Roumanie : le grand circuit touristique de la corruption à Bucarest

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à Bucarest le 18 mars 2014 (Photo : Daniel Mihailescu)

[24/03/2014 16:03:14] Bucarest (AFP) Les rayons du soleil couchant caressent les sculptures qui ornent les maisons du quartier chic de Dorobanti à Bucarest. Sur le trottoir, un groupe de touristes entame une visite insolite des “lieux saints” de la corruption.

Afin de dénoncer un phénomène qui continue de plomber l’Europe de l?Est 25 ans après la chute du communisme, les organisateurs du festival de documentaires sur les droits de l’Homme One World Roumanie ont mis en place un “grand circuit touristique des pots-de-vin” dans la capitale roumaine.

“Là où nous nous arrêterons, nous ne trouverons pas les gens à la maison car ils sont tous en prison”, lance à un groupe de touristes Eugen Istodor, journaliste et écrivain, devenu temporairement guide.

La visite commence dans une rue de Dorobanti connue pour ses magasins et ses cafés haut de gamme: c’est ici que deux anciens ministres de l?Agriculture, Decebal Remes et Ioan Muresan, furent achetés par un homme d’affaires pour influencer l’attribution de marchés publics dans la célèbre “affaire de la saucisse”.

Outre 15.000 euros en liquide, M. Remes avait reçu des saucisses et de l’eau de vie de prune pour ses “services”.

Les deux ex-ministres ont été condamnés à trois ans de prison ferme l’année dernière.

Mêlant humour et informations précises, la visite comporte également un arrêt devant la maison d’Adrian Nastase, Premier ministre de 2000 à 2004 et le plus haut responsable condamné à de la prison ferme pour corruption depuis la chute du communisme.

Depuis janvier, M. Nastase est incarcéré pour avoir reçu des pots-de-vin et détourné des fonds pour sa campagne électorale.

“Des personnes travaillant dans des institutions dépendant du gouvernement ont dû verser chacune 125 euros pour participer à une conférence appelée le Trophée de la qualité mais cela n’avait rien à voir avec la qualité, il s’agissait juste de pots-de-vin. Environ un million d’euros ont été collectés ainsi pour les élections”, raconte M. Istodor.

– Les citoyens peuvent changer les choses –

Avec cette visite touristique insolite, les organisateurs de One World Roumanie, un des plus importants festivals de documentaires en Europe orientale, veulent faire réfléchir sur un fléau qui mine la vie quotidienne des anciens pays communistes.

Selon Transparency International, c’est dans ces Etats que la perception de la corruption est la plus forte en Europe.

Mais le festival veut aussi montrer que les citoyens peuvent faire bouger les choses.

“J’ai refusé de donner les pots-de-vin habituels chez le médecin et j’ai été soignée quand même. On ne m’a pas mise à la porte donc je crois que ça peut marcher”, raconte à l’AFP Mihaela Oproiu, une des touristes.

Après un arrêt devant le luxueux palais du patron du club de football Steaua Bucarest George Becali, emprisonné pour corruption, la visite s’achève devant le siège du gouvernement pour une présentation d’un dossier de trafic d’influence.

“N’oubliez pas! Chacun a son prix et cette visite ne vous garantit pas que demain vous n’allez pas recevoir des pots-de-vin”, avertit le guide qui garde toutefois espoir.

En Roumanie, la justice a commencé à s’attaquer aux puissants qui abusent de leurs pouvoirs. Après des années d’impunité, plus de 1.000 personnes dont des ministres, des policiers et des maires ont été définitivement condamnés pour corruption en 2013, contre 155 en 2006.

Et en 2013, pour la première fois depuis des années, des dizaines de milliers de jeunes sont descendus dans la rue en Roumanie, en Bulgarie et en Bosnie pour dire stop à la corruption et au népotisme.

“Notre génération ne verra peut-être pas les résultats, mais ce sera la suivante et c’est ce qui compte”, veut croire M. Istodor.