Le 21 mars 2014 s’achève le premier acte de l’appel d’offres pour l’octroi de la concession de l’exploitation des magasins destinés aux ventes en hors taxes aux passagers des vols internationaux, au départ et à l’arrivée de 5 aéroports internationaux (Tunis-Carthage, Djerba-Zarzis, Sfax-Thyna, Tozeur-Nefta et Tabarka-Ain Draham), avec la soumission des manifestations d’intérêt des entreprises tunisiennes et étrangères attirées par cette opportunité. Dans les semaines qui suivront, la liste des candidats pré-qualifiés sera connue. Le nom de l’heureux vainqueur devrait quant à lui être connu avant l’été, puisque le nouveau bail devrait commencer en juillet prochain.
Surmontant doutes et, même, peur -que les dés soient toujours pipés- enracinés par un passé très riche en épisodes d’appels d’offres traficotés dans le secret de bureaux aux portes capitonnées, plusieurs groupes tunisiens et étrangers ont décidé de prendre part à la compétition pour l’octroi de la concession du duty free de cinq aéroports.
Dans ce groupe figurent quatre des plus grosses pointures de ce secteur dans le monde: Nuance Group (Suisse), Heinemann (Allemagne), Duty World (Royaume-Uni), et Lagardère (France).
Le suisse Nuance compte près de 5.400 employés, opère plus de 300 points de vente (couvrant 72.000 mètres carrés) dans 19 pays (Australie, Bulgarie, Canada, Chine, France, Allemagne, Hong Kong, Inde, Macau, Malaisie, Malte, Portugal, Russie, Singapore, Suède, Suisse, Turquie, Royaume-Uni et USA) et territoires, sert 31 millions de voyageurs et réalise un chiffre d’affaires de près de 2 milliards d’euros.
De taille assez proche, l’allemand Heinemann gère 230 boutiques –et 5.500 employés- dans 59 aéroports internationaux et 27 pays. En 2012, son chiffre d’affaires s’est élevé à 2,4 milliards d’euros.
Avec plus de boutiques (550), dans un plus grand nombre d’aéroports (100) et dans 21 pays, World Duty Free S.p.A est dans la même tranche de revenus (2 milliards d’euros en 2012). Leader en Espagne et au Royaume-Uni, ce groupe britannique est également présent au Moyen-Orient, en Amériques du Nord et Latine et aux Caraïbes.
Un des leaders mondiaux du commerce Duty Free & Luxury, LS travel retail (division de Lagardère Services, groupe Lagardère), réalise un chiffre d’affaires de 2,9 milliards d’euros, grâce à un réseau international de 2.000 points de vente sur plus de 130 aéroports, 700 gares, et plus de 20 pays. Pour soumissionner dans l’appel d’offres de l’Office de l’Aviation Civile et des Aéroports (OACA) il compte sur Poulina Group Holding avec lequel il entretient des rapports depuis de nombreuses années.
Ca sent les relations douteuses…
Outre l’indien Flemingo, ces mastodontes sont en concurrence avec Dufry (ex-Wietnauer), Hamila Duty Free (groupe Hamila) et TAV. Trois groupes qui ont en commun le fait qu’ils opèrent déjà sur le marché tunisien. Ce qui constitue à la fois un atout et une source de fragilité. Atout parce qu’ils connaissent déjà les arcanes du secteur dans le pays. Inconvénient, car le fait qu’ils aient pris pied dans cette activité ou s’y soient fortement développés sous Ben Ali –et pour certaines en étroite collaboration avec son entourage- leur vaut d’être soupçonnés –à tord ou à raison- d’avoir sinon bénéficié de passe-droits, du moins d’avoir figuré parmi les «favoris» de l’ancien régime. Une corde sur laquelle certains candidats à l’appel d’offres ont essayé du temps du gouvernement Laarayedh en essayant de faire passer l’idée de la nécessité d’introduire un paramètre «éthique» -autrement dit de tenir compte de l’implication ou pas d’un candidat dans des relations douteuses avec les familles «dominantes» de l’avant 14 janvier 2011.
Bien que soutenue, d’après une source proche du dossier, par l’ancien ministre du Transport, Abdelkrim Harouni, cette idée n’a pas pu se frayer un chemin jusqu’au cahier de charges de l’appel à candidatures en vue de l’attribution de la concession des duty free des cinq aéroports de l’OACA. Sous cet angle, le plus «fragile» est peut-être Dufry en raison de ses relations avec Soufiène Ben Ali et dont nous avons voulu recueillir le point de vue concernant son expérience passée et son avenir en Tunisie. Mais Thomas Galet, représentant de la firme, n’a pas répondu à notre demande.
La Tunisie est-elle plus “clean“ en affaires?
Cet appel d’offres –doublement important, en raison du montant financier en jeu (un chiffre d’affaires annuel de près de 200 millions de dinars), et du fait qu’il est le premier de cette envergure de l’ère post-Ben Ali- constituera de ce fait un test de vérité pour la Tunisie en général et pour le nouveau gouvernement en particulier. Un test dont les opérateurs directement concernés et intéressés par l’appel d’offres du duty free et plus généralement les investisseurs tant tunisiens qu’étrangers déjà actifs en Tunisie ou envisageant d’y investir attendent qu’il leur apporte les premiers éléments de réponse à des questions clefs: la Tunisie d’aujourd’hui est-elle différente –c’est-à-dire plus «clean»- que celle de Ben Ali en matière d’affaires? Autrement dit, l’ère où, d’avant le 14 janvier 2011, on partageait –arbitrairement- le gâteau entre copains et coquins et où certains étaient plus «égaux» que tous les autres, est-elle révolue?