à Paris (Photo : Kenzo Tribouillard, Martin Bureau) |
[02/04/2014 13:56:47] Paris (AFP) En donnant les Finances à Michel Sapin et l’Economie à Arnaud Montebourg, François Hollande prend le pari risqué de confier Bercy à deux personnalités bien différentes, un modèle qui fonctionne en Allemagne, au prix toutefois d’une stricte séparation des pouvoirs.
Il suffisait mercredi de jeter un coup d’oeil aux messages échangés via Twitter par les journalistes spécialistes du ministère de l’Economie et des Finances pour constater que la situation est déroutante, même pour des “Bercynologues” habitués aux couacs depuis deux ans.
Certaines interrogations sont très prosaïques: qui va donc occuper le bureau du sixième étage, jusqu’ici dévolu à Pierre Moscovici, et considéré comme la passerelle de commandement de ce gigantesque paquebot qu’est Bercy? Qui s’installera dans celui du cinquième, au beau mobilier ancien, quitté par le ministre sortant du Budget Bernard Cazeneuve?
Mais d’autres autrement plus graves: qui va porter la voix de la France à Bruxelles, au moment où elle va avoir besoin de toute l’indulgence de ses partenaires sur ses dérapages budgétaires? Et dès la semaine prochaine, quel ministre pour participer aux assemblées de printemps de la Banque Mondiale et du FMI à Washington?
La question n’était pas tranchée officiellement mercredi en début d’après-midi, même si la logique voudrait que M. Sapin, chargé des “Finances et des Comptes publics”, joue ce rôle jusqu’ici dévolu à M. Moscovici.
L’expérience de la Cinquième république ne livre guère d’enseignements en la matière.
écembre 2012 à Paris (Photo : Fred Dufour) |
Dans l’histoire récente, le gouvernement français a toujours compté un ou une ministre de l’Economie et des Finances, flanqué(e) d’un ou une ministre du Budget, délégué ou pas. Seule vague exception, entre 1993 et 1995, un duo avec Edmond Alphandéry ministre de l’Economie seulement, et Nicolas Sarkozy ministre du Budget (et non des Finances).
– Tandem avec séparation des pouvoirs –
Jeter un coup d’oeil de l’autre côté du Rhin peut toutefois fournir un éclairage.
Depuis de très longues années, il est en effet de coutume qu’au sein du gouvernement allemand cohabitent deux ministres, l’un des Finances, l’autre de l’Economie.
Traditionnellement, ces postes sont souvent occupés par des membres de partis différents, voire adversaires, en fonction du jeu des coalitions. C’est le cas actuellement dans le gouvernement d’Angela Merkel: le conservateur Wolfgang Schäuble tient les Finances et défend les positions allemandes à l’étranger, et le social-démocrate Sigmar Gabriel contrôle l’Economie et l’Energie, un dernier portefeuille dont Arnaud Montebourg n’aura toutefois pas les commandes.
Et cela fonctionne, même avec des personnalités différentes. M. Gabriel, colosse prompt à plaisanter sur ses efforts (vains) pour maigrir, serait dans une version très atténuée le pendant de M. Montebourg dans la défense de la croissance et des intérêts industriels. M. Schäuble, homme sévère en fauteuil roulant depuis un attentat en 1990, figure historique des conservateurs allemands, incarne lui la discipline budgétaire aussi bien en Europe que dans un pays qui affiche des comptes publics excédentaires.
Et le tandem fonctionne, comme d’autres avant, grâce à une séparation stricte des pouvoirs. M. Schäuble, Européen fervent, ne s’aventure pas à visiter des entreprises ou rencontrer des patrons. M. Gabriel, qui dans l’opposition ne s’est pas privé de plaider pour une Europe plus soucieuse de croissance, préfère lui vanter les investissements qu’il pilote plutôt que commenter les budgets de son collègue.
La comparaison avec la France a ses limites. En Allemagne, le consensus autour de la nécessité de maîtriser les finances publiques est plus large qu’en France et c’est un social-démocrate, Gerhard Schröder, qui y a mené les plus dures réformes. Sans compter que le ministère des Finances fédéral de l’Allemagne, pays où les Etats régionaux gèrent d’importantes compétences, ne peut se comparer à la gigantesque administration centralisée de Bercy.
Reste à savoir si à Paris les mêmes règles du jeu prévaudront, entre le bouillant Arnaud Montebourg qui clame volontiers sa défiance vis-à-vis de Bruxelles, et un Michel Sapin plus pondéré, qui, tout en rejetant l’austérité forcenée, est considéré comme plus en phase avec les orientations social-démocrates de l’Elysée.
Le jeu pourrait encore se compliquer avec l’intervention d’un troisième homme, Laurent Fabius. Le ministère des Affaires étrangères a fait savoir mercredi qu’il prenait en charge les dossiers du Commerce extérieur, alors que dans l’entourage de M. Montebourg, on assure que c’est ce dernier qui sera aux manettes.