Des chantiers dans Addis Abeba le 15 janvier 2014 (Photo : Carl de Souza) |
[14/03/2014 08:56:55] Addis Abeba (AFP) Aux quatre coins d’Addis Abeba, les silhouettes des grues surplombent la crête des immeubles, des rectangles de béton poussent, entourés d’échafaudages de bois, sur fond de bruit permanent de marteaux-piqueurs et d’excavatrices qui creusent des ruelles de terre bientôt bitumées.
La capitale éthiopienne s’est transformée en gigantesque chantier et mue à toute vitesse, locomotive d’un pays en pleine modernisation.
“Depuis cinq ans, le changement est énorme”, explique Berhanu Kassa, directeur de l’entreprise B.B Construction, sur le site de son dernier projet, un immeuble de commerces et bureaux sur l’une des principales artères de la capitale.
Le gouvernement a de son côté lancé plusieurs chantiers de plusieurs milliards de dollars – routes, lignes de chemin de fer et projets d’électrification massive – à travers le vaste pays de 91 millions d’habitants, que le gouvernement est décidé à faire entrer d’ici 2025 dans le club des nations à revenu intermédiaire.
Les autorités éthiopiennes comptent sur ses grands travaux pour doper une croissance déjà très dynamique, que le Fonds monétaire international (FMI) estime à environ 7% annuelle.
“Le principal moteur de la transformation économique, ce sont les infrastructures”, explique Zemedeneh Negatu, du cabinet de conseil et d’audit Ernst & Young en Ethiopie, “le talon d’Achille de l’Afrique est (…) la pénurie d’énergie, la pauvreté du réseau routier, le manque de tout ce qui est nécessaire pour transformer votre économie”.
– Peu d’opportunités d’investissements –
L’emballement des chantiers immobiliers à Addis Abeba est alimenté par une politique volontariste des autorités qui ont multiplié les mesures incitatives – en accordant des exonérations d’impôts ou en accordant des baux à long terme et à des taux intéressants pour les terrains, propriété de l’Etat en Ethiopie.
Les analystes soulignent cependant que l’explosion du secteur de la construction est aussi le symptôme de la faiblesse du système financier local, qui offre peu d’opportunités d’investissement.
à Addis Abeba le 24 janvier 2012 (Photo : Jenny Vaughan) |
L’immobilier “est l’investissement le plus attractif dans le pays actuellement, vu qu’il n’existe pas de marché financier fonctionnant correctement”, explique le représentant du FMI en Ethiopie, Jan Mikkelsen, “il n’y a pas de marchés financiers, pas de bourse, donc les investissements immobiliers semblent être les plus attrayants”.
Immobilier et grands travaux ont permis de créer quatre millions d’emplois ces trois dernières années, assurent les autorités. Le chômage reste élevé – environ 25% de la population active éthiopienne -, mais est passé d’environ 23% à 17,5% de 2004 à 2012 dans les zones urbaines, abonde le FMI.
M. Mikkelsen met cependant en garde contre une monopolisation excessive des ressources dans les projets d’infrastructures, au détriment d’autres secteurs.
“Il y a un besoin de constructions, mais il y a évidemment une limite à ce que vous pouvez en retirer et ce sont des ressources potentielles qui auraient pu être utilisées à d’autres fins, comme des activités exportatrices, étant donné le besoin urgent de devises”, estime-t-il, rappelant que, selon le FMI, les importations de l’Ethiopie représentent quatre fois ses exportations.
Tout en reconnaissant que la politique des autorités a permis de réduire la pauvreté, le FMI s’inquiète surtout de l’hégémonie du secteur public dans l’économie et appelle à “faire de la place au secteur privé”.
– Une ville totalement différente –
L’ambitieux Plan gouvernemental de Transformation et de Croissance (GTP), lancé en 2010 menace en effet de rapidement enfler la dette publique du pays – prévue pour atteindre cette année 44% du PIB, selon le FMI, qui souligne également que certains chantiers publics peinent à être financés.
“Sans une place plus importante pour le secteur privé, la réalisation des objectifs du GTP pourrait s’avérer aléatoire”, écrit le FMI dans un récent rapport.
Pour l’heure, les compagnies qui se sont fait une place dans le marché de la construction se frottent les mains. “Nous sommes occupés, parfois au-delà de nos capacités”, constate M. Berhanu, soulignant que son entreprise est passée de trois salariés à plus de 300 en 20 ans.
Mais il estime aussi participer en retour à la croissance de l’économie éthiopienne et à l’amélioration du niveau de vie. “J’embauche beaucoup d’ouvriers, j’utilise des matériaux locaux, j’engage de nombreux sous-traitants locaux et grâce à cela, nous nous développons tous ensemble et le pays en tire profit”, dit-il.
“Ce qu’il faut retenir surtout, c’est que vous ne reconnaîtrez pas Addis d’ici dix ans, ce sera une ville totalement différente.”