Une étude de la Banque mondiale publiée, jeudi 27 mars, a dévoilé que trois ans après la révolution, la structure réglementaire créée par l’ancien régime reste en grande partie inchangée, et que le cadre de politiques publiques, hérité de l’ère Ben Ali, perpétue l’exclusion sociale et favorise la corruption.
Selon cette étude menée par des chercheurs de la Banque mondiale et intitulée “All in the Family, State Capture in Tunisia”, le système économique qui existait sous Ben Ali n’a pas changé de façon significative.
Or, avec la révolution, les Tunisiens se sont débarrassés de l’ex-président Ben Ali et des pires aspects de la corruption, “mais les politiques économiques restent largement intactes et sujettes à des abus”.
“Le problème du capitalisme de copinage ne concerne pas seulement Ben Ali et son clan, il demeure l’un des principaux problèmes de développement auxquels la Tunisie est confrontée aujourd’hui”, commente Antonio Nucifora, économiste principal pour la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) au sein de la Banque mondiale.
D’après l’étude, l’ancien régime tunisien s’est servi de la réglementation en vigueur et a créé de nouvelles lois pour servir les intérêts de la famille de l’ex-président Ben Ali et des proches du régime.
La réglementation tunisienne a été, ainsi, manipulée au point que ce groupe de privilégiés avait la mainmise, à la fin de 2010, sur plus de 21% des bénéfices réalisés par le secteur privé dans le pays.
Les analystes de la Banque mondiale ont constaté, par ailleurs, que le “clan” de l’ancien dirigeant tunisien, défini comme le groupe de personnes reconnues coupables de corruption dont les biens ont été confisqués, a investi dans des secteurs lucratifs dont l’accès était protégé, principalement par un système d’autorisations préalables et le recours aux pouvoirs exécutifs pour modifier la législation en faveur du régime, créant ainsi un système à grande échelle de “capitalisme de copinage”.
220 entreprises liées à Ben Ali, protégées de la concurrence
Les auteurs ont établi une base de données unique portant sur 220 entreprises liées à Ben Ali et recensées par la Commission de confiscation créée peu de temps après le soulèvement de 2011 afin de recenser et de confisquer les biens appartenant aux proches de l’ancien président Ben Ali.
L’analyse des données de la Commission révèle que les entreprises étudiées étaient étroitement liées à la famille de l’ancien président.
L’examen des données des entreprises et des décrets signés par Ben Ali sur une période de 17 ans prouve que la législation a souvent servi à promouvoir les intérêts de son clan et à les protéger de la concurrence.
La manipulation de la loi, arme de restriction des IDE
Les données collectées font état de 25 décrets promulgués au cours de cette période qui introduisaient de nouvelles exigences d’autorisation préalable dans 45 secteurs différents et de nouvelles restrictions en matière d’investissements directs étrangers (IDE) dans 28 secteurs.
Cette manipulation de la loi a fait que plus d’un cinquième des bénéfices du secteur privé revenait aux entreprises des proches du régime et que l’ouverture de la Tunisie a été en grande partie un mirage, de vastes pans de l’économie étant fermés et nombre d’entre eux étant aux mains d’intérêts proches du régime.
L’étude apporte, ainsi une confirmation irréfutable que l’ancien régime a bénéficié “du capitalisme de copinage”, a fait remarquer Bob Rijkers, chercheur au Département de la recherche de la Banque mondiale et auteur principal de l’étude.
“Nous démontrons que l’action interventionniste de l’Etat dans le secteur industriel profitait à la famille du président et servait en fait à camoufler un système de rentes”, ajouté le chercheur.
“Il est en effet prouvé que l’Etat a permis aux membres du régime à la recherche de rentes d’accaparer une partie importante du secteur privé en mettant les entreprises proches de la famille à l’abri de la réglementation en vigueur ou en leur octroyant des avantages particuliers”, a-t-il encore affirmé.
“Nous avons la preuve que les règlements ont été aménagés pour servir des intérêts personnels et favoriser la corruption”, confirme-t-il.
Selon l’étude de la BM, l’ouverture du cadre règlementaire du pays portant sur l’investissement privé n’était qu’apparent et l’attitude favorable de l’ancien régime à l’égard du développement du secteur privé cachait les pratiques discriminatoire et les problèmes sous-jacents de l’économie tunisienne.