Il est étonnant voire révoltant de réaliser à quel point dans cette Tunisie post-14 janvier 2011, les syndicats ont abusé des rapports de force et se sont crus maîtres à bord. Bien entendu, face au parti Ennahdha qui s’est emparé du pouvoir comme s’il s’agissait d’un butin de guerre et en l’absence de partis politiques démocratiques forts.
La dernière grève enclenchée par les agents des recettes des finances prouve l’indifférence de l’UGTT ou de ses bases quant à la situation alarmante dans laquelle se trouve le pays.
Le gouvernement de la Troïka –dominé par Ennahdha- se plaignait de ceux qui mettaient des bâtons dans les roues, l’UGTT ne lui a pas mis autant de pression que celle à laquelle elle soumet aujourd’hui le gouvernement Jomaâ. Un gouvernement qui représente pourtant la seule planche de salut pour une Tunisie aux aboies, car avec des caisses vides et des institutions fragilisées sciemment par des gouvernements provisoires successifs et principalement ceux de Jebali et de Larayedh. Ceux-là même qui ont porté un coup dur au pouvoir et à l’autorité de l’Etat en écartant les compétences et en plaçant leurs «amnistiés». Récompense suprême à un combat mené pour défendre la cause des Frères musulmans et leur projet de société qui n’a rien à voir avec le modèle social tunisien. Mais passons…
Le secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) chargé de la fonction publique, Hfaiedh Hfaiedh, a annoncé, mercredi 12 mars, que tous les services des finances dans l’ensemble des régions du pays reprennent le travail suite à l’accord conclu entre les parties syndicale et gouvernementale. Waw, quelle victoire! Lorsqu’en face de nous, nous avons un Etat cadavérique sur lequel tous les coups sont permis.
Dans ce genre de situation, il n’y a ni morale ni éthique, frappons fort tant que nous y sommes, nos bases salueront nos victoires. Oui, mais dans quelques mois, lorsque vos bases ne recevront pas de salaires, que ferez-vous, monsieur Hfaiedh, mettrez-vous le patrimoine du ministère des Finances en vente pour assurer leurs rémunérations? C’est ce qui s’appelle en premier lieu du courage et en second lieu beaucoup de désillusions.
Pire, M. Hfaiedh va plus loin en assurant que notre chère centrale ouvrière «patriote» œuvrera à défendre les revendications d’autres corps du secteur des finances dont celui des agents de la direction centrale, les huissiers de trésor et les informaticiens.
Les préjudices qu’encourent les citoyens, ni l’UGTT ni ses militants n’en sont responsables, c’est bien sûr le gouvernement qui n’a rien signé mais qui a hérité d’un terrain miné. Tolérance zéro, quant au patriotisme, pouvons-nous en parler encore devant ces tornades revendicatrices?
La société civile, encore sous le choc de ce qui se passe dans le pays entre terrorisme, contrebande et nominations abusives, n’a pas encore réagi à l’annonce de l’accord conclu. Pourtant, c’est extrêmement grave, estiment les observateurs de la scène économique tunisienne: «ce serait un désastre sans précédant car il accorderait au personnel chargé du recouvrement des créances auprès des particuliers et des entreprises une prime de 22% (le syndicat réclame 24%) des pénalités de retard collectées! Ce montant équivaut à une augmentation d’au moins 300D/mois et par employé environ! Des sommes colossales qui devaient revenir à l’Etat, dont les caisses sont vides, mais qui vont revenir à ces mercenaires corrompus».
Pire encore, assure un opérateur privé, «vous imaginez comment vont se comporter ces chasseurs de primes pour accroître leurs revenus? Ils vont devenir comme des rapaces! Ils vont tout faire pour accabler les contribuables et les spolier. Auront-ils intérêt à trouver des compromis avec des entreprises en difficulté?»
A ce train là, même les enseignants (qui se sucrent déjà avec les cours particuliers) vont réclamer des primes en fonction du taux de réussite (et augmenter les notes des élèves par la même occasion), pourquoi pas. Ajoutez à cela «les agents de recouvrement de la CNSS, ceux de la douane, de la STEG, les gendarmes chargés des contraventions, et tous ceux qui auront la possibilité de réclamer une part des sommes qu’ils sont sensées collecter. Ils vont suivre l’exemple de leurs collègues des finances, et, honnêtement, ils auraient parfaitement raison».
Parler de l’erreur de l’augmentation des 70 DT du gouvernement Béji Caïd Essebsi serait dans ce cas de la rigolade face aux bavures que commet l’UGTT aux dépens des équilibres financiers du pays et à une meilleures gouvernance de la chose publique.
Quand on brigue le prix Nobel de la paix, il faudrait peut-être commencer par essayer de l’instaurer chez soi, ce n’est pas en allumant des feux partout dans le pays que le secrétaire général de l’UGTT pourra avoir le rayonnement international qu’il ambitionne.
Au fait, quel est exactement l’agenda de l’UGTT? Nous espérons que ce n’est pas la continuation de l’œuvre de destruction de l’Etat, de ses institutions et de son tissu économique entamée déjà par les gouvernements nahdhaouis…