L’ampleur de la prédation économique sous Ben Ali était notoire. La Banque mondiale parle de prélèvements “obligés“ de 21% des bénéfices du secteur privé. Il y a sous-estimation des profits ponctionnés. On a occulté les rentrées de l’informel qui leur revenaient en totalité. Ainsi que les rentrées du lobbying du clan pour leurs interférences dans l’octroi des grands marchés publics.
En somme, il n’y a rien dans le rapport de la Banque mondiale que les Tunisiens ne connaissaient déjà. C’est un rapport, tout compte fait, qui est sous-explosif à cette exception près qu’il torpille l’ambiance du moment en insistant sur le fait que le dispositif réglementaire de Ben Ali demeure en place.
De ce point de vue, le rapport a raté la conclusion, car la persistance du système Ben Ali empêche la venue du nouveau modèle économique.
Un rapport récent, publié par la Banque mondiale, vient révéler l’ampleur du pillage de l’économie tunisienne, sous Ben Ali. Le clan accaparait 21% des bénéfices générés par le secteur privé, dit le rapport, en indiquant que toutes les malversations se faisaient sous couvert d’un paravent réglementaire. Le système est inattaquable en façade. Mais en façade seulement, car les récalcitrants étaient pris en mains par les services spéciaux et les diverses milices privées, et si particulières, des membres du clan.
La BM détaille, preuves à l’appui, la manière avec laquelle les réglementations étaient distordues pour servir les intérêts de la famille régnante sans que l’on puisse y trouver à redire.
Cette façade en trompe-l’œil servait-elle à endormir la méfiance des institutions internationales? C’est selon nous un alibi, cousu de fil blanc. C’est peut-être une sortie qui permet à la Banque mondiale de plaider non coupable.
Le “cannibalisme de connivence“
Le titre du rapport est en soi une révélation: “All in the Family: State Capture in Tunisia”*. On peut traduire, en prenant quelques libertés avec la langue anglaise, par un titre tout aussi “truand“: “Par ici la bonne soupe“ ou encore plus osé “Faites vos jeux, rien ne va plus…“.
Ben Ali a fait main basse sur les secteurs en expansion. Et, il s’est arrangé, pour éliminer les concurrents. Le «capitalisme de connivence étendu», comme le désignait le rapport, était ainsi structuré. Les Tunisiens ont vécu cette tragédie dans ses moindres détails. Tout cet édifice était, en apparence, conforme aux lois du marché, mais curieusement il étouffait la concurrence! Et cela le rapport ne le précise pas. Tout cela se faisait au su et au vu de l’opinion publique et avec le concours de responsables aux ordres mais consentants.
D’ailleurs, beaucoup d’entre eux étaient amenés, de par leurs responsabilités, à traiter avec la BM. Il faut reconnaître que Ben Ali a trouvé des responsables prêts à se coucher. Nous osons affirmer que ceux qui se sont récusés n’ont pas été gênés outre mesure. La complicité avec le clan était juteuse et rapportait beaucoup, et c’est pour cela que les faibles consciences ont collaboré, et nous ajouterons que les candidats se bousculaient au portillon.
Les décrets scélérats
Le rapport établit que Ben Ali est à l’origine de 25 décrets scélérats. Cette armature lui a permis de rétablir les autorisations préalables dans 45 secteurs différents. De la sorte, l’administration parvenait à verrouiller le jeu et éliminer la concurrence. L’ennui est qu’en éliminant les opérateurs locaux, les textes maudits gênaient également les investisseurs directs étrangers.
Il a résulté de toutes ces manipulations de la législation tunisienne une mainmise flagrante sur plus du cinquième des profits du secteur privé qui étaient accaparés par un réseau bien fermé d’un petit nombre d’entreprises. Cela conforte l’idée, exprimée par Bob Rijkers, coordinateur du rapport, quand il affirme que l’intervention de l’Etat dans la politique industrielle consacrait des situations de rente en faveur des entreprises du clan. Mais davantage que les profits, car ces derniers peuvent être réduits comptablement, pour éviter le fisc, il y a le patrimoine impressionnant du clan.
Les actes de confiscation ont porté sur 550 propriétés immobilières, 48 bateaux et yachts, 367 comptes bancaires et près de 400 entreprises relevant du clan. A ce patrimoine, il convient d’ajouter tous les actifs qui ont été évadés à l’étranger. N’a-t-on pas parlé, courant 2011, d’un montant effrayant de 21 milliards de dollars US? De cela il n’en est point question dans le rapport.
Oui, mais voilà…
Les experts de la BM soutiennent avoir été leurrés par l’administration sous Ben Ali. Ils auraient vu, dans la Tunisie de Ben Ali, “l’élève modèle du continent“, une “vitrine“ pour l’Afrique. Il n’y a pas de raison de douter de la bonne foi des experts de la Banque. Mais un expert n’a pas le droit de se tromper. C’est impardonnable!
Cependant, il faut rappeler que c’est la deuxième fois que la Banque se trompe avec la Tunisie. La première fois c’était en acceptant de financer le programme de collectivisation d’Ahmed Ben Salah. Et l’on sait que cela a beaucoup retardé le développement du pays. Et la seconde fois, en laissant vampiriser l’économie par le clan Ben Ali, ils ont offert au pays un chef d’inculpation qui permet d’incriminer le président déchu. Joli coup du destin.
De ce fait, la BM se trouve, sans le vouloir, moralement engagée à appuyer la Tunisie pour plaider la dette odieuse de Ben Ali. Ce serait d’un bon usage pour ce brûlot financier.