«N’écoutez
pas ce qu’ils disent ; mais regardez ce qu’ils font!» (Yankélevitch)
Qui parmi nous ne veut pas que Mehdi Jomâa réussisse dans la lourde tâche qui
lui a été assignée par les représentants du peuple? Il a beau l’appui de la
plupart des Tunisiens, et même la bénédiction du ciel, vu l’abondance de pluie
qui a accueilli son arrivée au pouvoir; il a beau avoir beaucoup d’atouts et de
préjugés favorables, Mehdi Jomâa ne pourra pas, logiquement, venir à bout des
chantiers qu’il s’était fixés, ni résoudre tous les problèmes urgents du pays…
Sans prétention aucune, je voudrais attirer l’attention de Monsieur Jomâa sur
certains dossiers prioritaires et sur ce que je considère comme des erreurs à ne
pas commettre d’emblée.
Tout d’abord, Mehdi Jomâa devrait licencier ou mettre à la retraite tous les
hauts fonctionnaires taxés de “complaisants“ ou “partisans“ de la Troïka. Il est
connu que, après le 23 octobre 2011, l’administration a été remplie rapidement
par des incompétents ignorant tous les mécanismes élémentaires de l’Etat. 25.000
nouveaux fonctionnaires ont été recrutés dans une administration déjà trop
chargée, et ont, de surcroît, été placés au sommet de la hiérarchie pour,
soi-disant, les dédommager des préjudices subis sous les régimes qui avaient
précédé.
Hélas, pour remettre l’administration au travail, le «nettoyage» ne doit en
aucun cas se limiter à quelques gouverneurs, il doit toucher tous les niveaux de
l’administration minée par les nominations «abusives».
Ensuite, le gouvernement de M. Jomaa aura pour mission de mettre en place un
plan de développement en mesure de réviser le taux de croissance économique du
pays, en visant au moins les 5% par an enregistrés en moyenne en Tunisie depuis
quelques années. Ce nouveau plan devrait être défendu, sérieusement, auprès des
instances internationales et des pays frères et amis, pour qu’il mobilise de
ressources et surtout d’investissements directs.
Dans ce même cadre, nous sommes en droit de demander aux pays amis du «printemps
tunisien» de suivre le pas à l’Allemagne pour transformer leurs anciens crédits
à des investissements en infrastructure en faveur de nos régions défavorisées.
Avec un plan économique bien étudié et collant à la réalité tunisienne, je suis
certain que la France, les USA, le Japon et la Turquie, pour être en harmonie
avec leurs déclarations récentes, nous soutiendront davantage à remettre notre
économie sur pieds.
Par ailleurs, il faudrait que le gouvernement –aussi technocrate soit-il-
implique la société civile et les centres d’études stratégiques locaux (think
tanks) pour pouvoir dresser un tableau précis de la situation économique,
financière et monétaire réelle du pays. Leur patriotisme leur commanderait de ne
pas refuser cette charge.
Idem, la participation de l’UTICA et de l’UGTT et des différents représentants
des corporations professionnelles est essentielle, voire vitale. Ces équipes
consultatives et volontaires aideront ainsi l’administration à disposer d’un
plan de développement comportant des mesures immédiates et d’autres à moyen
terme dont certaines seront réalisées, bien évidemment, par le gouvernement issu
des prochaines élections.
Ce faisant, l’effort d’entreprendre doit être reconnu et encouragé. La valeur du
travail doit être soutenue, encouragée et défendue. Mieux encore, la croissance
qui en sera obtenue doit se faire en faveur de tous et de toutes les régions
grâce à une fiscalité beaucoup moins injuste qui frappe surtout les assujettis
soumis à la retenue à la source. Aussi, parmi les mesures économiques urgentes à
entreprendre, devrait figurer la révision immédiate du régime forfaitaire qui
touche aléatoirement 380.000 Tunisiens dans le cadre d’une réforme fiscale juste
et transparente. Bref, une justice fiscale est plus que jamais de mise.
Repenser notre modèle socio-économique !
Depuis une décennie, l’on constate que certains groupes privés ont été tentés de
suivre l’Etat en cédant leurs industries florissantes à des multinationales,
pour se convertir dans la grande distribution avec des enseignes européennes
prestigieuses, commercialisant aussi bien les produits nationaux que les
produits de consommation importés (dont certains étaient inexistants sur le
marché tunisien).
Les accords de libre-échange avec l’Europe prévoient davantage de démantèlement
tarifaire; ce qui va favoriser de plus en plus:
a) inondation du marché par des produits de dumping,
b) fermeture de certaines PMI opérant sur le marché local,
c) suppression d’emplois dans l’industrie,
d) accentuation de l’inflation et aggravation du chômage.
Par ailleurs, l’absence de diversification et de valorisation des produits
touristiques a contribué à l’affaissement de l’activité de ce secteur vital et à
la dégradation de sa viabilité économique.
La mise en difficulté financière des unités hôtelières a accentué leur
surendettement vis-à-vis des banques et a compromis les chances de remboursement
des crédits, allant jusqu’à causer la fermeture de plusieurs unités hôtelières.
La genèse de la création -d’El-Fouledh, de la STIR, de l’AMS, de l’ETAP, de la
STIA, CMT, IMM, du Groupe Chimique-, des premières Ecoles d’ingénieurs (ENIT,
ENIS, ENIG, SUP’COM…), des pôles technologiques, mis en veilleuse par manque
de ressources- nous révèle de précieux enseignements pour évaluer les limites
des partenariats techniques et financiers apportés par les principaux pays
“amis“ en relation économique avec la Tunisie.
Hélas, nos partenaires historiques continuent à limiter leur assistance aux
domaines classiques à faible valeur ajoutée, et veillent à la conservation du
modèle économique en vigueur, axé essentiellement sur: 1) le statuquo agricole,
2) la sous-traitance industrielle, 3) le tourisme de masse, et 4) le service bas
de gamme.
D’ailleurs, ils affectent leurs aides financières: à l’importation des biens de
consommation, au financement du déficit budgétaire, au règlement des échéances
exigibles de la dette.
En revanche, ils n’ont rien fait pour la promotion de R & D dans les créneaux
d’avenir (énergies nouvelles, dessalement d’eau, autonomie en semences…). Hélas,
nos partenaires déclinent de plus en plus nos requêtes de financement en faveur
des projets technologiques à grande valeur ajoutée.
Par la correction de son modèle économique en vigueur depuis plus de 50 ans, la
Tunisie tirerait un plus grand profit de sa richesse en ressources naturelles:
hydrocarbures, mines, carrières, solaire, éolienne, végétales, hydrauliques,
archéologiques…
Quelques axes de ce modèle de développement socioéconomique:
1) Intensification de l’infrastructure et de la logistique avec les régions
déshéritées.
2) Valorisation des richesses naturelles nationales en se basant sur la
recherche & développement (université, technopole…).
3) Développement des activités exportatrices à grande valeur ajoutée (IEE, TIC,
Agro-alimentaire…)
4) Réviser la structure et le potentiel des terres domaniales.
5) Privilégier la transformation des matières premières locales sur leur
exportation en brut.
6) Rechercher des partenaires pour la réalisation des centrales photo-thermiques
(propriétés tunisiennes), destinées à produire de l’électricité solaire pour
couvrir les besoins croissants (40.000 GWh en 2030 contre seulement 15.000 GWh
en 2013).
Des études géologiques, vieilles de plus trente ans, révèlent que le sous-sol
tunisien regorge de richesses minérales, hydrauliques, fossiles, et en
substances utiles extraordinaires. Pour reconfirmer cela, la télédétection est
de nos jours une technique très développée entre autres dans le secteur de la
recherche minière.
En outre, une stratégie nationale des énergies renouvelables devrait être mise
en œuvre pour définir le cadre réglementaire de la production de l’électricité
verte, principalement celui destiné à l’exportation.
Concernant la photo-thermie à l’export, il faudrait définir les meilleures
conditions de rémunération de l’État tunisien.
La Recherche et Développement combinée aux TIC constitue aujourd’hui une bonne
alternative à l’investissement industriel. C’est sur cet axe que s’est déployé
le développement économique de plusieurs pays sud-est asiatiques (Singapour,
partant de zéro depuis les années 60).
Un tel plan permettrait de projeter la Tunisie dans la modernité, de réduire sa
dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, de fédérer les forces vives de la
nation autour de projets économiques d’avenir et de recueillir le soutien des
grands bailleurs de fonds internationaux.
Voilà ce que pourrait être une sortie consensuelle et par le haut du problème
économique national complexe et majeur.
Pour terminer, je ne peux souhaiter que plein succès au gouvernement de M. Jomâa.
La meilleure façon de concrétiser notre appui collectif à son gouvernement est
de travailler plus et d’améliorer notre productivité. Bien entendu, c’est sur l’UGTT
que pèse le lourd sacrifice de contenir les revendications et tout ce qui
pourrait entraver la continuité du travail durant cette courte période de
transition. L’UGTT pourrait suspendre, momentanément, le recours aux grèves
comportant des arrêts de travail et les remplacer par le port de brassards
rouges, à la manière japonaise.
Les médias devraient certes continuer, en vertu des acquis de notre révolution,
à informer librement le public, toutefois en mesurant les conséquences attachées
à la diffusion de faits inexacts ou à des analyses et autres interprétations qui
ne visent en fait qu’à entraver l’action de ce gouvernement.
Retenons provisoirement nos plumes si l’intérêt du pays l’exige! Notre pays a
besoin de nous tous. Soyons tous alors au rendez-vous avec l’histoire!
H.Ch
Président de l’Association pour le développement de la recherche et de
l’innovation ADRI