportunités et en découvrir de nouvelles. Il est de notre devoir de participer à la dynamique économique de notre pays d’autant plus que notre positionnement est différent de celui des banques conventionnelles.
Quand le bâtiment va, tout va. Est-ce pour cela que vous avez axé votre action sur ce secteur économique important?
On dit souvent que quand le bâtiment va tout va, et quand rien ne va, le bâtiment va ailleurs. Il joue un double rôle: celui d’œuvrer à l’épanouissement économique mais aussi financier. Les individus investissent dans l’acquisition de l’immobilier, que ce soit pour des raisons professionnelles ou pour des raisons personnelles. Malheureusement dans certaines situations économiques, l’investisseur devient méfiant quant à l’avenir et préfère les valeurs refuges. Le bâtiment joue ce rôle; quand nous traversons une phase de prospérité, le bâtiment va mais cette fois-ci pas comme valeur refuge.
Généralement le bâtiment reste, malgré certaines secousses, un secteur très important, emploie un très grand nombre de personnes et fait marcher les entreprises locales, puisque pratiquement nous n’importons pas grand-chose pour le bâtiment, peut-être un peu de quincailleries, le reste (le gravier, le ciment, le fer), ce sont des produits locaux.
Pour ce qui est des produits de finition, nous en produisons mais il y en a certains que nous importons quand même…
Nous n’importons pas un seul produit pour la finition, ils sont nombreux, ils sont différents et destinés à des marchés qui les demandent. Notre intervention à nous, sur le marché du bâtiment, est horizontale. Nous nous plaçons aux côtés de nos différentes clientèles, ni en dessous ni au-dessus. Il y a des pans de la société tunisienne qui penchent vers les formules de la finance islamique et qui sont restées volontairement en dehors du circuit économique avant qu’elle ne soit créée et mise sur le marché.
Ce que nous offrons à notre clientèle correspond à leurs convictions religieuses intimes et aux valeurs qui l’ont imprégnée depuis sa naissance. La finance islamique satisfait à leurs croyances, à leurs manières de voir et de penser, leurs manières d’investir. Nous nous contentons de compléter le paysage financier en matière de produits de financement de projets orientés vers les finances halal.
En fait, quelle est la différence entre ce que vous faites et ce que font les banques conventionnelles? Ce qu’elles appellent taux d’intérêt, vous l’appelez-vous Mourabaha? Elles accordent des prêts voitures ou logements en espèces sonnantes et trébuchantes et vous relevez un taux que vous appelez Mourabaha tout en gardant le patrimoine acquis jusqu’à paiement total de la part de l’acquéreur. N’est-ce pas la même chose avec une différence au niveau des modes et des usages seulement?
Vous voulez connaître la différence avec les banques conventionnelles? Dans l’apparence, les choses peuvent avoir quelques similarités. Mais il suffit de creuser un tout petit peu pour découvrir les différences.
Il est vrai, s’agissant de coûts, qu’il peut y avoir des similitudes mais le mode d’application est différent. Quand bien même sur le plan du fond il y a une différence, et à supposer que nous laissions les croyances de côté, il y a une différence fondamentale qui est la suivante: la nature du contrat, le contrat qu’on a avec une banque classique est un contrat de prêt, par lequel la banque prête à autrui et ce contrat a ses obligations, ses droits, ses exceptions. Nous, nous nous plaçons dans une autre logique: le contrat que nous avons avec notre client est un contrat ou de location ou de vente, et dans les deux cas, quand on qualifie ces contrats en tant que tels, ils sont très différents des contrats conventionnels. Un petit exemple: quand vous achetez un appartement à crédit auprès d’une banque classique, si jamais pour une raison ou une autre, cet appartement risque de vous filer entre les doigts parce qu’il y a eu un procès avant l’acquisition chez le promoteur immobilier, le tribunal arrête un jugement contre l’acheteur et celui qui a emprunté doit être exproprié. La banque classique n’en supporte pas les conséquences, parce que sa responsabilité s’arrête au prêt immobilier qu’elle a accordé au client, c’est un contrat de prêt.
Par contre, quand on vend sous le mode Mourabaha, nous nous plaçons en tant que promoteur et le client est l’acheteur final, nous achetons, et enregistrons l’appartement à la recette fiscale, et au registre foncier. Le contrat sera enregistré en notre nom, après nous le vendons, en tant que vendeur nous avons beaucoup plus de responsabilités qu’une banque ordinaire.
Nous avons, d’ailleurs, eu un cas similaire à Sousse et nous avons arrêté de percevoir les mensualités du client. Nous avons chargé nos avocats de résoudre l’affaire, ensuite nous avons régularisé la situation avec le client, ça c’est fondamental dans la finance islamique, nous sommes responsables de bout en bout. Ce n’est pas uniquement dans l’apparence, dans l’immobilier, il y a souvent des vices cachés, et au bout de 9 ou 10 mois, un client s’aperçoit qu’il y a des fissures, ou une autre défaillance et là nous intervenons, et nous nous chargeons de revenir vers le promoteur pour régler tous ces manquements. Une banque classique n’a pas cette responsabilité…
Deux jours pour vous adresser aux professionnels de l’immobilier, aux intéressés par le leasing automobile et aux acquéreurs des équipements médicaux. Vous pensez-vous différents des autres banques?
Nous nous adressons principalement aux professionnels, le leasing, dans la réglementation actuelle en Tunisie, s’adresse particulièrement aux professionnels et pas aux particuliers. Les professionnels, donc ceux qui en bénéficient, sont les entreprises, les professions libérales (médecins, avocats, etc.). Justement notre Tamouil Ijara, qui s’apparente au leasing, est aussi un tout petit peu différent du leasing classique. Celui-ci n’assume toutefois pas la responsabilité des frais supportés par les propriétaires en cas d’assurance, d’incident ou autres. Nous l’assumons. Nous la comptabilisons aussi mais différemment. Car à supposer que l’assurance n’ait pas remboursé les frais suite à un accident de voiture, dans le cas d’un leasing classique, c’est l’affaire du client. Pareil pour un logement endommagé ou incendié. Dans ces cas-là, Banque Zitouna assume de bout en bout. Nous arrêtons de percevoir les traites pour le paiement et nous attendons que l’assurance rembourse. Un autre avantage, nous ne commençons à être nous-mêmes remboursés que le jour où le client entre en possession de son bien, ce n’est pas le cas dans les autres banques, où les paiements commencent dès la signature des contrats.
Aussi si jamais il y a des retards pour une raison ou une autre, il n’y a pas de pénalités de retard, car ceci est contraire à la chariaâ.
Pourquoi organiser ces journées maintenant?
Nous avons un objectif fondamental et un autre secondaire. L’objectif fondamental, c’est de diffuser l’information sur la méthode Ijara. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas ce que c’est, même parmi nos clients. Il y a des gens qui posent des questions aux guichets, «j’aimerais bien acheter une voiture en leasing, qui me conseillez vous?»… Déjà nous devons communiquer auprès de nos clients, et leur expliquer que nous faisons nous aussi du leasing, il faut aussi leur expliquer que nous le faisons autrement et que sur le plan pécuniaire, nous sommes très compétitifs et nous prenons beaucoup plus de responsabilités.
Quels sont les taux que vous fixez par rapport aux autres banques et est-ce que vous les négociez?
Nous fixons les taux en fonction du risque. Par exemple, quand un client est solvable, offre des garanties solides et que nous le connaissons bien, nous pouvons négocier le taux à la baisse, mais pas quand il s’agit d’un client à risque.
La finance islamique a-t-elle de réelles chances de s’imposer en tant que mode de financement privilégié en Tunisie?
Il y a une étude faite il n’y a pas si longtemps (1er semestre de 2013), par Thomson Reuters, sur la Tunisie, et les experts concluent en disant qu’en Tunisie, entre 30 et 40% de la population s’intéresse à la finance islamique… et il s’agit de personnes neutres.
Ceci ne se traduit pas forcément par une demande immédiate. 35% sont intéressés mais leur passage à l’acte n’est pas garanti. C’est comme un opérateur téléphonique qui cible 10 millions de Tunisiens. Les aura-t-il tous? Non. C’est pour cela que nous devons faire des efforts. Moi je divise ce tiers sur 3, c’est-à-dire il y a 10% qui vont venir, il y a 10% que nous devons convaincre, et l’autre tiers ne viendra que si jamais il est certain qu’il aura un intérêt pécuniaire.
Qu’est-ce qui explique votre engouement pour le financement des produits médicaux, est-ce le développement du secteur sur le marché?
Nous avons ciblé le produit médical, parce que nous avons une direction marketing et de communication qui sait choisir le secteur qui a vraiment besoin de nous et qui présente un intérêt pour la banque. Cette catégorie socioprofessionnelle n’a pas été mise en valeur par les autres leaseurs. Nous nous sommes dit que nous allons profiter de ces deux demi-journées pour offrir un produit spécifique aux professionnels dans les équipements médicaux et essayer de faire connaître à ce monde, très bien interconnecté, nos prestations.
Les médecins et tout le corps médical communiquent bien en intra, et nous estimons qu’il est important de leur faire connaître nos produits, leur offrir les avantages qu’ils peuvent trouver chez nous, d’autant plus qu’il s’agit de bons profils de risque.
Le fait que nous ayons une activité médicale exportatrice fait sortir des devises en amont et entrer plus de devises en aval, donc la balance est positive. Nous faisons entrer plus de devises par les soins que nous appliquons que par les équipements que nous importons. Cette activité a besoin de soutien.
Nous avons été habitués à soutenir sur l’export les secteurs de la câblerie, du textile et du tourisme. Le tourisme classique a beaucoup souffert, mais le tourisme médical se développe. Nous sommes devenus une destination intéressante pour les soins, avant il y avait juste les Libyens, aujourd’hui c’est les Mauritaniens et l’Afrique subsaharienne et même les européens, surtout dans l’esthétique, 3èmeâge, médecine dentaire, etc.
Quel rôle peut jouer la Banque Zitouna dans le financement des petits projets par la microfinance?
Il y a quelques jours, s’est tenu un symposium sur la microfinance islamique. Nous avons pu écouter d’excellents intervenants qui peuvent réellement contribuer énormément à transformer des populations assistées en des populations autonomes et à créer énormément d’emplois.
Le concept n’était pas basé sur le crédit classique mais plutôt sur la participation. C’est-à-dire que l’on rassemble un très grand nombre d’artisans en consortium, et on crée pour eux des structures dédiées qui fonctionnent en amont et en aval. En amont: on leur fournit les intrants, les conseils, l’expertise et les ingénieurs qui les accompagnent et qui leur apprennent le process; et en aval, on met en place des structures qui achètent le produit, qui font le packaging et mettent en place la stratégie marketing.
Il y a des exemples de femmes qui font le couscous Diari, ou el malssouka, et qui n’arrivent même pas à vendre leurs produits dans leurs propres quartiers. Grâce à ces nouveaux montages financiers et managériaux, on peut réussir à faire écouler les produits de terroir jusqu’en France ou même au Canada, transport aérien aidant.
Les nouvelles technologies sont également prises en considération et les exemples des expériences réalisées en Palestine et au Yémen ont fait leurs preuves et ont élevé des populations du statut d’assistées à celui de producteurs, et cela se compte par des dizaines de milliers.
Comptez-vous vous lancer cette expérience en Tunisie?
Nous sommes sur la création d’un projet de microfinance. Nous y travaillons depuis presque une année, il va y avoir beaucoup de supports, mais principalement cela va être là l’approche participative. Nous comptons le lancer en juin 2014. Dans les semaines à venir, nous annoncerons officiellement sa création avec notre partenaire la Banque islamique de développement (BID). Nous créerons une structure dédiée à la microfinance et nous aurons comme partenaire Zitouna Takaful, parce qu’il y a aussi l’aspect de micro-assurance.
Nombre d’institutions sont intéressées par la microfinance, nous croyons que c’est l’un des instruments les plus efficaces qui pourraient lutter contre la précarité et le chômage dans notre pays, et nous n’épargneront aucun effort pour le développer et l’encourager sur tout le territoire national.