éléphone portable à Paro au Bhoutan, le 5 octobre 2010 (Photo : Ed Jones) |
[22/03/2014 09:36:37] Thimphou (Bhoutan) (AFP) Les parents de Kiran Rasaily, un boucher de la capitale bhoutanaise Thimphou, habitent loin à la campagne. Il peut néanmoins les joindre sur leur portable à tout moment, une révolution dans cette société traditionnelle en plein bouleversement.
Niché entre la Chine et l’Inde, le petit Etat himalayen du Bhoutan est resté longtemps fermé aux nouvelles technologies mais l’autorisation de la télévision et d’internet en 1999 a accéléré son changement.
“Le Bhoutan est en train de sauter de l’âge féodal à la modernité sans passer par l’âge industriel”, constate Tenzing Lamsang, rédacteur en chef du “Bhutanese”.
Depuis les locaux de cet hebdomadaire d’investigation, ce jeune journaliste à l’anglais impeccable peut contempler à loisir les montagnes encaissant la capitale. Son oeil vif semble toutefois davantage attiré par le flot d’informations disponible sur la toile, témoin des bouleversements en cours au Bhoutan.
“En 30 ou 40 ans ce pays pourrait accomplir une évolution qui aura pris un siècle ailleurs!”, prévoit-il.
Dans les rues animées de Thimphou, où les habitants se croisent dans un joyeux mélange de tuniques traditionnelles et de vêtements occidentaux, jeunes garçons comme adolescentes ont dorénavant tous un téléphone portable. La plupart utilisent de simples modèles vocaux mais certains disposent de smartphones avec une connexion internet, de marques chinoises et indiennes peu connues en Occident mais aussi quelques Samsung sud-coréens.
“Si je n’ai pas de mobile, je ne peux pas travailler car du matin au soir, je gère mes affaires par téléphone”, explique Kiran Rasaily, 32 ans, entre deux courses dans des bâtiments modernes ornés de motifs floraux à l’ancienne.
Ses parents habitent dans le sud du Bhoutan, une de ces zones rurales où les routes goudronnées sont encore rares, à l’inverse d’une capitale en chantier hérissées d’échafaudages en bambou. Ils ont pourtant déjà leur téléphone portable. “Ils ne sont pas beaucoup allés à l’école quand ils étaient petits, mais ils savent utiliser un mobile et en sont très contents !”, sourit le boucher.
– Actifs sur les réseaux sociaux –
Guide touristique au Népal tout proche il y a quelques années, Kiran ne comprend toujours pas, lui l’accro au mobile, comment un randonneur français a pu lui dire qu’il ne voulait pas de téléphone portable jugé inutile et contraignant.
Car pour cette génération de jeunes Bhoutanais, le téléphone portable et internet représentent une ouverture au monde engagée par la monarchie à la fin du siècle dernier et accélérée avec l’adoption d’un système parlementaire puis, l’an passé, par la première alternance démocratique de l’histoire du pays.
Arrivé au pouvoir à la faveur de cette transition pacifique, le Premier ministre, Tshering Tobgay, s’est félicité de cette évolution lors d’un entretien accordé à l’AFP. “Les téléphones cellulaires ont commencé à s’imposer il y a une dizaine d’années. Nous les avons adoptés avec succès et aujourd’hui presque tout le monde en a un”, se réjouit M. Tobgay, le crane rasé et le corps enveloppé d’un gho orange, la tenue traditionnelle.
Plus de 550.000 abonnés sont référencés par les deux opérateurs mobile du pays, soit les trois-quarts des 750.000 Bhoutanais, selon les statistiques officielles.
Selon M. Tobgay, l’usage des nouvelles technologies s’inscrit dans le projet du Bhoutan “de prendre le meilleur des traditions, du présent et de l’avenir”. Il enrichit donc le “bonheur national brut”, cet indice de développement intégrant des dimensions environnementales et culturelles qui a fait la renommée internationale du pays.
Le chef du gouvernement est lui même très actif sur le réseau social Facebook, où il est suivi par près de 25.000 personnes. Il y a diffuse quantités d’informations et de photos sur ses activités officielles, du montage-remontage de fusils-mitrailleurs par des jeunes recrues de la police au menu détaillé servi dans un restaurant de village, en passant par une rencontre avec l’icône politique birmane Aung San Suu Kyi.
– Rêve d’ascension sociale –
L’usage de cette plateforme d’échange en ligne est déjà très répandu au Bhoutan, avec environ 80.000 comptes Facebook. Des pages personnelles mais aussi divers forums de discussion sur la recherche d’emplois, la culture ou la politique. Et ces usagers ne se privent évidemment pas pour naviguer ailleurs sur la Toile.
“Les Bhoutanais connaissent mieux le monde extérieur depuis qu’internet est arrivé”, se réjouit Jigme Tamang, employé au Norling Cyber World, le plus ancien cybercafé du pays. Peu de foyers disposant d’une liaison internet à domicile, les cybercafés ont pullulé ces dernières années à Thimphou.
“La meilleure saison pour nous, c’est lorsque les étudiants viennent s’inscrire dans les universités étrangères”, détaille Jigme, 24 ans, qui s’inquiète toutefois pour son travail. Car comme dans les pays développés, la montée en puissance des smartphones grignote la clientèle des cybercafés.
Le Bhoutan comptait une centaine de milliers d’abonnés à la connexion mobile GPRS et une vingtaine de milliers à la 3G en 2012, soit environ un abonné pour six habitants.
“Avec mon smartphone connecté à internet, je peux communiquer avec mes cousins au Népal”, sourit Suraj Biswa, un lycéen de 18 ans originaire du sud du Bhoutan, en montrant fièrement son téléphone à large écran.
Comme de nombreux jeunes, Suraj rêve d’une ascension sociale hors de sa campagne d’origine grâce à internet.
“Ici comme ailleurs, internet sert non seulement aux gens à se parler sur des forums, mais aussi à se créer une conscience politique, à faire campagne sur divers problèmes ou à faire pression sur le gouvernement: il a un rôle largement positif sur la société”, souligne le journaliste Tenzing Lamsang.