La classe politique tunisienne, toutes couleurs confondues, ne jure ces jours-ci que par Bourguiba. A défaut d’imaginaire et handicapés par l’incapacité de développer des discours mobilisateurs, destouriens, RCDistes, nahdhaouis, centristes, progressistes et société civile ne ratent aucune opportunité pour reconnaître, aujourd’hui, au fondateur de l’Etat moderne et au premier président de la Tunisie indépendante l’exploit d’avoir été, jusque-là, l’unique personnalité politique à avoir pu rassembler le peuple tunisien, à entrer en contact direct avec les Tunisiens, partout où ils se trouvent, et à les convaincre de ses options et valeurs.
Gros plan sur la réhabilitation historique d’un grand homme trahi par les siens et réhabilité par les femmes qu’il avait émancipées et par les progressistes qu’il avait éduqués.
L’objectif de ces nains politiques est simplement de resquiller et d’exploiter le capital sympathie dont jouit, encore, le défunt Bourguiba auprès de son peuple pour essayer de le courtiser et de grignoter des gains électoraux.
Quand Bourguiba force le respect de ses ennemis
Ainsi, le président PROVISOIRE de la République, Moncef Marzouki, qui tirait à boulets rouges sur le combattant suprême, au début de son squat du palais de Carthage, n’a-t-il pas déclaré sur les ondes de radio Monastir que “sans Bourguiba, il n’aurait jamais étudié et ne serait pas devenu médecin puis président de la République“?
Pour sa part, le gourou Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, qui avait toujours refusé de réciter la fatiha à la mémoire de Bourguiba et de lui souhaiter la miséricorde de Dieu (Rahimahou Allah), fait un tour de 180 degrés et reconnaît, tout récemment, sur le plateau de la chaîne Ettounsia, le mérite de Bourguiba d’avoir fondé un Etat moderne.
Interpellé sur ce virage, le gourou s’est contenté de dire «à toute situation son discours».
Les destouriens et leur excroissance les RCDistes, persuadés que les islamistes au pouvoir, pendant deux ans, n’ont pas fait mieux qu’eux, ont retrouvé le poil de la bête et se sont employés à se regrouper pour revenir au pouvoir non pas au nom de leurs acquis mais au nom de leur référentiel historique, Bourguiba.
Réunis à l’occasion du 80ème anniversaire du néo-destour, créé par Bourguiba en 1934, ces judas, qui n’avaient pas bougé le petit doigt lorsque le dictateur déchu Ben Ali avait «emprisonné» le Zaim et l’avait humilié, devaient, logiquement, avoir la décence minimale de se taire, de se terrer et se faire oublier. Leur apparition à la télé est tout simplement un cauchemar.
Viennent ensuite les centristes, lesquels, conduits par le président du parti Nidaa Tounès, Bajbouj (BCE), font, constamment, référence, dans leurs discours, à Bourguiba et à ses réformes. L’histoire leur reconnaîtra le mérite d’avoir été les premiers à en réhabiliter l’image après la révolution.
Quant aux progressistes que le militant feu Noureiddine Ben Kheder, symbole de la lutte glorieuse de la gauche tunisienne, aimait qualifier d’«enfants illégitimes de Bourguiba», ils ont eu le courage d’avoir bravé «la dictature islamiste» et d’avoir, au nom des valeurs républicaines de Bourguiba, organisé, l’été dernier, la résistance, à la Place du Bardo à Tunis, la résistance dont on récolte, de nos jours, les fruits: une Constitution progressiste et un gouvernement de compétences neutre.
Mention spéciale ici pour les femmes de Tunisie, «Hraier Tounès». C’est grâce à leur descente dans les rues et à leur acharnement à défendre leurs droits qu’Ennahdha et dérivés ont été amenés à faire marche-arrière et à accepter les compromis.
Bourguiba, une partie de la solution
Au-delà des prises de position des uns et des autres, la question qui se pose dès lors est: pourquoi ce regain d’intérêt pour Bourguiba, ce Jugurtha qui aura effectivement réussi à unir le peuple autour de valeurs de la «tunisianité» et de la spécificité tunisienne? Une spécificité que les Nahdhaouis ont cherchée dès leur accès au pouvoir à effacer.
Est-il besoin de rappeler qu’après le 23 octobre 2011, la stratégie des Nahdhaouis consistait à faire table-rase des 55 ans d’indépendance, à ne pas célébrer les fêtes nationales, à ne pas reconnaître ses symboles (le drapeau, le régime républicain, la modernité). D’ailleurs, Hamadi Jebali, premier chef du gouvernement nahdhaoui, plaidait pour le 6ème Califat, tandis que les salafistes, forts de l’appui d’Ennahdha, brandissaient le drapeau noir et faisaient tout simplement la pluie et le beau temps.
Conséquence: l’Etat tunisien a été tout simplement déstructuré. La corruption et la contrebande ont gangrené l’économie. Le terrorisme a fait son apparition.
Mais à la faveur de la résistance et à l’union sacrée de tous les Tunisiens face aux dérapages multiformes, la situation est en train de se renverser et le bourguibisme apparaît, depuis, comme une partie des solutions futures.
Les nouveaux politiques, qui s’adressent actuellement par les biais des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Skype, médias audio visuels, Internet…), jalousent Bourguiba pour ses contacts directs avec la population et pour ses courageuses décisions (Code du statut de la femme…).
En fait, contrairement à Bourguiba auquel la majorité des Tunisiens a cru et adhéré, Ennahdha n’a pas pu convaincre Al oumma dans l’ultime objectif de consacrer la Chariaâ tandis que les laïcs, toujours divisés, n’ont pu rassembler les Tunisiens autour d’un projet de développement socio-économique crédible.
Résultat: l’enjeu aujourd’hui est de gagner la confiance du peuple tunisien dont plus de 50% sont toujours abstentionnistes, selon les sondages.
Pour la prochaine étape, ce regain d’intérêt pour Bourguiba ne sera productif que si on restaure trois de ses principaux exploits: la séparation institutionnelle entre la religion et le politique et la mise en place de systèmes d’éducation et de santé efficaces.
Pour le reste, Bourguiba n’est pas la solution, et ce pour une simple raison : ses abus et excès de pouvoir.
Ma génération qui le défend, bec et ongles, aujourd’hui, se rappelle toujours son attachement à se maintenir par tous les moyens au pouvoir, à retarder l’évolution du pays de l’Etat national à l’Etat institutionnel, son allergie à la démocratie, particulièrement à la démocratie locale (municipalités…), et surtout son nombrilisme, népotisme et régionalisme lesquels sont quelque part en partie à l’origine de la situation délétère par laquelle passe, aujourd’hui, la Tunisie.
Moralité: au regard de l’ampleur des dégâts occasionnés par les Nahdhaouis, la République de Bourguiba a bien résisté et les indignés de la révolution de 2011 ne doivent plus croire aux leaders charismatiques tels que Bourguiba (il n’en existera plus), mais doivent plutôt croire aux institutions, aux lois applicables à tous, à l’égalité des chances et aux normes à établir à cette fin.